Archives de catégorie : Droit à l’eau & Tarification

Les entreprises de l’eau doivent respecter la loi

Tribune d’Emmanuel Poilane, directeur de la Fondation France-Libertés, de Henri Smets de la Coalition Eau et de Jean-Claude Oliva, directeur de la Coordination Eau Île-de-France, publiée dans le Huffington Post.

Depuis 2013, les distributeurs d’eau ne peuvent plus couper l’eau des ménages pour cause de non-paiement des factures d’eau. Après avoir demandé et obtenu une clarification de la loi, après avoir perdu des recours devant près d’une dizaine de tribunaux, après avoir tenté sans succès de modifier la loi au Parlement et finalement après avoir échoué à faire déclarer la loi contraire à la Constitution, il ne reste plus aux distributeurs qu’à mettre la loi Brottes en vigueur… s’ils le veulent bien.

La Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et en Régie (FNCCR) qui représente l’ensemble des régies et les municipalités l’a parfaitement compris et a expliqué à ses membres qu’il était désormais interdit de couper l’eau pour factures impayées lorsqu’il s’agit de la résidence principale d’une personne ou famille. La Régie Publique Noréade dans le Nord, par exemple, n’a pas attendu pour annoncer qu’elle renonçait aux coupures d’eau.

En revanche, on attend toujours que la FP2E qui représente les entreprises délégataires, notamment Veolia, Suez Environnement et Saur, fasse connaître sa position sur l’interdiction des coupures d’eau que la loi a prescrit.

Alors que nous savons que Suez Environnement a passé le message en interne pour stopper les coupures d’eau, elles continuent chez Veolia ou Saur comme si la loi n’existait pas. L’eau ne coule toujours pas chez des personnes démunies qui ont accumulé des impayés. De nouveaux ménages sont privés d’eau sans la moindre base légale et malgré la décision récente du Conseil constitutionnel. Les votes du législateur comme les décisions des tribunaux concernant les coupures d’eau restent lettre morte comme si certains distributeurs, chargés de gérer notre service public de l’eau, avaient le choix entre se conformer à la loi ou la défier tant qu’ils n’étaient pas poursuivis.

Nous lançons un appel aux élus responsables de collectivités (communes, intercommunalités, syndicats…) pour qu’ils exigent de leurs délégataires qu’ils respectent la loi. Nos organisations s’insurgent que le droit à l’eau soit cyniquement bafoué.

Les réductions de débit d’eau toujours illégales

Dernière minute : l’amendement de François Brottes autorisant les réductions de débit a été retiré! Voir ci-dessous les propos du député, lors de l’adoption définitive de la loi sur la transition énergétique le 25 juillet 2015:

 « Le débat auquel a trait cet amendement est fait de plusieurs épisodes. Il s’agit de la question des coupures d’eau qui ont été interdites par le Conseil constitutionnel, au motif que l’on ne se fait pas justice soi-même. J’avais proposé, avant que le Conseil constitutionnel ne statue dans une question prioritaire de constitutionnalité, de moduler la sanction pour ceux qui seraient de mauvaise foi. Le Sénat, avec le soutien du Gouvernement, a considéré qu’il ne fallait pas apporter une telle précision.

Il me semble désormais que, puisque la décision du Conseil constitutionnel a permis de stabiliser le texte, toute complication risquerait d’entraîner une nouvelle saisine et de déstabiliser de nouveau le dispositif. J’assume donc de retirer la proposition que j’avais faite à l’occasion de la nouvelle lecture. »

Les réductions de débit restent donc illégales!

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La décision du Conseil constitutionnel du 29 mai a confirmé l’illégalité des coupures d’eau pour impayés. Et les réductions de débit ne sont pas autorisées non plus.

Explications et point de vue d’Henri Smets, Président de l’ADEDE, membre de la Coalition Eau.

