Le 25 janvier 2022 s’est tenu le tout premier Forum Européen de l’Eau à La Rochelle. À l’invitation du paysan, agronome et député européen écologiste Benoît Biteau, cet événement a rassemblé de nombreux∙ses acteur∙rice∙s engagé∙e∙s pour la préservation de la ressource en eau. Associations, scientifiques et politiques ont débattu de l’eau et de sa bonne gestion. La Coordination EAU Île-de-France était présente avec un stand. Retours sur la journée et entretien avec l’hydrologue Emma Haziza, publié dans Le Parisien.
Parmi les intervenant.e.s, le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit humain à l’eau, Pedro Arrojo, la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot et son collègue Christophe Prudhomme, l’hydrologue Emma Haziza, les députés européens écologistes Marie Toussaint et Yannick Jadot… La société civile n’était pas en reste avec Julien Le Guet et Lucile Richard, militant.e.s du collectif Bassines Non Merci, Nicolas Tissot, représentant du Mouvement européen pour l’eau, Roberto Epple, président fondateur de European network rivers, le politologue et économiste italien Riccardo Petrella et bien d’autres encore !
L’objectif de ce Forum ?
La gestion de l’eau est un enjeu majeur du XXIe siècle. Elle est indispensable à la vie. Elle permet l’existence des êtres vivants, l’irrigation des cultures, la production d’énergie ou encore l’industrie. Ainsi, tous ses éléments dépendent étroitement de la quantité disponible de l’eau, de sa qualité et de son accessibilité.
Cependant, aujourd’hui, l’exploitation excessive de l’eau réunie aux effets du dérèglement climatique nous rend très vulnérables.
Ce Forum a eu ainsi eu pour objectif de dresser un état des lieux de ce qui a pu être réalisé ces dernières années en matière d’eau et a pointé l’insuffisance des politiques européennes en matière de gestion durable de l’eau. Sont notamment mises en cause la mauvaise application de la directive-cadre sur l’eau par les États membres, vingt ans après son adoption, et la multiplication de dérogations empêchant d’atteindre les objectifs initiaux.
Face à cette situation, l’eurodéputé Benoît Biteau, a décidé de se mobiliser et de rassembler les actrices et les acteurs engagé∙e∙s en Europe pour une gestion durable de la ressource en eau. C’est sans doute une première pour les écologistes – depuis le fameux verre d’eau de René Dumont- d’organiser une initiative sur l’eau dans le cadre d’une campagne électorale. Qui plus est, une initiative doublement ouverte avec la présence de députés LFI, l’autre force politique en pointe sur l’eau, et de nombreuses associations comme la nôtre.
À l’occasion de cette journée, des ateliers (le matin) et des plénières se sont déroulés afin d’aborder l’eau dans tous ses états et sous tous ses enjeux : potabilité, accès, disponibilité … Scientifiques, élu.e.s, syndicalistes, associations ont partagé leurs connaissances et proposé des pistes de réflexion sur des questions en suspens comme sur la manière dont on pourrait restaurer des continuités écologiques, l’impact du dérèglement climatique sur l’eau ou encore l’avenir des zones humides.
Pour finir Benoît Biteau a animé un débat politique de haute tenue avec Mathilde Panot, Yannick Jadot et Aboubakar Soumahoro, ancien ouvrier agricole et syndicaliste ivoiro-italien qui s’est conclu par la signature d’un manifeste engageant les signataires à agir pour une plus grande préservation et un plus juste accès à l’eau. En voici un extrait:
L’eau est un commun planétaire.
Sa privatisation et son accaparement, sont aux antipodes des fondamentaux de démocratie et de partage, et sont donc incompatibles avec une préparation responsable de l’avenir des générations futures. Sa préservation et son juste accès, pour l’ensemble des enjeux vitaux, doivent être encadrés par des lois et des réglementations robustes et ambitieuses, sans dérogation possible.
La Coordination EAU Île-de-France au Forum
La présence de notre association était naturelle à ce Forum : nous partageons les mêmes préoccupations pour l’eau et nous nous retrouvons souvent dans les mêmes actions, comme le rassemblement devant la Bourse de Paris le 7 décembre.
