Eau de Paris et la ville de Paris ont fêté jeudi 7 mars les dix de gestion publique en organisant un colloque à l’Hôtel de ville. « Notre modèle économique est validé ! En dix ans, Eau de Paris est devenue un service public de référence, et cette leçon vaut au delà de l’eau » a souligné d’emblée Célia Blauel, Présidente d’Eau de Paris. A cette occasion Satoko Kishimoto du Transnational Institute, a fait le lien avec le mouvement global de renforcement de l’eau publique depuis 15 ans. Tandis que Maude Barlow, Présidente du Conseil des Canadiens, rappelait la course contre la montre planétaire engagée contre la privatisation et la pollution…
A lire l’article du Monde, on comprend que le succès de la gestion publique de l’eau à Paris est devenu incontournable pour les politiques. Une leçon intéressante, et pas seulement pour Paris, à un an des élections municipales. La réussite de la gestion publique éclaire à présent toute la politique parisienne. En dix ans, le contre-courant est devenu le courant dominant. Il ne nous reste qu’à être à la hauteur de cette nouvelle phase qui s’ouvre. Lire ci-dessous les articles du Monde, de la Banque de territoires (groupe Caisse des dépôts) et de La Tribune.
Anne Hidalgo veut surfer sur le succès d’Eau de Paris
La régie municipale publique de gestion de l’eau fête ses 10 ans, avec un bilan largement positif.
Dans toute autre entreprise, il s’agirait d’un acte de gestion banal. Pour Eau de Paris, le projet se révèle hautement symbolique. Dix ans après avoir repris le contrôle de la distribution de l’eau, longtemps déléguée au privé, la gauche au pouvoir dans la capitale entend doter sa filiale d’un siège social stable et lui appartenant. De discrètes négociations ont été entamées avec la Cipav, principale caisse de retraite des professions libérales et propriétaire du siège d’Eau de Paris, rue Neuve-Tolbiac, dans le 13earrondissement. Objectif : acheter l’immeuble, évalué autour de 80 millions d’euros. « Nous espérons aboutir d’ici à la fin du semestre », confie Benjamin Gestin, le directeur général.
Compte tenu des taux d’intérêt très bas, les dirigeants d’Eau de Paris jugent le moment bien choisi pour se constituer un patrimoine immobilier dans un quartier en plein essor, plutôt que de continuer à payer 4 millions d’euros de loyer annuel. Certes, l’endettement de l’entreprise publique devrait doubler. La direction estime qu’il restera cependant très supportable.
« Ce qui a emporté la conviction d’Anne Hidalgo, c’est le signal fort que cela enverrait quant à l’ancrage d’Eau de Paris dans la durée et dans le territoire parisien, confie Benjamin Gestin. Il y a dix ans, beaucoup prédisaient un avenir assez sombre à la toute nouvelle régie municipale. Aujourd’hui, nous nous projetons dans le très long terme avec un financement sur vingt-cinq ou trente ans… »
L’opération serait une façon pour la majorité municipale de montrer qu’elle a gagné son pari, très contesté à l’époque. Et d’en faire un argument de campagne, à un an des élections municipales.
Des craintes qui ne se sont pas concrétisées
Jeudi 7 mars, la municipalité consacrait toute une journée à célébrer les 10 ans de la municipalisation de l’eau à Paris, avec quelques mois d’avance sur le calendrier. Au programme : colloque, visites d’installations et cocktail au Petit Palais.
« Le bilan est plutôt bon, c’est vrai, reconnaît Eric Azière, président du groupe UDI-MoDem au Conseil de Paris. Mais la Mairie en fait un étendard politique, un manifeste pour la gestion publique directe, comme si c’était la panacée dans tous les domaines. Or, ce n’est évidemment pas le cas. A Paris, Anne Hidalgo elle-même n’hésite pas à déléguer certains services au privé, comme le contrôle du stationnement. »
Dix ans d’Eau de Paris : l’opérateur public défend son bilan
ENVIRONNEMENT
COMMANDE PUBLIQUE
Dix ans après sa remunicipalisation, le service de gestion de l’eau de Paris affiche de belles performances. Le 7 mars, cette régie a consacré une journée de colloque et de visites pour fêter cela « en famille avec d’autres opérateurs publics » comme ceux de Strasbourg, Bruxelles, Milan, Turin ou Nice, dernière en date à avoir repris en régie des activités eau longtemps déléguées. Optimisation de l’exploitation, entrée dans le Big Data, préservation de la ressource et amplification de la transition énergétique, pour Eau de Paris des défis restent à relever.