Autrefois, les règlements de nombreux services d’eau permettaient d’effectuer une réduction du débit d’alimentation en eau en cas d’impayés. Depuis 2008, ces réductions étaient devenues totalement illégales [1] mais cela n’a pas empêché certains grands distributeurs de continuer sans être inquiétés à les pratiquer sur une grande échelle. Dans une réponse en 2011 au Sénateur Paul Raoult qui suggérait de mettre en œuvre les réductions de débit moins pénalisantes que les coupures d’eau, la Ministre du développement durable de l’époque s’était prononcée en faveur du maintien de l’interdiction des réductions de débit.

En avril 2015, le député François Brottes a déposé un amendement législatif à la fois pour confirmer l’interdiction des coupures d’eau en général (loi Brottes du 15 avril 2013), pour interdire les réductions de débit chez les usagers démunis et pour autoriser les réductions de débit en cas d’impayés dans le seul cas d’usagers capables de payer leurs factures d’eau. [2] Mais cet amendement a été retiré au moment de l’adoption définitive de la loi fin juillet.

Vu le coût élevé d’une intervention de réduction de débit (plus de 100 € pour la pose d’une lentille pour réduction de débit et son enlèvement ultérieur), leur intérêt économique n’était pas évident  de toute façon tant que la dette ou le retard de paiement restait faible.

La nouvelle disposition incluse dans le projet de loi constitue un progrès évident en matière de droit à l’eau car plus personne en France ne pourra être privé d’eau dans sa résidence principale en cas d’impayés. Payée ou pas, l’eau potable devra toujours être fournie pour satisfaire les besoins de chaque usager. Les distributeurs pourront exercer des recours contre les mauvais payeurs comme dans toute situation de non-respect d’un contrat, mais ils ne pourront pas les priver d’eau, ni totalement, ni partiellement, sauf avec l’accord préalable d’un juge au vu de la situation concrète. Nul ne peut se faire justice à soi-même…

[1]Selon le Ministère de l’Ecologie, «  L’article 1er du décret N°2008-780, interdit de réduire le débit de fourniture d’eau aux abonnés en situation d’impayés ». Voir J.O. Sénat, Réponse publiée le 3/3/2011.

[2] L’amendement n°822 présenté le 15 /4/2014 par
M. Brottes, M. Blein et Mme Bareigts, rapporteure porte sur l’article 60 bisA du projet de loi sur la transition énergétique et vise à compléter le troisième alinéa de l’article L. 115‐3 du Code de l’action sociale et des familles par une phrase ainsi rédigée : « Ils peuvent procéder à une réduction de débit, sauf pour les personnes ou familles mentionnées au premier alinéa du présent article ». Il a été adopté en Nouvelle lecture par l’Assemblée nationale le 26 mai 2015. Mais il a finalement été retiré lors du vote final de la loi sur la transition énergétique en juillet 2015.

Le Conseil Constitutionnel confirme: les coupures d’eau sont illégales !

Ce vendredi 29 mai 2015, le Conseil Constitutionnel a rendu sa décision dans le cadre de la QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) déposée par la SAUR relative à l’interdiction de l’interruption de la distribution d’eau dans les résidences principales pour non-paiement des factures. Le verdict est sans appel : l’interdiction des coupures d’eau est bien conforme à la Constitution.

La haute juridiction a considéré que la loi Brottes n°2013-312 ne contredisait pas la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle, le principe d’égalité devant la loi ou encore le principe d’égalité devant les charges publiques. La loi Brottes est ainsi confirmée et doit être appliquée.

Cette décision est l’aboutissement d’un long combat pour le respect de la loi et de la dignité des plus démunis. Après de nombreuses jurisprudences de tribunaux d’instance et de grande instance (Soissons, Bourges, Valenciennes, Thionville, Lyon, Gonesse), le Conseil Constitutionnel ancre le droit à l’eau pour tous dans le droit français. Cette avancée en appelle d’autres et notamment la pleine reconnaissance du droit à l’eau et à l’assainissement qui fera l’objet d’une proposition de loi dans les prochains mois.

Le service public de l’eau sort renforcé du combat mené par France Libertés et la Coordination Eau Île-de-France. Mais le droit à l’eau n’est visiblement pas la préoccupation des entreprises, notamment de la SAUR et de Veolia (cf défense de la SAUR lors de l’audience au Conseil Constitutionnel). Leur acharnement à faire passer leurs objectifs économiques avant les droits humains doit désormais être pris en compte par les collectivités et les élus quand ils prennent les décisions relatives à la mise en oeuvre de ce service public. L’eau ne peut pas être traitée comme une marchandise mais doit être considérée comme un bien commun permettant à chacun de vivre dignement.

