Vent de Slovaquie

2018 a été l’année la plus chaude en France depuis le début des relevés météorologiques. Une situation qui motive l’engagement de notre association dans un projet européen Erasmus + en faveur de l’eau et du climat. Dans ce cadre, retour sur la visite de terrain en mai 2018 à nos partenaires slovaques de l’ONG « L’udia a voda » (peuple et eau). Face aux dérèglements climatiques, des alternatives de terrain se développent avec succès depuis dix ans en Slovaquie mais font trop souvent l’objet de résistances de la part des pouvoirs publics. Par Jean-Claude Oliva, directeur de la Coordination Eau Île-de-France.

Petits ouvrages de ralentissement des eaux dans la forêt de Granc-Petrovce. Photo Jérômine Derigny.

Premier mai. Arrivée à Kosice. La deuxième ville de Slovaquie a de larges avenues à la soviétique. Des grands carrés d’immeubles en béton défraichi entourent des terrains vagues et verts. Il fait chaud, très chaud en ce début du mois de mai, le thermomètre indique plus de 25°c, soit 10° de plus que la normale saisonnière. Le dérèglement climatique et comment y faire face, c’est justement le sujet du séminaire qui, dans le cadre d’un projet Erasmus+, « groupe d’engagement pour l’eau et le climat », va réunir pendant plusieurs jours une quinzaine d’activistes de la Coordination Eau Île-de-France, de la Coordination Eau bien commun Auvergne Rhône-Alpes, et du Flow Partnership, une organisation basée en Angleterre, autour de Michal Kravcik, ingénieur hydrologue et président de l’ONG « L’udia a voda » (peuple et eau).

L’hôtel qui accueille la réunion se trouve sous les gradins du stade du Locomotive, le club légendaire de Kosice. L’occasion pour Michal Kravcik de revenir sur son parcours et de présenter ses conceptions. Quand l’histoire commence, malgré la révolution de velours qui a provoqué la chute du régime communiste, les anciennes conceptions privilégiant le centralisme et les grands travaux perdurent. En 1992, le nouveau régime relance une vieille idée de construction d’un grand barrage à Tichy Potok, censé assurer l’approvisionnement en eau des villes de l’est de la Slovaquie. Ce projet noierait des villages vieux de 700 ans et détruirait les paysages ruraux. Michal Kravcik propose un plan alternatif, « l’eau pour le 3e millénaire » qui s’appuie sur la décroissance de la consommation d’eau dans les villes et la réparation des réseaux en mauvais état ainsi que sur l’existence de réserves d’eau non utilisées. Il met en avant les petits barrages, une gestion décentralisée de l’eau et la restauration des terres agricoles. En 1998, les partisans du barrage sont défaits aux élections et le projet est abandonné. En 1999, Michal Kravcik obtient le prix Goldmann, équivalent du prix Nobel pour l’environnement, pour l’Europe pour son action… Mais il lui faudra encore attendre des années pour voir ses idées se concrétiser sur le terrain.

Michal Kravcik. Photo Jérômine Derigny.

L’occasion se présente au printemps et à l’été 2011, la Slovaquie est alors dévastée par des pluies torrentielles et des inondations. Dans cette crise, Michal Kravcik sera enfin entendu. En octobre, le gouvernement slovaque adopte son programme d’actions. Pendant une courte période de 18 mois, Michal et son équipe pourront mettre en œuvre leurs idées sur le terrain avec la participation de près de 500 collectivités locales et la création d’une centaine de petites réserves d’eau qui retiennent 10 millions de m3 sur des terres dégradées. L’effet est immédiat pour ces villages pour lesquels les inondations ne sont plus qu’un mauvais souvenir. Les réserves d’eau servent aussi à l’irrigation pendant la sécheresse qui constitue une autre menace pour l’agriculture. Cependant l’expérience s’achève avec un changement de gouvernement et les collectivités ne trouveront pas les ressources propres pour continuer.

