Rendre l’eau à la terre: au Maroc aussi!

Françoise Gigleux présente l’ONG franco-marocaine « Migrations & Développement » (M&D) qui organise une rencontre jeudi 9 février à Paris. L’ONG mène des actions dans le massif du Siroua pour faire face au déficit pluviométrique qui touche le Maroc, pour enrayer l’érosion des sols et la perte de biodiversité. Des techniques d’agroécologie sont utilisées pour retenir, recueillir et régénérer les sols, et ainsi réintégrer l’eau de pluie dans le cycle local de l’eau.

« L’œil véritable de la terre, c’est l’eau »,

Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, 1942

Entre 2017 et 2020, le programme ERASMUS intitulé « Eau et Climat » que la Coordination Eau Ile-de-France a porté avec trois autres partenaires dans le cadre du « groupe d’engagement pour l’eau et le climat », a mis en évidence la place essentielle de l’eau dans les problématiques du changement climatique et insisté sur son rôle bénéfique dans la prévention des effets du réchauffement de la planète. La réalité d’étés caniculaires à répétition, l’intensité de phénomènes extrêmes tels que sécheresses, feux de forêt et inondations ne font que souligner toujours plus le lien puissant qui unit ces deux systèmes vivants que sont la terre et le climat dans un dialogue que nous sommes encore trop nombreux à ne pas entendre.

Des chercheurs, que ce soit dans le domaine scientifique ou dans l’application pratique de techniques héritées de la longue histoire et du savoir-faire d’hommes et de femmes, nous ouvrent des perspectives encourageantes pour faire face aux dégradations générées par ces nouvelles conditions de vie sur terre. Nous avions alors fait la connaissance de l’hydrologue slovaque Michal Kravcik (L’udia a Voda, Peuple et eau) qui travaille à empêcher l’eau de courir vers la mer, du Dr Rajendra Singh, « l’homme-eau » indien, qui fait réapparaître les rivières en retenant l’eau de pluie dans des bassins en terre, des johads, et de bien d’autres actrices et acteurs engagés.

« Rendre l’eau à la terre », c’est là que se situe, entre autres, l’implication d’organisations telles que « Migrations & Développement » (M&D), ONG franco-marocaine basée à Marseille, fondée en 1986 par un ressortissant marocain travaillant en France, qui met en œuvre depuis lors des projets de développement durable et solidaire en France et au Maroc. Notamment dans les zones montagneuses de la région Souss-Massa, Atlas et Anti-Atlas et de ses zones limitrophes. L’approche endogène qui fonde son action repose sur la participation des actrices et acteurs du territoire (associations villageoises, communes, coopératives…), sur un principe de solidarité entre migrant-e-s et population des régions d’origine et sur un partenariat avec les autorités locales, articulant les actions avec les politiques publiques locales et nationales.

A ce titre, M&D agit prioritairement pour le renforcement des capacités des acteurs concernés à travers deux principes :

  • La mise en lien des acteurs des territoires avec leur écosystème environnant, afin d’identifier des forces vives et partenaires capables d’offrir autant des débouchés économiques que des compétences (des jeunes diplômés) à mobiliser pour améliorer les conditions socio-économiques.

  • La valorisation et la régénérescence des savoir-faire locaux et des dynamiques endogènes, en les adaptant au nouveau contexte climatique. Par exemple, les pratiques agroécologiques s’adossent aux pratiques ancestrales de paysannerie pour proposer de nouvelles solutions. L’aménagement des bassins versants suit la même logique. (source M&D)

L’inégale répartition des précipitations entre le Sud et le Nord du Maroc, avec les impacts cruciaux qui lui sont liés en matière de ressources en eau et de sécurité alimentaire et hydrique, fait de ce pays méditerranéen un des plus touchés par les effets du changement climatique.  « Dans les faits, l’évolution des sécheresses aggravée par les changements climatiques, engendre des pénuries d’eau qui deviennent structurelles pour un grand nombre de bassins hydrauliques, en ayant des impacts négatifs sur l’ensemble des secteurs usagers d’eau, particulièrement le secteur agricole, et sur la durabilité des ressources en eau » selon le Livre blanc sur les ressources en eau au Maroc du groupe d’experts, lauréats de l’Institut agronomique et vétérinaire (IAV Hassan II, 10/2022).

C’est dans un double souci de partage d’expériences et connaissances, de valorisation de pratiques que M&D a souhaité la rencontre du 9 février 2023 hébergée par l’Agence française de développement, en prenant appui sur une de ses aires d’intervention, le Massif du Siroua, situé dans les régions du Souss-Massa et du Drâa Tafilalet au Maroc, où son action se déroule en consortium avec Terre & Humanisme – PESI.

https://www.migdev.org/actualites/evenement-recueillir-retenir-regenerer-le-9-fevrier-2023-a-paris/

« Conformément au constat dressé dans le cadre du programme AGIR soutenu par l’AFD, cette zone est caractérisée en effet par une importante dégradation des conditions naturelles. La biodiversité écosystémique de ce territoire subit depuis plusieurs décennies des pressions anthropiques, en particulier une gestion pastorale et des défrichages inadaptés ainsi qu’une surexploitation des plantes aromatiques et médicinales. Dans ce contexte, déjà très dégradé et contraint, s’ajoutent aujourd’hui des pressions climatiques. Le massif fait face à :

  1. Une instabilité des pluies (des sècheresses plus longues et récurrentes et des précipitations plus violentes1),

  2. La raréfaction du couvert végétal et la dégradation et la perte des sols

  3. Une faible rétention de l’eau dans les sols et des aquifères profonds

  4. Des modifications microclimatiques locales » (source M&D)

Plusieurs approches se conjuguent pour faire face au déficit pluviométrique qui touche le Maroc, singulièrement ces deux dernières années, pour enrayer l’érosion des sols et la perte de biodiversité.