Nous appelons :

  • l’ensemble des distributeurs à stopper la pratique illégale et inhumaine des coupures d’eau et à rétablir l’alimentation à tous les foyers actuellement dans cette situation ;
  • les autorités locales responsables de la mise en oeuvre de ce service public à exercer leurs prérogatives et, en priorité, la protection des plus démunis pour l’accès à l’eau.

France Libertés et la Coordination Eau Île-de-France restent vigilants quant à l’application de la loi et continuent leurs actions pour protéger les plus démunis et appellent citoyens, élus et associations à poursuivre ensemble la mobilisation.

La décision sur le site du Conseil Constitutionnel : www.conseil-constitutionnel.fr

Fabuleux contrat du SEPG: nouveau recours

Alors que le tribunal administratif n’a toujours pas statué sur le recours déposé par les associations contre la délibération du Syndicat des eaux de la presqu’île de Gennevilliers (SEPG) du 29 mai 2013 reconduisant une délégation de service public, le comité d’administration du 5 mars 2015 a choisi Eau & Force, le délégataire sortant, filiale de Suez Environnement, pour une période de  12 ans à compter du 1/7/2015. Un nouveau recours est donc déposé par la Coordination Eau Île-de-France avec Naturellement Nanterre, la fondation France Libertés et le collectif Eau claire de Seine.

Voici les motifs principaux mais non exhaustifs de ce recours, gracieux, dans un premier temps.

La validité de ce contrat est subordonnée à celle de la délibération du 29 mai 2013 choisissant l’affermage comme mode de gestion du service public de l’eau. Nous continuons bien évidemment de contester la légalité de cette délibération et nous attendons avec confiance le jugement du TA de Cergy saisi sur ce point.

Le contrat comporte une grille tarifaire rendue publique applicable à tous les usagers mais il est accordé à Eau&Force la latitude de consentir des réductions tarifaires à de entités grosses consommatrices, ce qui est à l’opposé des principes  de justice sociale et d’une politique écologique visant à encourager une décroissance de la consommation d’eau de chaque usager.

Sans la moindre concertation avec les premiers concernés que sont les usagers et leurs représentants, sans disposer d’informations susceptibles de démontrer rigoureusement l’intérêt de cette option, le choix a été fait d’acheter, de faire produire et de faire distribuer par Eau&Force une eau dite décarbonatée, et ce à partir de 2018 au prix d’une augmentation disproportionnée du tarif à la charge des usagers.

Les comptes d’exploitation prévisionnels d’Eau&Force affichent plus de 42,9 millions d’euros de bénéfices avant impôt sur la durée du contrat, auxquels il convient d’ajouter près de 24 millions d’euros préalablement versés à la société mère, soit un total de près de 67 millions d’euros, représentant 11,6% du chiffre d’affaires, prélevés sur les usagers de l’eau sans aucune justification économique ni écologique, au seul bénéfice –avant impôt- des dirigeants et actionnaires du groupe Suez Environnement et accessoirement de l’État.

Nous avons bien pris note d’une diminution moyenne théorique de 23% de la part de l’eau potable dans les factures payées par les usagers des 10 villes, à consommation égale, du 1er juillet 2015 au 31 décembre 2017. La société Eau&Force a du consentir de façon provisoire à cette réduction, sans conséquences cependant sur la santé financière du groupe Suez Environnement auquel elle appartient. Cela confirme l’ampleur, invraisemblable pour le commun des mortels, des marges engrangées depuis des décennies par la même société au fil des reconductions et des prolongations de contrats accordées par le SEPG.

Ce fabuleux contrat montre que le SEPG joue pour Suez le même rôle que le SEDIF pour Veolia, à savoir celui d’une manne quasi illimitée qui permet de remporter d’autres marchés dans des conditions moins favorables.

