Le 9 février 2023, Jacky Bortoli a participé comme représentant de Grand Paris Sud à la mise en place du Syndicat Eau du Sud Francilien. Une initiative que soutient sans réserve la Coordination EAU Île-de-France. Questions réponses avec un élu vétéran du combat pour l’eau publique dans le sud de l’Île-de-France.
Avec la mise en place d’Eau du Sud Francilien, quel chemin parcouru, n’est-ce pas?
Jacky Bortoli : C’est une grande émotion pour moi, c’est un combat auprès de Philippe Rio, Michel Bisson, de François Durovray, qui m’occupe depuis de longues années. Un combat qui n’a qu’une boussole pour nous tous, celle de l’intérêt général.
Un combat, comme d’autres avant, qui est celui d’une vie d’engagement déterminé à permettre à nos concitoyens de vivre dans de meilleures conditions. L’accès à l’eau n’est certainement pas ce qui coûte le plus cher aux ménages, mais pour ceux qui n’ont rien, ceux qui triment au quotidien pour boucler la fin du mois, ceux qui sont sans cesse plus nombreux et que la finance n’a de cesse d’attaquer, il s’agit là d’une marge supplémentaire au quotidien.
Déjà en 2005, avec d’autres communes de l’Essonne, vous aviez saisi avec succès la Haute Autorité de le Concurrence : à l’époque, la Lyonnaise devenue Suez avait été condamnée pour abus de position dominante. Suez n’avait pas fait appel de cette décision. Pourquoi autant de temps s’est écoulé pour mettre un terme à ce qui est un monopole de fait?
Jacky Bortoli : Avec Suez, comme avec d’autres monopoles, la méthode n’est pas frontale, elle est pernicieuse, elle s’immisce dans le fonctionnement quotidien de nos sociétés. Ce monde est fini, il se doit d’être derrière nous. « Le temps du radicalisme est venu ». Ce ne sont pas mes mots, mais ceux du directeur général de la caisse des dépôts, Éric Lombard. Nous les faisons nôtres.
Il s’agit d’être radical, non pas par principe, mais bien pour poser les conditions d’une société où l’accès aux biens communs est réel, où l’on préserve les ressources dans un monde aux ressources limitées. La transition écologique nous oblige, elle est désormais une évidence qui nous transcende toutes et tous malgré nos clivages politiques.
Cette évidence se traduit aujourd’hui par la création de ce syndicat.
Cette création n’est pas un détail de l’histoire de nos territoires, elle est bien celle d’une volonté collective de se réapproprier les conditions d’une maîtrise publique du cycle de l’eau.
Donc le 9 février 2023 est pour vous une date importante, c’est un aboutissement ?
Jacky Bortoli : Pas du tout, c’est un début! Cette maîtrise permettra demain à nos collectivités d’être pleinement libres de leurs choix. Le monopole de Suez sur la production entraîne mécaniquement celui sur la distribution et l’assainissement, et inversement. Sur Grand Paris Sud, nous avons déjà fait un travail très important, et qui doit être poursuivi, pour décortiquer les contrats, pour en finir avec l’absence de transparence qui a permis des marges éhontées. J’ose le mot : qu’est-ce qui justifie qu’une entreprise facture un service public le double de qu’il coûte ?
Sabrina Soussan, la nouvelle PDG de SUEZ, et tous les acteurs de l’eau en général, font un plaidoyer permanent sur le sous-investissement chronique sur les territoires pour résorber les fuites, réutiliser les eaux usés, et toutes les solutions que les entreprises privées peuvent imaginer. Oui, elles disposent de belles expertises, mais elles doivent avant tout rendre des comptes à leurs actionnaires. Ces chantres de la transition écologique qui courent les médias pour expliquer que les élus locaux manquent à leur responsabilité sont les vrais irresponsables. Ils font monter le prix de l’eau au détriment de la préservation de la ressource et engrangent à leur profit la valeur ajoutée: à eux les dividendes, aux élus les fuites, aux usagers la sobriété et la facture.
Vous y allez un peu fort !
Jacky Bortoli : Un peu fort ? 500 millions d’euros : selon nos estimations sur les vingt dernières années, c’est la somme qui est remontée à la maison mère d’Eau du Sud Parisien, rien que sur la production d’eau avec le Réseau interconnecté du sud francilien (RISF).
Mais je n’oublie pas notre responsabilité : chacun ici est capable de refaire l’histoire d’une urbanisation non maîtrisée, où l’État a confié les clés à la Lyonnaise des Eaux par manque d’ambition pour l’aménagement des territoires de la périphérie de Paris. Suez se revendique propriétaire, nous, nous revendiquons la propriété publique de tous ces ouvrages. Ce sont nos factures d’eau qui les ont financés.
Dès lors, on comprend mieux pourquoi Suez s’attache comme une moule à son rocher, à ce qui constitue une des dernières situations atypiques de ce pays; l’entreprise voit la détermination des élus comme un danger pour ce qui constitue une véritable manne financière au bénéfice d’actionnaires peu scrupuleux.
Nous souhaitons y mettre fin, nous sommes déterminés, et les concessions qui seront faites ne vaudront pas solde de tout compte, elles seront celles d’un chemin qui prend en compte l’histoire douloureuse d’un territoire éveillé, qui a comme seule direction l’intérêt général pour les habitants qui y vivent.