Défendre un bilan est l’occasion de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur des années passées. Et de souligner l’audace d’un pari relevé. Fêtant le 7 mars ses dix ans, Eau de Paris a rappelé que cette reprise en main par une régie publique d’un service longtemps délégué à des opérateurs privés fut, à l’époque, un pari osé : « Ce n’était pas gagné d’avance, beaucoup n’y croyaient pas », raconte Célia Blauel, sa présidente et adjointe de la maire Anne Hidalgo en charge du dossier.
Compenser l’effet ciseaux
L’élue souligne l’inscription de l’initiative dans un mouvement global de remunicipalisation « qui touche d’autres secteurs, comme l’énergie ». En dix ans, cette régie a su maintenir les prix de l’eau – du moins celui qui relève de la mairie dans la facture d’eau – à un bas niveau, « le plus bas du territoire métropolitain ». La politique de maîtrise des charges sur l’ensemble de sa chaîne de métiers porte ses fruits et permet de compenser la baisse des recettes : « Car les consommations d’eau par les usagers, elles, baissent notamment du fait de la modernisation des appareils électroménagers. Ce fléchissement, d’abord de l’ordre de 2% par an, se stabilise autour de 1% », évalue Benjamin Gestin, directeur général d’Eau de Paris.Très disert sur ce sujet des économies d’eau – plus en tout cas que les acteurs privés – il appelle à s’en réjouir car cela « réduit la pression sur la ressource en eau ».
Fluidifier la data
Dans son bilan, l’accent est mis sur la maîtrise de son réseau et son modèle intégrant une soixantaine de métiers de l’eau (900 salariés dont un laboratoire de recherche), en allant « de la source jusqu’au robinet des usagers ». Mais aussi sur sa performance économique, ses dix années d’investissements (chiffrés à 560 millions d’euros : modernisation d’usine, renouvellement de compteurs, etc.) et l’enclenchement d’une stratégie d' »investissement raisonné », reposant sur « la connaissance du patrimoine grâce à la révolution de la donnée ». « Un domaine où beaucoup reste à faire, notamment pour valoriser les données qui sont produites en continu », éclaire Benjamin Gestin.
Expérimenter avec d’autres
L’opérateur public met aussi en avant la protection des ressources aquifères de la région parisienne (voir son plan d’action adopté en 2016) et l’innovation, thématique transversale qui le conduit à travailler avec d’autres acteurs urbains comme la RATP (recyclage des eaux d’exhaure) ou l’agence de développement Paris&Co.
« Continuons d’optimiser notre outil industriel et de s’ouvrir vers l’extérieur en stimulant les partenariats et initiatives à travers des appels à projets », ajoute le directeur général. « Eau de Paris est un bon terrain d’expérimentation », rebondit Célia Blauel. Des exemples ? Dans une logique d’adaptation au changement climatique, en parallèle aux efforts de végétalisation, la régie déploiera cet été des dispositifs de rafraîchissements connectés sur les bouches d’incendie. Après la ville, elle lancera à son tour l’an prochain un budget participatif.
Même si la précarité hydrique est rare dans la capitale grâce au prix bas de son eau, elle existe et dans le cadre du fonds de solidarité pour le logement (FSL), l’entreprise publique continue d’abonder à ce titre une aide curative à hauteur de 500.000 euros par an. « S’y ajoute un travail dans la dentelle – et non de la tarification sociale (gratuité des premiers mètres cubes d’eau) qui n’est pas adaptée à Paris – avec des associations, bailleurs sociaux, auprès des usagers en difficulté », indique Célia Blauel.
Vers une eau neutre en carbone
Eau de Paris veut aussi s’engager dans la voie de la neutralité carbone : « Nous ferons sans doute un peu de compensation, pour ses effets immédiats, mais réduirons surtout notre empreinte carbone, ce qui implique de mieux maîtriser nos consommations énergétiques, avec là aussi un chantier lié à la mesure et l’exploitation des données en temps réel », indique Benjamin Gestin. L’établissement contribuera à la plateforme de compensation carbone locale que la ville de Paris veut créer. Côté réduction, il revend déjà l’énergie renouvelable produite grâce aux panneaux photovoltaïques installés sur le toit d’une usine d’eau à L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne). « Nous voulons aller plus loin et pousser jusqu’à l’autoconsommation sur certains sites », conclut Benjamin Gestin.