Enfin, à notre grand étonnement,  le règlement du service de l’eau, intégré au contrat, stipule des cas où Eau&Force est autorisée à couper l’alimentation en eau des ménages contre leur gré, ce que nous jugeons évidemment contraire au respect élémentaire de la dignité des êtres humains et qui est formellement proscrit par la loi dite Brottes actuellement en vigueur.

Coupures d’eau pour impayé : une nouvelle victoire en justice

Le tribunal d’instance de Gonesse a condamné la Compagnie des Eaux de Goussainville à verser 800€ de préjudice matériel et 1.200€ de préjudice moral à une victime de coupure d’eau.

France Libertés et la Coordination Eau Île-de-France ont attaqué la Compagnie des Eaux de Goussainville aux côtés d’une victime de coupure d’eau. Dans l’ordonnance de référé rendue le 16 avril 2015, le juge a rappelé que :

«  L’alinéa 3 [de l’article 1 du décret du 13 août 2008 dans sa version modifiée par le décret du 27 février 2014] prohibe l’interruption de la fourniture d’eau pour une résidence principale en cas de non-paiement des factures pendant toute l’année »

Le distributeur avançait la prétendue « mauvaise foi » de la victime :

« [la plaignante] est de mauvaise foi ; elle n’a jamais contesté les factures émises par la société CEG […] cependant elle n’a jamais eu l’intention de les payer ».

Cette attitude des entreprises de l’eau est en contradiction flagrante avec la notion même de service public, dont on attend, au minimum, le respect des lois et des droits des usagers. Or nous recevons chaque jour de nouveaux témoignages de coupures.

France Libertés et la Coordination Eau Île-de-France appellent les distributeurs à cesser immédiatement toutes les coupures d’eau et à appliquer la loi, renforcée par les jugements successifs (cf Soissons, Bourges, Valenciennes, Thionville, Lyon) et par les débats de l’année écoulée.

Brottes contre Cambon : le service public de l’eau à nouveau garanti pour les plus démunis

France Libertés et la Coordination Eau Île-de-France se réjouissent que l’amendement de François Brottes, rétablissant l’interdiction des coupures d’eau, ait été adopté hier par l’Assemblée Nationale, en commission spéciale, dans le cadre du projet de loi sur la transition énergétique.

L’amendement n°822 remplace celui du sénateur Christian Cambon (article 60 bis A) qui rétablissait la pratique des coupures d’eau sauf pour les personnes « éprouvant des difficultés particulières, au regard notamment de son patrimoine, de l’insuffisance de ses ressources ou de ses conditions d’existence ». Nous saluons cet amendement qui revient au droit en vigueur en rétablissant l’interdiction généralisée de cette pratique indigne.

« Si l’article introduit par le Sénat se justifie sur le plan théorique […], l’interdiction de coupure d’eau sans condition de ressources répond à la nécessité d’être pragmatique. Les personnes confrontées au risque d’une coupure d’eau sont dans une situation d’urgence, la plupart du temps non prévisible. […] Le temps de l’urgence n’est pas celui de l’appréciation de conditions, au demeurant exprimées dans des termes trop généraux pour permettre une décision rapide. Maintenir l’article 60 bis A, c’est prendre le risque de procéder à des coupures d’eau qui ne se justifiaient pas, et donc de priver d’un bien essentiel des ménages en grande difficulté »

Nous appelons les distributeurs à cesser immédiatement toutes les coupures d’eau et à appliquer la loi, renforcée par les jugements successifs (cf. Soissons, Bourges, Valenciennes, Thionville) et par les débats de l’année écoulée.

France Libertés et la Coordination Eau Île-de-France regrettent que l’amendement donne aux distributeurs d’eau la possibilité de procéder à une réduction de débit. Elles seront très attentives à la mise en place de réglementations pour que, contrairement à la situation actuelle (cf. jugement de Lyon), la mise en œuvre de la réduction de débit soit une mesure exceptionnelle et n’attente pas à la dignité des personnes. Pour exemple, la réduction de débit ne saurait intervenir pendant la trêve hivernale car elle impacterait directement la capacité des foyers à pouvoir se chauffer.

Consultez l’amendement n°822