Après deux ans de travaux, le nouveau Plan d’Adaptation au Changement Climatique a été présenté le 25 octobre. Il contient des mesures pour s’adapter à un réchauffement de 4°. Ceci correspond à un des scénarios du GIEC, celui où l’on continue sur la trajectoire actuelle (business as usual). S’adapter est-il la seule solution ? Et y a-t-il un lien avec la défense de la biodiversité, à l’heure où s’ouvre la COP 16 ? Par Daniel Hofnung, co-président de la Coordination EAU IDF.
En 2020, Leclère et alt. avaient publié dans « Nature » un tout autre scénario, portant sur la restauration de la biodiversité. Le directeur national pour l’Inde de CIFOR-ICRAF, centre de recherche international sur l’agroforesterie et les forêts, Chandrashekhar Biradar avait présenté une image synthétisant cet article dans son intervention lors de la conférence « Gestion de l’eau et changement climatique » à Dharwad (Inde) en janvier 2023. J’y avais été invité. Face au « business as usual » et aux 4° de réchauffement, un scénario d’augmentation des efforts de préservation (essentiellement des forêts) pourrait limiter le réchauffement à 2°c, en l’absence d’actions sur le système. Mieux, un changement global au niveau de la consommation (baisse de la consommation de viande), une autre agriculture plus soutenable que l’agriculture industrielle actuelle et l’agroforesterie, avec plus d’arbres partout où on peut (programme TOFI /Trees Outside Forests in India, mené dans 7 états de l’Inde), plus d’efforts de conservation des forêts et leur restauration pourraient conduire à un tout autre scénario : une inversion de la courbe du réchauffement climatique vers 2040, suivie d’un rafraîchissement constant jusqu’en 2100, pour arriver à cette date à un réchauffement nul, c’est à dire, un peu au dessus des températures de l’époque préindustrielle.
L’article original et les annexes ne donnaient pas ces températures, et portaient sur la restauration de la biodiversité. Chandrashekhar Biradar, avec lequel j’ai échangé sur le sujet, a ajouté les températures en se basant sur son expérience de l’agroforesterie en Inde. Ils ont transformé radicalement des terrains autrefois desséchés où la chaleur était torride.
L’absence de justification scientifique peut ici laisser sceptique, mais des expérimentations sur le terrain qui marchent sont essentielles. C’est le cas de celles menées par Rajendra Singh « Water Man of India », avec près de 40 ans d’action pour conserver l’eau là où elle tombe dans un district semi-désertique du Rajasthan. L’eau de mousson a été collectée dans des retenues non-étanches et infiltrée dans les nappes phréatiques, avec une reforestation massive. Le niveau de la nappe est remonté alors qu’il était descendu avec les cultures intensives de la révolution verte irriguées à l’aide de forages. La végétation est devenue luxuriante. Dix-sept rivières autrefois à sec une partie de l’année coulent à nouveau en permanence, abondantes, et, cerise sur le gâteau, la température moyenne a baissé ! Un programme similaire a été développé ensuite avec succès dans plusieurs districts du Rajasthan puis dans le deuxième état plus peuplé de l’Inde, le Maharastra, ainsi que dans le Haryana (voisin de New-Delhi).
A l’heure où vient de s’ouvrir à Cali en Colombie la COP 16 – Convention des parties sur la Diversité Biologique, le lien entre lutte contre le changement climatique et préservation de la diversité biologique est particulièrement important.
Le Mouvement Mondial pour la Forêt Tropicale vient de publier une alerte à l’ouverture de la COP 16. La destruction de l’environnement suite aux politiques menées et à l’action des grandes entreprises a des conséquences de plus en plus importantes : 54 % des zones humides ont disparu depuis 1900 ; la dégradation des terres est à l’origine de la disparition de l’extinction d’un sixième des espèces vivantes. 50 % de l’expansion agricole entre 1980 et 2000 s’est faite sur des forêts tropicales rasées. En Asie, la plantation de palmiers à huile est la principale cause de pertes de forêts. Avant de prendre des engagements, il faudrait arrêter la destruction de l’environnement par les sociétés privées qui exploitent des mines, les compagnies pétrolières extractives, l’agro-industrie, les plantations, les grands barrages et d’autres industries. Or cette destruction continue.
Et plus de 85 % des pays n’ont pas transmis leurs nouveaux engagements sur la biodiversité dans le délai prescrit.
