L’échec de la mise en bourse de l’eau

Le 7 décembre est la date anniversaire de l’introduction de l’eau à la Bourse de Chicago, en 2020. Après le rassemblement devant  l’Assemblée Nationale (voir ici), la Coordination EAU Île-de-France a organisé une conférence-débat avec Bernard Mounier (membre d’Attac et Président d’Eau Bien Commun PACA) au Centre Paris Anim’ Victoire Tinayre. L’échec de la mise en bourse de l’eau est patent. Mais la financiarisation de l’eau progresse sous différentes formes, dans le mouvement général de financiarisation de l’économie et de la nature. Par Maelis Biennait, bénévole en service civique dans notre association.

La conférence-débat au Centre Paris Anim’ Victoire Tinayre

Le marché à terme de l’eau en Californie

L’état de Californie est un territoire qui s’étire en longueur avec des régimes climatiques et des topographies différents : 

  • A l’Ouest, la Sierra Nevada, un massif montagneux qui a tendance à arrêter les précipitations à un certain niveau d’altitude,
  • Au Sud, un territoire aride,
  • Au Centre, la Vallée centrale avec le fleuve San Joaquin qui recueille les eaux provenant de la Sierra Nevada,
  • Au Nord, une rivière puissance Sacramento. 

Aux confluents du fleuve San Joaquin et de la rivière Sacramento, on  observe un delta d’eau potable avec de grandes étendues d’eaux potables. 

Carte des eaux de surface en Californie

     

Le système des droits de prélèvement d’eau y est complexe. Il est le fruit d’une histoire qui superpose les contraintes des traités, l’intervention de l’État fédéral, la gestion de l’État de Californie et celle des autorités territoriales.

L’état de Californie est fortement impacté par le réchauffement climatique avec des périodes de grande pénurie d’eau. Les activités dans la Vallée centrale sont centrées autour d’une  agriculture en partie maraichère, productiviste, de rente avec une forte demande d’eau dans un endroit aride. Ainsi, les nappes phréatiques sont surexploitées en raison de retards préjudiciables dans la révision de la législation. Les nappes ne se rechargent pas. 

Concernant les eaux de surface, il y a des droits d’eau mais on observe une forte influence de la réglementation de l’Etat de Californie et celle des collectivités, des “districts” d’eau. Apparait alors des contrats entre les acteurs ; les droits d’eau sont vendus, ou donnés à bail. Ils sont objets de négociations. Les transactions sur ces marchés ne représentent que 4% de l’eau utilisée par l’agriculture et les villes.

L’échec du marché

Tout d’abord, il n’y a pas de transactions, ou très peu. Il est dit “illiquide” (un comble pour l’eau!)  c’est-à-dire que le volume de transactions est faible (Jingjing Wang, Xiaoyang Wang, 2022).  

Ce graphique montre le nombre très faible de transactions : seulement deux transactions et  un seul contrat en cours, en novembre 2022. 

De plus, “le marché à terme de l’eau ne réussit pas à séduire les agriculteurs californiens” (Reuters, 2021). En effet, aucune eau n’est livrable en fin de contrat. Les ressources financières prévues à terme doivent aussi faire face au problème de l’allocation réelle d’eau qui doit être résolu en période de sécheresse et de pénurie. Dans ces conditions, il n’y a plus d’eau à acheter au comptant. 

Ecouter l’enregistrement audio de la Conférence

Le cas anglais : une privatisation du service de l’eau qui génère d’énormes profits pour de faibles investissements

Bernard Mounier évoque ensuite le cas anglais : une privatisation du service de l’eau qui aboutit à des énormes profits à de fonds de pension, des investisseurs institutionnels ou non, à des cascades de sociétés qui appartiennent au même groupe mais dont la parenté est difficile à établir. Donc, des énormes profits pour très peu d’investissements en retour dans le service d’eau. 

Lire l’article de The Guardian: à qui appartient l’eau en Angleterre? .

Un processus général de financiarisation de l’économie et de la nature

L’introduction de l’eau à la Bourse de Chicago, relative à une marchandisation de l’eau, et la privatisation du service de l’eau générant d’énormes profits participent à un mouvement général de financiarisation de l’économie et de la nature. La financiarisation de l’économie constitue un stade du capitalisme où la finance a conquis une place prédominante. Les sociétés, les économies, la nature, sont transformées pour servir les logiques financières (Posca, Tabaichount, 2020). 

Cette financiarisation de la nature ne fonctionne pas à terme, pour plusieurs raisons (de manière non exhaustive). Tout d’abord, “{…} comme l’ont dit entre autres Grandjean et Lefournier (2021) le « verdissement » des marchés financiers notamment celui des obligations est surtout une opération de communication. Car l’ensemble des agents économiques est soumis à une obligation fiduciaire qui consiste à maximiser les rendements des capitaux investis par rapport à l’évaluation des risques.” Vulgairement, pour investir il faut que ce soit rentable. Et si c’est rentable c’est que ce n’est pas de l’investissement vert. Puis, “contrairement au discours des tenants de la green economy, il est impossible d’investir directement à long terme comme il le faudrait pour avoir une action significative sur l’environnement. La méthode de calcul du retour sur investissement, le calcul de la valeur actuelle (VAN) dévalorise les flux des revenus futurs au fur à mesure de la progression dans le temps, d’autant plus lorsque le taux d’actualisation est important. C’est ce que le gouverneur de la Banque d’Angleterre nommait « la tragédie des horizons ». (Mark Carney, 2015).” L’’horizon de temps de la finance, verte ou non, ne peut pas coïncider avec l’horizon de temps du changement climatique. Il est illusoire d’affirmer que les investisseurs préféreront des obligations vertes ou bleues qui seraient rémunérées plus faiblement que les autres. 

Pour aller plus loin dans la compréhension de la financiarisation de l’eau,  lire l’article co-écrit par Bernard Mounier et Thierry Uso, intitulé “La financiarisation de l’eau : mythes et réalités”. 

En conclusion, l’eau est un commun qui relève d’une question démocratique en rapport étroit avec le maintien des écosystèmes. 

Pour aller plus loin, voici plusieurs références :

The Guardian, « New Murray-Darling Basin Authority boss fails to mention environment in all-staff memo », 2022

Jérôme Fritel, « Main basse sur l’eau », Film produit par Arte France, 2019

Alain Grandjean et Julien Lefournier, L’illusion de la finance verte, Les Éditions de l’Atelier, 2021

2 réflexions sur « L’échec de la mise en bourse de l’eau »

  1. Oui, il faut garder au maximum l’eau sur place. Et la collecte et l’utilisation d’eau de pluie est un enjeu d’avenir.

  2. L’eau est un bien commun qui commence par la pluie, les villes rejettent 90% des pluies dans la mer via les rivières et épuisent les nappes phréatiques l’été en ne recyclant pas l’eau (et en polluant les rivières …).
    L’eau est recyclable à 100% et à l’infini mais pas en France (0.8%), ce qui veut dire que 99.2% de la distribution d’eau est jetée après utilisation … la seule et unique méthode pour perdre de l’eau douce c’est de la jeter en mer au lieu de la recycler PROPREMENT dans les terres.

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