Cela passe par une mise en cohérence des décisions et actions pour une gestion renouvelée dans le contexte de tensions multiples que connaissent populations, paysages et ressources naturelles en période d’évolution rapide du climat, « de vulnérabilité accrue, d’abandon des pratiques traditionnelles, de ruptures d’alternance des pâturages entre montagnes et bas plateaux », sans oublier la forte pression exercée sur la ressource en eau par les zones côtières. C’est bien connu : l’aval a besoin de l’amont. D’où l’important travail mené par les équipes de M&D et ses partenaires pour l’aménagement des bassins versants, un des dispositifs mis en œuvre pour lutter contre l’érosion et la perte de la végétation.

Le Bassin versant comme territoire dynamique de référence et d’action (cf. croquis à la fin de l’article)

Comme évoqué plus haut, nous nous trouvons dans le massif du Siroua, devant une situation de culture et d’élevage très dégradée qui, à terme, hypothèque les possibilités socio-économiques de la région ainsi que l’engagement de jeunes (filles et hommes) dans l’agriculture locale.

« La détérioration des bassins versants illustre les effets d’entraînement observés sur le territoire. La perte massive des sols fertiles, en partie due au surpâturage et au contexte climatique local, augmente le ruissellement en particulier lors des crues, au détriment de la recharge des aquifères et de l’écoulement des sources à l’aval. Cela entraîne une accentuation locale du climat chaud et sec, faute d’humidité dans les sols et de végétation pour le processus d’évapotranspiration. La baisse des rendements agricoles est alors inévitable, due à cette moindre résilience des bassins versants et à l’irrégularité des pluies. » (source M&D)

Des techniques en agroécologie permettent cependant de retenir, recueillir et régénérer les sols, à savoir de réintégrer l’eau de pluie dans le cycle local de l’eau, amener l’eau dans le paysage à travers des aménagements et plantations qui lui permettent de s’infiltrer, de freiner drastiquement le ruissellement. Sans oublier la valorisation de l’énergie solaire, redevenu agent de vie plutôt qu’agent de destruction lorsque les sols ont retrouvé leur couvert végétal. Les équipes spécialisées de M&D associées aux experts de Terre et Humanisme-PESI réalisent ces aménagements en s’appuyant sur les courbes de niveau, perpendiculairement à la pente, en utilisant les matériaux trouvés sur place (pierres, argile, limons fins…). C’est ainsi que baissières (petits fossés), demi-lunes (bourrelets de terre plus épais en leur centre et affinés aux extrémités) et diguettes anti-érosion (dispositifs antiérosifs composés de blocs de pierres disposées en une ou plusieurs rangées) empêchent l’eau de ruisseler, et créent les conditions de germination et de vie pour les graines et plantes qu’elles abritent en favorisant la régénération des sols et l’infiltration de l’eau. Par phénomène d’entraînement, minéraux et matières organiques se concentrent également à la base de ces petits ouvrages et participent à la fertilisation des sols.

Ce n’est ici qu’un des nombreux exemples d’actions menées pour faire face à la pénurie d’eau, à l’épuisement des aquifères et à la dégradation des sols mais il souligne l’importance du soin porté à la ressource en amont et du respect des écosystèmes porteurs de solidarité, partage et organisation sociale. Que ce soit en matière de gestion participative impliquant une grande diversité d’acteurs ou de mise en valeur de pratiques des populations autochtones, les programmes que portent M&D contribuent à soutenir un modèle de développement qui répond au défi climatique tout en venant en soutien à une agriculture familiale durable. Commun naturel menacé par la marche forcée du productivisme et la financiarisation, l’eau est – et doit rester- cet « œil » qui nous regarde, nous fait vivre et nous relie les uns aux autres, sur les deux rives de la Méditerranée, et au-delà.

Françoise GIGLEUX

1 La diminution des précipitations, ressentie par la population locale, se réfère beaucoup plus aux perturbations saisonnières qu’au total du volume des pluies qui tombe annuellement, qui sous forme de pluies fortes, entraîne des crues et des inondations comme en témoignent les dégâts constatés sur les berges des oueds [rivières].

Une réflexion sur « Rendre l’eau à la terre: au Maroc aussi! »

  1. Bonne analyse. Ce déficit hydrique est aussi ressenti dans le sud ouest de la Tunisie, essentiellement dans la région de Gafsa. Déficit hydrique et pompage de la nappe phréatique ont engendré de graves problèmes pour les populations locales et le bétail…

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