Les objectifs de préservation de 30 % de la planète en 2030 au niveau de la biodiversité (objectif 30×30) peut amener des zones de préservation imposées aux communautés locales, qui vivent pourtant en accord avec la nature.
Une autre menace particulièrement inquiétante est l’introduction de mécanismes de compensation des pertes de biodiversité et de crédits biodiversité, sur le modèle de ce qui se fait déjà au niveau du carbone sur le climat : ces compensations peuvent déposséder les communautés rurales, rivaliser avec des programmes locaux d’agroécologie, nuir au droit des petites exploitations d’utiliser les terres et les forêts.
Il faudrait par exemple cesser des projets tels que celui de Sequoia au Gabon qui plante 60.000 hectares d’eucalyptus pour obtenir des crédits carbone et se heurte à la résistance des communautés locales, et stopper une société pétrolière qui s’empare de terres pour faire des plantations d’arbres pour la marché du carbone en République du Congo : ces plantations uniformes destinées au commerce du bois ne remplacent en aucune manière des forêts naturelles. Et plus globalement, ne pas recourir au système de crédits biodiversité ou de compensation biodiversité calqués sur les crédits et la compensation carbone qui ne feraient que favoriser les intérêts des groupes financiers issus des pays les plus développés.
A l’opposé, quelques exemples positifs qu’il faudrait valoriser existent : en 25 ans, le Népal, grâce à l’instauration de la gestion communautaire, a doublé sa surface de forêts. En 27 ans, le Costa-Rica, a recréé des forêts sur la moitié de son territoire en rémunérant les population rurales pour les services environnementaux, financé par un impôt sur les énergies fossiles.
La réduction des gaz à effets de serre est-elle pour autant négligée ? Pas du tout, elle peut être abordée autrement, en faisant « un pas de côté ». Grâce à une agriculture qui régénère les sols, du carbone y est stocké. A l’opposé, en France le taux de matière organique dans le sol est passé de 4 % dans les années 60 à 1,7 % environ. Il y a donc moins d’humus dans les sols, moins de porosité, moins de capacité de rétention d’eau, moins de résilience à la sécheresse. Quant à la forêt, si elle remplaçait dans le monde les cultures de soja ou de maïs destinées à l’élevage industriel, ce serait une réserve de carbone bien plus efficace que les projets fumeux de stockage de CO2 imaginés par les industriels. Et plus besoin, bien sûr, de ces ouvrages dispendieux – les mégabassines – destinés à stocker de l’eau pour irriguer une agriculture conventionnelle qui pollue nos sols avec ses pesticides et tue la biodiversité.
Ce n’est pas l’adaptation à un monde de 4° plus chaud que le nôtre qui devrait être à l’ordre du jour : c’est le changement de nos méthodes de production, pour travailler avec la nature et non avec la chimie, le changement de notre consommation, en réduisant l’alimentation carnée. C’est la restauration massive des forêts, et la restauration du cycle de l’eau. C’est la justice sociale pour que l’eau soit le bien commun de tous, et non accaparée par une minorité pour ses profits.
La vie, impliquant le respect de la diversité biologique, est à l’origine du climat actuel de la Terre, qui s’est établi avec elle au cours de millions – voir de milliards – d’années.
En sauvegardant la biodiversité, il est possible d’aller vers non une adaptation mais une atténuation (voire plus) du réchauffement climatique.
La restauration de la biodiversité est une base essentielle pour retrouver une planète où la vie s’épanouirait dans des conditions optimales, c’est à dire où le climat y serait restauré.
Et la condition pour y parvenir est un changement radical de notre agriculture, l’arrêt total de la déforestation partout sur la planète, la restauration des milieux naturels, en particulier au niveau du cycle de l’eau et l’évolution de nos habitudes de consommation avec la baisse de l’alimentation carnée. Cela permettrait de retrouver, dans des pays tropicaux, à la place de prairies ou de cultures de soja, de maïs ou palmiers à huile des espaces de forêts d’origine en bord de mer permettant de restaurer les « rivières aériennes de vapeur » qui alimentent la pluviométrie sur les continents et s’amenuisent actuellement, avec des conséquences sur le climat.
La COP 16, hélas, risque de s’engager vers des fausses solutions qui peuvent aggraver la situation actuelle. Espérons que ce ne seront pas les seules et que des engagements positifs seront pris, en mettant les moyens nécessaires !