À Marseille, le lobby mondial de l’eau sous pression

Le Conseil mondial de l’eau, basé à Marseille et généreusement soutenu par son équipe municipale, avait été imaginé par Veolia et les autres géants du secteur pour asseoir l’hégémonie du secteur privé sur le débat international. Organisateur tous les trois ans de « Forums mondiaux de l’eau » très contestés, il est aujourd’hui au centre d’une bataille juridique avec des organisations de la société civile qui veulent mettre à nu ce qu’il est réellement : une structure de lobbying au service des industriels. Un article d’Olivier Petitjean dans l’Observatoire des multinationales.

De l’échelle locale aux institutions internationales, Suez, Veolia et les autres industriels de l’eau ont créé des dizaines de structures de lobbying. Associations professionnelles, structures dédiées à la recherche, think tanks, coalitions et autres plateformes… elles ont toutes en commun de favoriser plus ou moins ouvertement la gestion privée de cette ressource vitale entre toutes. Parmi ces structures, l’une des plus emblématiques est sans doute le « Conseil mondial de l’eau », créé à Marseille par un dirigeant de Veolia, Loïc Fauchon, très liée à l’équipe municipale en place, et dont l’ambition n’est rien moins que de se substituer à cette organisation internationale de l’eau qui fait aujourd’hui défaut dans le système de l’ONU… mais qui serait contrôlée de fait par le secteur privé.

C’est le Conseil mondial de l’eau qui organise tous les trois ans le « Forum mondial de l’eau », un grand raout international censé réunir tous les acteurs de l’eau. En 2012, il s’était tenu à Marseille, en 2015 en Corée, et en 2018 à Brasilia. Le prochain doit se tenir à Dakar, au Sénégal. Quoique contrôlé par un petit groupe de personnalités liées au secteur privé et presque exclusivement issues des pays occidentaux, le Conseil mondial de l’eau se veut un espace « multi-parties prenantes » – selon le jargon aujourd’hui en vogue parmi les multinationales et dans le système onusien – autrement dit un espace où se rencontrent et « collaborent » sans friction entreprises, associations, pouvoirs publics et chercheurs, pour apporter leurs « solutions » aux grands enjeux mondiaux de l’eau sous l’égide discrète de Suez et Veolia – solutions qui, sans surprise, accorde toujours un large rôle au secteur privé.

Entrisme

Inutile de dire qu’auprès d’un grand nombre d’acteurs de la société civile, et en particulier les mouvements citoyens directement confrontés à la privatisation de l’eau et aux effets néfastes de la quête de profit du secteur privé, ce discours consensualiste a du mal à passer. C’est pourquoi ils organisent depuis plusieurs années leurs propre « contre-sommet » en marge du Forum officiel. Aujourd’hui, certains cherchent à aller encore plus loin. Prenant au mot la prétention du Conseil mondial de l’eau à représenter tous les acteurs du secteur, des militants indiens emmenés par Rajendra Singh – connu pour son action de combat contre la désertification en Inde – ont appelé ONG et mouvements sociaux à adhérer en masse à la structure en vue de sa prochaine assemblée générale annuelle, qui doit se tenir le 28 novembre prochain. Ce que permettent théoriquement les statuts de cette association loi 1901. Avec pour programme une réorientation radicale de cette entité et de ses objectifs.

Confrontés à un afflux de demandes d’adhésion, les dirigeants du Conseil mondial de l’eau les ont refusées, sous prétexte qu’il y aurait trop d’Indiens parmi les membres. D’autres associations qui ont répondu à l’appel de Rajendra Singh, comme la Coordination Eau Ile-de-France, ont également été refusées. Ayant vue leurs demandes de médiation rejetées, les militants ont décidé d’assigner le Conseil mondial de l’eau devant le Tribunal de grande instance de Marseille.

De fait, le Conseil mondial de l’eau est déjà en crise. Ses dirigeants sont impliqués dans les procédures judiciaires en cours autour de la passation des contrats de privatisation de l’eau et de l’assainissement de la métropole marseillaise en 2013 (lire nos articles ici et ). Loïc Fauchon a été placé en garde-à-vue et a récemment annoncé son départ à la retraite. Les aides exorbitantes accordées au Conseil mondial de l’eau par la ville de Marseille (subvention annuelle de 440 000 euros, mise à disposition de locaux et de fonctionnaires…) sont également sur la sellette. Enfin, le Conseil mondial de l’eau peine de plus en plus à trouver des candidats pour organiser les Forums mondiaux de l’eau, événements très coûteux pour les pays hôtes et dont l’intérêt est sujet à débat. Sa prétention à parler au nom de tout le secteur de l’eau paraît moins crédible que jamais.

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