LA TRIBUNE
Eau de Paris tire le bilan de 10 ans de régie
Le « pari ambitieux et précurseur » de remunicipaliser le service parisien de l’eau, fait par Bertrand Delanoë en 2009 et confirmé ensuite par Anne Hidalgo, a porté ses fruits. C’est du moins le bilan qu’après 10 ans de vie de la régie autonome en tire Célia Blauel, adjointe à la maire de la capitale française, chargée de toutes les questions relatives à la transition écologique et présidente de l’entreprise publique Eau de Paris.
« Les défis ont été relevés au-delà des espérances », a-t-elle souligné lors d’une conférence de presse jeudi 7 mars, en se réjouissant en particulier de la mise en place d’« un modèle intégré de la production à la distribution », d’une gouvernance participative -trois membres du Conseil d’administration sont des représentants de la société civile- et du « prix de l’eau le plus bas de la métropole parisienne ».
« Nous avons atteint un rendement des réseaux de 90,4%, dépassant la moyenne nationale des grandes villes. Entre 2017 et 2019, nous avons ainsi économisé trois millions de mètres cubes d’eau, l’équivalent de la consommation moyenne d’une ville de 50.000 habitants », a ajouté le directeur général d’Eau de Paris, Benjamin Gestin.
« Opérateur de la transition écologique »
Cette capacité à « aller au-delà d’une logique purement marchande » est aussi une force face aux problèmes du changement climatique et de la détérioration de la qualité de l’eau, selon Eau de Paris, qui se veut déjà « opérateur de la transition écologique » voire « démonstrateur des symbioses que la ville doit entretenir avec ses alentours ». L’entreprise envisage ainsi de « doubler le rythme » de ses acquisitions foncières des zones de captage, et de « changer d’échelle » dans la mise en place de de partenariats avec les agriculteurs pour réduire la pollution des sources d’eau par les pesticides -partenariats qui impliquent déjà un soutien technique comme financier à la structuration de filières locales bio.
Elle compte aussi s’impliquer davantage face au problème des îlots de chaleur urbains, en expérimentant dès cet été des « dispositifs innovants » notamment autour des fontaines et des bouches d’incendie. Elle affiche même la volonté de s’aligner sur l’objectif de neutralité carbone de la ville de Paris en 2050, en produisant davantage d’énergies renouvelables -Eau de Paris produit déjà de l’énergie solaire et géothermique-, mais aussi en réduisant sa consommation voire en visant l’autoconsommation.
Comme dans la poursuite de l’objectif de la réduction des fuites, en matière de neutralité carbone aussi « Eau de Paris adoptera une stratégie d’investissement raisonné », pesant chaque choix à l’aune des coûts et des avantages économiques comme écologiques, explique Benjamin Gestin.
Une vision « gagnant gagnant » avec les agriculteurs
L’entreprise compte également profiter de la tenue pendant le premier semestre 2019 du deuxième volet des Assises de l’eau pour porter des propositions de réforme, notamment en matière de protection de la ressource puisque la présidence du groupe de travail sur ce sujet à été confiée à Célia Blauel. Eau de Paris espère notamment mettre à profit ses expériences de partenariats pour dépasser les clivages avec les agriculteurs et promouvoir une vision « gagnant gagnant » misant sur l’alimentation durable. En vue de la Politique agricole commune post-2020, déjà en cours d’élaboration, la régie songe même à proposer l’expérimentation locale d’un nouveau système de distribution des aides agricoles par les Agences de l’eau, « adapté aux besoins des agriculteurs comme aux besoins de protection de la ressource », a raconté Benjamin Gestin à La Tribune.
« Nous avons démontré qu’il est possible de monter une entreprise performante tout en assurant une meilleure participation des citoyens », conclut Célia Blauel, en annonçant même que dès l’année prochaine les Parisiens pourront voter sur une partie du budget d’Eau de Paris.
Ce n’est pas un exemple isolé, souligne-t-elle, en rappelant qu’en France, entre les 50 ans de régie à Strasbourg et les 2 ans à Nice, le mouvement vers la municipalisation des services de l’eau n’a jamais cessé « indépendamment des clivages politiques ». On voit même surgir l’idée d’une extension du même modèle à d’autres services publiques, souligne la maire adjointe, qui affirme s’y intéresser.