C’est la réalité que nous allons découvrir sur le terrain. Le lendemain, départ à l’aube pour Dubrava, à 80 km de Kosice, à 600 mètres d’altitude. Le village est à la limite de la forêt et à flanc de montagnes qui culminent entre 800 et 1000 mètres. A la fois touristique et agricole, le petit village compte 300 habitants et a bénéficié, il y a huit ans, d’aménagements destinés à régénérer la nature et le paysage. Car ce qui le menace, c’est l’érosion qui emporte les sols. Situé près des sommets, le village n’est pas lui-même directement concerné par les inondations. Mais il se trouve en amont de petits cours d’eau comme la Kyselka, qui se jette dans l’Ol’savec, qui a causé à de nombreuses reprises de gros dégâts dans le village Ol’savka, en aval. En prenant un chemin à flanc de colline, on se retrouve rapidement au-dessus d’un vallon naissant. C’est là qu’ont été implantés les premiers petits barrages, constitués de terre. Il y a un petit barrage chaque dix mètres environ. Par ce beau jour de printemps, ils sont à sec, bien sûr. Au moment des fortes précipitations d’été, ils se remplissent et stockent temporairement l’eau. Cela suffit à éviter les inondations. Une partie de l’eau va s’infiltrer dans le sol, une autre va s’évaporer, le reste va s’écouler plus lentement, ce qui évite une brusque montée des eaux en aval. Une centaine de mètres plus bas se trouve un ouvrage plus important : il s’agit d’un étang à poissons qui outre sa fonction de retenue d’eau, apporte une valeur ajoutée au village. Mais il se remplit petit à petit de sédiments et il va falloir le vider ou en construire un nouveau…

Le maire, Andrej Hovancik, explique que les petits barrages et l’étang ont été réalisés dans un laps de temps très court – « quand les fonds arrivent, il faut vite les dépenser avant qu’il n’y en ait plus » ! C’est une main d’œuvre composée des dix chômeurs du village qui a été employée avec un financement du fonds social européen. Quand le programme national s’est arrêté (suite à un changement de gouvernement), les projets ont été stoppés. Il regrette que la compagnie des eaux et les villages impactés n’aient pas pris le relais. Cependant cette action a conduit à une prise de conscience inédite au sein de son village qui a modifié ses règles d’urbanisme pour imposer aux nouvelles constructions que la majorité des eaux pluviales soient infiltrées sur la parcelle plutôt que rejetées dans les rus alentours.

En discussion avec le Maire… Photo Jérômine Derigny.

L’après-midi, direction la vallée voisine où se trouve le village de Granc-Petrovce. Le village était inondé par les eaux ruisselant à travers champs à chaque forte pluie, rendant tout le quartier autour d’une biscuiterie, inhabitable. Une impressionnante panoplie de petits dispositifs ingénieux a été déployée pour remédier à la situation. Une série de bassins plantés de roseaux longe la route construite à travers champs conduisant au village. Sur le versant opposé et plus raide, des bassins successifs sont placés au bord d’un chemin de terre. En remontant, ce chemin, à la lisière de la forêt et des champs cultivés, il y a un fossé creusé pour éviter que l’eau ruisselle de la forêt aux champs. Enfin dans la forêt, les petits vallons sont garnis de multiples barrages de troncs qui ralentissent et retiennent l’eau sur place. Cet ensemble qui date maintenant de huit ans, fonctionne toujours bien, à tel point que de nouvelles constructions sont apparues dans la zone autrefois inondée. Le maire est enchanté des résultats et sa commune s’occupe de l’entretien des installations, ce qui n’est pas le cas général. Mais l’enjeu est trop important pour le village, « même si les gens oublient vite ».

Trois noues à flanc de coteau à Kosice. Photo Jérômine Derigny.

Ces expériences existent aussi en milieu urbain, c’est ce que nous verrons le troisième jour à Kosice. Un quartier de grandes barres domine un vallon évasé au fond duquel se trouve un tennis. L’érosion emportait par plaques entières la terre et la végétation du parc de trois hectares situé à flanc de coteau et le tennis était inondé… Trois noues parallèles et horizontales ont été mises en place avec un trop-plein qui s’évacue au fond d’un champ voisin formant à l’occasion un petit étang. Kosice a remporté un prix européen de l’innovation doté de dix millions d’euros pour mettre en œuvre ces actions. Mais un changement politique, cette fois au niveau municipal, met fin à l’expérience et l’argent restant est utilisé pour construire des barrières anti-crues. Et la ville continue à dépenser chaque année dix millions d’euros pour évacuer ses eaux de pluie. Les idées nouvelles existent, sont expérimentées avec succès, mais peinent encore à s’imposer. Le changement climatique global causé par les activités humaines est combattu et recule sur le terrain grâce à de bonnes pratiques de gestion de l’eau qui exigent des investissements minimes, mais aussi une forte volonté politique, qui elle, n’est pas toujours au rendez-vous.

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