Loin d’être une lubie de « bobos », la baignade urbaine répond, selon un collectif de nageurs et nageuses d’Ile-de-France, à une exigence de justice sociale et à l’urgence climatique. Tribune (et pétition) d’un collectif de nageurs et de nageuses d’Île-de-France, publiée dans le Nouvel Obs.
Avec le retour du printemps revient la promesse de pouvoir, enfin, se baigner dans la Seine. Pari politique, poétique et courageux. Alors que la Ville de Paris travaille actuellement à l’ouverture de trois sites de baignade estivale, certains acteurs économiques du fleuve ont exprimé leurs craintes de voir ces baigneurs troubler leurs activités. Ils demandent donc à restreindre lieux et horaires de baignade. Nous entendons rappeler que l’accès à l’eau n’est pas un luxe, ni la lubie de quelques un·e·s. Les épisodes de canicule passés et à venir devraient suffire à convaincre les moins concerné·es. L’accès à l’eau est un enjeu majeur de santé publique et de justice sociale. Ailleurs en Europe, la baignade urbaine est un des piliers de l’adaptation des villes au dérèglement climatique. Paris pourrait cet été rejoindre définitivement le club des pionniers audacieux.
Préoccupation de « bobos » ? Un seul chiffre permet de recentrer le débat. Chaque été, en Ile-de-France, un million d’enfants ne partent pas en vacances. L’ouverture à la baignade dans les 32 infrastructures prévues pour le Grand Paris pourrait aider à promouvoir l’apprentissage de la nage. Mêlant sport et éducation populaire, la nage urbaine à tant à apporter aux villes de demain. Pérenniser le retour de la baignade fluviale, permettra également de faire vivre l’idée que nos cours d’eau constituent une entité vivante à protéger des pollutions et des pollueurs. La présence de baigneurs permettra de rappeler aux responsables politiques que la qualité de l’eau ne peut se dégrader sous peine de voir ses citoyen·nes nageur·euses tomber malades. Une forme joyeusement partisane, incarnée, de découvrir et promouvoir les Droits de la Nature.
Dans un récent article du « Parisien » du 30 mars 2025, titré « Baignade dans la Seine à Paris : avant le grand plongeon, le chantier a commencé », de nombreuses entreprises exploitant le fleuve, céréaliers, cimentiers, BTP, bateaux mouches, s’inquiètent des modalités de partage du fleuve. Nous comprenons qu’il est normal qu’après cent années de baignade interdite, d’exploitation sans partage, il peut être compliqué d’imaginer perdre l’entière exclusivité des voies navigables. La Communauté portuaire de Paris et les Entreprises fluviales de France souhaitent alerter les pouvoirs publics et l’opinion sur de potentielles pertes d’activité, des baisses de profits et des pertes d’emplois si de tels projets venaient à se pérenniser et à se multiplier.
Un bien commun
Nous pensons au contraire que les cours d’eau sont un bien commun et qu’un partage innovant est possible. Il y a vingt ans, d’autres acteurs s’insurgeaient contre les pistes cyclables. Aujourd’hui tous en profitent : vélos, logistique douce. Nous voudrions nous joindre aux voix de ces acteurs économiques, car comme eux, nous pensons que le fret et le transport fluvial sont des activités vertueuses, écologiques et essentielles aux centres urbains comme aux périphéries, qu’il faut encourager ce secteur, mais qu’il doit impérativement se réinventer. Le monde évolue, et l’adaptation au changement climatique ne peut se faire sans revoir profondément nos anciens schémas de pensée, de transport, de consommation, de relation avec la réalité qui se nomme vivant et non croissance infinie.
Un détail qu’il nous faut souligner, ces mêmes acteurs économiques préparent activement le très critiqué projet de mise à grand gabarit de la Seine en amont de Paris, sur le territoire de la Bassée. Promettant de défigurer définitivement les dernières zones humides proches de la capitale, les derniers méandres de vie capables de ralentir et d’absorber les crues soudaines. Dans quel but ? Permettre la navigation de « super-péniches » de 185 mètres de long pour 11,4 mètres de large. Des monstres, comparés aux péniches actuelles, dites « gabarit Freycinet », qui mesurent 38 mètres de long pour 5,2 mètres de large. On comprend peut-être mieux, à la lumière de ces informations, que nos acteurs économiques voient d’un mauvais œil l’idée d’installer baigneurs et zones de nage ou de navigation légère au milieu de leurs projets d’autoroutes fluviales industrielles.
Alertés par les rapports du Conseil scientifique régional du Patrimoine naturel, de l’Office français pour la Biodiversité, de l’Autorité environnementale et de l’Association des Naturalistes de la Vallée du Loing, nous nous mettrons à l’eau avec encore plus de vigueur et de régularité à l’idée de représenter par nos joyeuses baignades un barrage à la destruction des derniers écosystèmes sauvages ou protégés de la région. Et que se passerait-il si les nageur·euse·s estivales venaient à réclamer la pérennisation de ces espaces de vie retrouvés ? Si on se prenait à penser, inspiré des aires marines protégées, à réclamer la mise en place de zones fluviales protégées ? Accès réservé aux vivants, algues, poissons, humains, marins à voile ou pagayeur·euse·s, nageur·euse·s, oiseaux, insectes, arbres, racines. Vers une dé-bétonisation des berges ?
Nous souhaitons, tout comme ces acteurs économiques, des régions prospères, du travail pour toutes et tous, des travailleurs et travailleuses épanoui·e·s autour d’activités économiques durables, performantes, écologiques, au service du territoire et de ses habitant·e·s. Alors, pourquoi ne pas imaginer des navires de plus petits gabarits, des métiers de mariniers et de d’écluses revalorisés. Ainsi viendront de nouveaux usages et de nouveaux usagers tout au long des berges qui depuis toujours accueillent avec bienveillance une population grandissante. Oublions le gigantisme des navires actuels et pensons petit format, artisanat, diversité.
Lire la tribune intégrale en accès libre
Un collectif de nageurs et nageuses d’Île-de-France
Morgan Segui, écrivain
Rémi Verron, bibliothécaire, Ourcq polaire
Jeanne Di Meglio, retraitée, Leader climat
Ricardo Esteban, directeur d’établissement culturel flottant
Severine Delbosq, danseuse, conseillère municipale L’Ile-Saint-Denis délégation fleuve
Laurent Sitbon, Ourcq polaire, directeur de projet
Thomas Fabre, chercheur, gardien de la Seine
Olivier Blanchard, Ourcq polaire, triathlète, ingénieur
Vincent Muteau, Le Relais Jeunes
William Addey, Scientifique en Rebellion
Hugo Murias, Gardien de la Seine