Nous avons ainsi rencontré de nombreux.ses ami.e.s et partenaires auxquels nous avons présenté notre actualité : lutte contre le nouveau dispositif pour polluer l’eau et la rendre plus chère (l’OIBP si vous n’avez pas deviné), lutte contre le dérèglement climatique en rétablissant le cycle de l’eau. Nous avons notamment diffusé un ouvrage récent « Hydrater la Terre, le rôle oublié de l’eau dans la crise climatique » de la Canadienne Ananda Fitzsimmons aux Editions la Butineuse. Nous y reviendrons…
Un grand merci à Benoît Biteau pour son invitation et nous espérons qu’il y aura encore d’autres événements autour de l’eau afin que tou.te.s prennent conscience de son importance. Des avancées ont été accomplies ces dernières années, mais ce n’est pas suffisant.
En effet, les menaces sont bien réelles notamment par les effets du changement climatique et des pollutions. Il est urgent d’agir !
L’irrigation intensive en question
Entretien réalisé par Fabien Paillot à l’occasion du Forum européen de l’eau.
En Charente-Maritime comme en Deux-Sèvres, pro et anti-bassines se déchirent sur la question du stockage de l’eau destiné à l’irrigation intensive des cultures. Que pensez-vous de cette solution ?
Emma Haziza. Les pro-bassines affirment que l’eau est extraite des fleuves et rivières pour alimenter ces réserves. C’est faux, en réalité : l’eau est essentiellement prélevée dans les nappes, en milieu souterrain, avant d’être stockée en surface, à l’air libre, et traitée avec du chlore. Vous créez ainsi de l’évaporation. Entre 20 et 40 % de l’eau est perdue. Les pro-bassines affirment capter un trop-plein d’eau en hiver mais cela ne relève d’aucune logique sur le plan hydrologique. Le premier utilisateur de l’eau reste le milieu naturel.
Les zones humides comme le Marais Poitevin sont nécessaires, elles génèrent à leur tour de nouvelles pluies, de nouvelles boucles du cycle de l’eau. Je suis favorable aux petites retenues collinaires qui récupèrent les eaux de pluie par ruissellement, mais opposée au captage dans les nappes, un modèle californien de la gestion de l’eau qui ne profite qu’à quelques-uns.
En Nouvelle-Aquitaine, la recharge des nappes pourrait chuter de 30 à 50 % d’ici à 2030 sous l’effet du réchauffement climatique. Le débit moyen des cours d’eau baisserait, lui, de 20 à 30 %. Ces chiffres, mis en avant par la région pour étayer sa « stratégie de l’eau », vous paraissent-ils fiables ?
Cette tendance se vérifie partout en France. En réalité, l’échéance se situe désormais en 2025. Les choses s’accélèrent comme le démontrent les dernières données, notamment celles étayées par le Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. À force de pomper dans les nappes, celles-ci se fragilisent. Leur niveau d’équilibre baisse jusqu’à leur tarissement. Mais il faut compter près de 10 ans pour qu’une nappe se reconstitue, à condition de lui en laisser l’occasion…
Seuls 9 % des eaux de pluie atteignent les nappes. En Charente-Maritime comme dans l’ex-région Poitou-Charentes, les nappes sont actuellement rechargées. Mais il s’agit d’une situation en trompe-l’œil, liée à des conditions météorologiques particulières en France en 2021. Les quatre années précédentes, de 2017 à 2020, ont toutes établi des records historiques de sécheresse…
Un captage d’eau potable a été fermé à Clavette en janvier 2021 suite à la découverte d’une pollution 130 fois supérieure à la limite réglementaire au chlortoluron, un herbicide. L’Agglomération de La Rochelle a depuis engagé une réflexion pour élargir les périmètres de protection autour de ces captages. Le rachat des terres est l’une des pistes avancées. Est-ce une bonne solution ?
Oui, cela fonctionne très bien. Le fait de convertir les terres agricoles en les rachetant ou en les louant améliore nettement la qualité de l’eau et celle des captages. Ce système devrait être développé partout en France afin de protéger les zones les plus fragiles. Et cela nous éviterait de dépenser des sommes folles dans le traitement de l’eau potable et la dépollution…