Député.e.s et élu.e.s chargé.e.s de l’eau de plusieurs intercommunalités interpellent les ministres de la santé et de la transition écologique dans une lettre ouverte. La méthode de l’ordonnance, préférée par le gouvernement, au débat parlementaire est critiquée. Sur le fond, les propositions sont insuffisantes pour concrétiser le droit humain à l’eau et à l’assainissement pour tou.te.s.
Monsieur le ministre de la Santé et de la Prévention
Monsieur le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires
La transposition de la directive UE 2020/2184 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, dite directive eau potable, est en cours de travail par vos administrations respectives. La date butoir de la transposition est le 12 janvier 2023. L’article 16 prévoit une amélioration de l’accès à l’eau, en particulier pour les publics vulnérables, comme les personnes réfugiées, sans domicile fixe et les groupes marginalisés.
La refonte de cette directive a notamment pour origine l’initiative citoyenne européenne “Right2Water” qui a rassemblé 1,6 million de signatures. Le but de cette mobilisation sans précédent des associations, des syndicats et des élus sur la question de l’eau était de faire reconnaître le droit à l’eau dans la législation européenne et par voie de conséquence dans les différentes législations nationales des États membres.
Dans ce contexte, le gouvernement, par l’article 37 de la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des transports, de l’environnement, de l’économie et des finances, a prévu de transposer la directive par voie d’ordonnances et par voie réglementaire en modifiant des articles essentiels portant sur la gestion de l’eau potable dans le code général des collectivités territoriales, le code de l’environnement et le code de la santé publique.
Sur la forme, la méthode pose problème. La France vit une crise de l’eau. En témoigne la sécheresse réduisant fortement le niveau des masses d’eau souterraines et superficielles et qui impacte les terres agricoles et des industries stratégiques dont l’activité des centrales nucléaires. En témoignent aussi les multiples facteurs conduisant au non accès à l’eau dans plusieurs territoires du pays et notamment d’Outre-mer : fuites d’eau, tarifs parfois excessifs qui dépassent les capacités des ménages les plus précaires, réseaux ne couvrant pas la totalité des territoires habités, manque voire absence d’infrastructures publiques et gratuites, défiance de la population envers la qualité (chlordécone aux Antilles, métabolites), eau parfois impropre à la consommation au robinet, tours d’eau et dettes pour des factures impayées sans que l’eau n’ait été distribuée en Outre-mer, taux de raccordement à l’eau potable et aux sanitaires très faible dans les campements et les bidonvilles… Dans les campements de réfugiés sur le littoral Nord de la France, les autorités ne respectent même pas les critères internationaux et humanitaires d’accès à l’eau.
Tous ces éléments plaident pour que le Parlement soit saisi d’un projet de loi portant sur la transposition de la directive eau potable. La méthode de l’ordonnance qui réduit la place donnée au débat au sein de la représentation nationale nous interpelle. Les projets de décret et d’ordonnance n’ont pas été soumis aux parlementaires. Les associations ont certes été consultées mais seulement en toute fin de processus interministériel. Leurs marges de manœuvre sont quasi nulles.
Sur le fond, les propositions du gouvernement sont insuffisantes. Certes on peut noter des avancées quand le gouvernement prévoit de créer un article disposant que “Toute personne physique a accès quotidiennement à son domicile ou à défaut à proximité de son domicile ou de son lieu de vie, à une quantité suffisante d’eau destinée à la consommation humaine pour son alimentation, sa boisson, son hygiène corporelle, pour l’hygiène générale et la propreté de son domicile ou de son lieu de vie.” Nous pouvons également nous satisfaire que le projet de décret donne l’objectif de fournir “un volume minimal d’eau compris entre 50 et 100 litres d’eau par personne et par jour au domicile ou lieu de vie des personnes ou, à défaut, en un point d’accès le plus proche possible” reprenant ainsi les normes de l’Organisation mondiale de la santé. Pour autant, le droit humain à l’eau et à l’assainissement n’est pas reconnu et la formulation des articles jette le doute sur la concrétisation de ces dispositions par les collectivités et leur opposabilité dans le cadre de la justice administrative. De plus, rien n’est dit de la distance entre les habitations entre le raccordement ni des conditions de distributions de ces 50 à 100 litres : seront-ils gratuits ? Seront-ils à un tarif minimal ? L’article mentionne “l’objectif” de “la fourniture”, ce qui ne laisse rien présager de très contraignant.
D’autres dispositions de la transposition interrogent. Les communes et leurs établissements publics de coopération sont appelés à tenir compte “des perspectives et des circonstances locales et culturelles en matière de distribution d’eau pour favoriser l’accès de tous à l’eau” potable. Quelles différences culturelles justifient une inégalité de traitement en matière d’accès à l’eau potable ? La transposition doit améliorer les situations particulières des DROM, des Roms, des migrants, ces derniers étant très discriminés en matière d’accès à l’eau, l’assainissement et l’hygiène. Dans quelle mesure ces textes seront-ils donc opposables ?
Le projet d’ordonnance exclut de son périmètre les “interruptions normales du service de distribution d’eau et aux situations de ruptures quantitatives et qualitatives de l’approvisionnement en eau”. Nous pouvons comprendre la logique sous-jacente. Cependant, les interruptions de service dans les territoires d’Outre-mer sont monnaie courante et sont parfois la norme. Doit-on s’en satisfaire ? Par ailleurs, les épisodes de sécheresse se multiplieront et avec eux les risques d’interruption de service. La continuité du service public et de l’accès à l’eau pour tous doit pourtant toujours et en toute circonstance être organisée. Enfin, le projet d’ordonnance et de décret prévoit la réalisation par les communes et leurs groupements de diagnostic territoriaux concernant les « personnes n’ayant pas accès à l’eau potable, ou ayant un accès limité, ainsi que les raisons expliquant cet état de fait”. Il est important d’associer les acteurs locaux, associations, syndicats, collectifs locaux et les habitants à l’élaboration de ce diagnostic. Pour être utile, celui-ci devrait être contraignant et opposable, à la fois en termes d’identification des personnes ayant un accès insuffisant à l’eau et en termes de mise en œuvre concrète de mesures adaptées.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous exigeons a minima que les élus locaux et le Parlement soient associés à la transposition de la directive eau potable car elle mérite un débat politique et la mise en lumière de différentes options politiques. Le Parlement pourrait même être saisi pour l’évaluation de la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions. Mieux, le Gouvernement doit présenter un projet de loi qui transpose la directive dans les plus brefs délais. En tout état de cause, des parlementaires déposeront des propositions de loi sur l’accès à l’eau, sa tarification, la gratuité des mètres cubes vitaux et la qualité de l’eau potable veillant à transposer la directive eau potable.
Recevez, Messieurs les ministres, nos respectueuses salutations.
Gabriel Amard, Lisa Belluco, Aymeric Caron, Sylvain Carrière, Catherine Couturier, Clémence Guetté, Manon Meunier, Marie Pochon, Loïc Prud’homme, Anne Stambach-Terrenoir – Député.e.s
Anne Grosperrin, Vice-Présidente délégué au cycle de l’eau à la Métropole de Lyon
Florestan Groult, Vice-Président, commission usagers et droit à l’eau d’Eau Publique du Grand Lyon
Jean-Claude Oliva, Vice-Président d’Est Ensemble, chargé de l’Eau et de l’Assainissement, conseiller municipal de Bagnolet
René Revol, Maire de Grabels, Vice-Président de Montpellier Méditerranée Métropole, délégué à la gestion raisonnée écologique et solidaire de l’eau et de l’assainissement