La précarité en eau enfin reconnue en France

Avec la transposition de la directive européenne eau potable, le droit français a évolué de façon positive concernant l’accès à l’eau des populations non raccordées. C’est ce qui ressort du décryptage d’une récente ordonnance,  effectué par la Coalition Eau et Solidarités international. Lire l’analyse résumée ci-dessous et télécharger le document complet (et passionnant).

La Coordination EAU Île-de-France partage les avancées et les limites évoquées par la Coalition Eau.  Elle reste vigilante sur deux points. Tout d’abord, sur le calendrier de mise en œuvre: il est prévu que les diagnostics et les mesures pour permettre l’accès à l’eau soient réalisés d’ici 2030. C’est long quand on n’a pas d’eau! Sur le financement ensuite: il ne sera pas lié à la facture d’eau, ce qui est une bonne chose, mais assuré par les collectivités (communes et intercommunalités) qui ont la compétence eau avec une compensation de l’Etat. Les collectivités ont déjà une longue expérience des transferts de charges mal compensés par l’Etat…

Pour rappel, lire aussi la lettre ouverte de député.e.s et d’élu.e.s chargé.e.s de l’eau, sur la transposition de la directive eau potable adressée aux ministres de l’écologie et de la santé et la réponse du ministre de la santé.

En janvier 2023, la directive européenne « Eau potable » 2020/2184, dont l’article 16 vient encadrer l’accès à l’eau potable des populations vulnérables et marginalisées, a été transposée en droit français avec la publication d’une ordonnance (n° 2022-1611 du 22 décembre 2022 relative à l’accès et à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine) et d’un décret d’application (n° 2022-1721 du 29 décembre 2022 relatif à l’amélioration des conditions d’accès de tous à l’eau destinée à la consommation humaine)[1]. Cette nouvelle ordonnance vise à « garantir l’accès de chacun à l’eau destinée à la consommation humaine, même en cas d’absence de raccordement au réseau public de distribution d’eau destinée à la consommation humaine, y compris des personnes en situation de vulnérabilité liée à des facteurs sociaux, économiques ou environnementaux ».

Alors qu’en France métropolitaine 330 000 personnes sans domicile et 100 000 vivent en habitats de fortune[2] et dépendent donc de points d’approvisionnement en eau extérieurs à leurs lieux de vie (fontaines publiques, bornes incendies, puisage dans les eaux de surface, etc.), ce nouveau texte est une véritable avancée pour les personnes n’ayant pas accès à l’eau potable, ou ayant un accès insuffisant, notamment celles et ceux en situation de sans-abrisme ou vivant dans des habitats précaires et informels (squats, bidonvilles, campements).

De nouvelles normes pour garantir l’accès à l’eau des personnes non raccordées au réseau public

Ces nouveaux textes apportent plusieurs avancées déterminantes pour tendre vers une plus grande effectivité du droit à l’eau en France :

  • La définition de l’accès à l’eau est précisée, notamment les usages de base (boisson, préparation et cuisson des aliments, hygiène corporelle, hygiène générale et propreté du domicile ou du lieu de vie).
  • La quantité minimale d’eau nécessaire pour couvrir ces usages est définie, entre 50 et 100 litres d’eau par personne et par jour.
  • Les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) voient leur compétence étendue et sont désormais responsables de l’accès à l’eau potable des personnes non raccordées au réseau public.
  • Une phase de diagnostics territoriaux est initiée afin de permettre l’identification et le recensement des personnes n’ayant pas accès, ou ayant un accès insuffisant, à l’eau potable. Ce diagnostic constituera une feuille de route pour les collectivités, à la fois autour d’un état des lieux des mesures d’accès à l’eau déjà existantes (localisation des fontaines d’eau publiques notamment, raccordements des sites précaires) et de la formulation de solutions et de mesures d’accompagnement à mettre en place pour améliorer les conditions d’accès à l’eau des personnes non raccordées.
  • Un calendrier a été formalisé pour la mise en œuvre des diagnostics et la réalisation des travaux, d’ici à 2030.
  • L’ordonnance prévoit une compensation financière pour accompagner l’accroissement des charges des communes ou de leurs EPCI entraîné par cette extension de compétence. La répartition de l’enveloppe financière prévue est encore en cours de discussion au niveau des services ministériels.

Un enjeu de mise en œuvre qui nécessite l’engagement de tous les acteurs

Plusieurs questions se posent pour une mise en œuvre ambitieuse de ces nouvelles normes par les collectivités :

  • Les nouveaux textes sont applicables aux départements et régions d’outre-mer mais au regard des problématiques exacerbées d’accès à l’eau et à l’assainissement dans ces territoires, l’enjeu de déclinaison des nouvelles normes est encore plus important pour éviter toutes inégalités de traitement.
  • La définition d’un indicateur de quantité de l’accès à l’eau n’est qu’un premier pas vers la consécration d’un droit à l’eau. En l’absence d’indicateurs caractérisant la notion d’accès suffisant et adapté à l’eau potable (notamment en termes de prix adorable, de distance à parcourir jusqu’au point d’eau, de maillage d’infrastructures publiques, etc.), il s’avère difficile d’évaluer et d’assurer un suivi des situations d’accès à l’eau potable, notamment pour les plus précaires. Ainsi, il sera nécessaire que les acteurs gouvernementaux, en partenariat avec les acteurs associatifs et organisations de la société civile, définisse un référentiel commun permettant de qualifier la notion « d’accès à l’eau suffisante » pour les personnes sans accès ou ayant un accès limité à l’eau.
  • Si le décret d’application souligne le recours à l’expertise des acteurs locaux pour le recensement des personnes ne disposant pas d’un accès suffisant à l’eau et les solutions à mettre en œuvre, le rôle des acteurs de l’action sociale et de la société civile sera à systématiser et à renforcer.

La Coalition Eau et Solidarités International proposent un article de décryptage complet – en téléchargement ci-dessous – pour présenter ces avancées majeures en matière d’accès à l’eau et analyser les nouvelles obligations incombant aux collectivités pour garantir l’accès à l’eau potable des populations non raccordées sur leur territoire.

Les associations prévoient également la publication d’un guide à l’attention des collectivités, afin de proposer des bonnes pratiques et des solutions concrètes de mise en œuvre de ces nouvelles normes d’accès à l’eau potable au travers notamment d’indicateurs et d’un accompagnement par les acteurs associatifs engagés sur l’accès à l’eau pour tous.

A télécharger

[1] Art. L. 1321-1 B. de l’ordonnance : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046780481

[2] 28ème rapport de la FAP

Pour rappel, la lettre ouverte de député.e.s et d’élu.e.s chargé.e.s de l’eau aux ministres de l’écologie et de la santé sur la transposiition de la directive.

Et la réponse du ministre de la Santé.

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