La grande stagnation

Le rapport annuel sur la qualité et le prix du service public de l’eau potable présenté par le Syndicat des Eaux d’Île de France (SEDIF) pour l’année 2017 s’intitule « l’eau en mouvement », un comble pour un organisme aussi sclérosé que le SEDIF! Avec cette luxueuse brochure en papier glacé, nous nageons dans la communication et l’idéologie à gros bouillons, quitte à s’éloigner des rivages de la réalité.

Cela commence par un focus sur une étude sur la sécurisation et l’interconnexion des réseaux entre les différents opérateurs qui existait déjà avant 2017.  Une façon d’introduire le projet défendu par le SEDIF, d’un « Grand Paris de l’eau » pour mutualiser les moyens de production d’eau potable en Ile-de-France, projet qui ne fait l’objet d’aucun accord avec les autres producteurs et distributeurs d’eau. C’est un « grand projet inutile », a même affirmé la Ville de Paris. Un projet chiffré pour l’Île-de-France à 500 millions d’euros selon le SEDIF (et sans doute à bien davantage en réalité) qui viendraient gonfler la facture d’eau des usagers. Voir aussi l’article des Échos à ce sujet.

Les faits marquants 2017

Viennent ensuite les faits marquants 2017. On ne trouve pas de trace du rapport de la chambre régionales des comptes sur la gestion du SEDIF, publié le 30 juin 2017. Voir ici, oui il existe pourtant bien et il est fort instructif! M. Santini dans son éditorial préfère évoquer un avis de la cour des comptes daté de février …2018 sur la métropolisation de la gestion de l’eau…  Un sujet qui semble plus intéresser M. Santini que la gestion du SEDIF dont il est pourtant président depuis 35 ans, ceci explique-t-il cela?

Pas de mention non plus du vote le 19 décembre de trois territoires (Est Ensemble, GranOrlySeineBièvre et Plaine Commune) de ne pas adhérer au SEDIF pour poursuivre les études et le débat en vue d’un passage en gestion publique. Ce qui a constitué pourtant un séisme et fait l’objet de toute l’attention des médias: voir la revue de presse de la non-adhésion au SEDIF.  Le rapport note cependant à la date du 14 décembre, « le SEDIF accorde » un délai de deux ans aux trois territoires « pour qu’ils se prononcent sur la réadhésion ». A la façon de Louis XVI qui avait noté « rien » dans son carnet à la date du 14 juillet…

On trouvera un autre exemple du déni de réalité dans lequel s’est enfermé le SEDIF, dans la composition du bureau au 31/12/2017 (p11 et annexe 2). Les vice-présidents et représentants des 24 communes qui ont quitté le SEDIF deux semaines plus tôt y sont encore indiqués… Nostalgie quand tu nous tiens!

Le SEDIF ne semble pas non plus avoir intégré la réforme territoriale. Le rapport et la plupart des données en annexe ne donnent pas les informations pertinentes et sensibles au niveau des territoires qui ont maintenant la compétence de la gestion de l’eau. C’est le cas par exemple pour ce qui concerne l’état du réseau ou encore le nombre de bénéficiaires des aides à l’eau. Le retour à une gestion publique, par territoire,  va permettre de se ré-approprier la maîtrise du service public.

Prélèvement et captages

S’agissant du prélèvement, on peut lire (p24) cette présentation étonnante: « les nappes souterraines d’Île-de-France n’étant pas suffisamment productives pour répondre aux besoins de consommation, le SEDIF recourt principalement aux eaux superficielles ». Comme s’il s’agissait d’un état de fait naturel! C’est en réalité un choix (historique) du SEDIF (et de la Générale des eaux, ancêtre de Veolia), pour produire une eau à bas coût et pour damer le pion à Paris, qui se retourne aujourd’hui contre ses instigateurs. Puisque maintenant le coût de production (de dépollution notamment) est plus élevé pour une qualité qui n’est pas irréprochable.

La protection des captages (p25) relève du greenwashing le plus éhonté. En effet, lesdits captages représentent moins de 3% de la production d’eau potable du SEDIF. On aimerait que le SEDIF informe sur son action pour la protection de la Seine, de la Marne et de l’Oise qui constituent la quasi-totalité de son approvisionnement. En guise de bon soin pour la Marne, le SEDIF ne se prive pas d’y rejeter des particules de charbon chargées de pesticides, un fait confirmé par M. Santini en personne dans sa réponse à une lettre ouverte de notre association!

Les transports

« Le SEDIF accompagne les projets du Grand Paris des transports » vante le rapport (p36). Et les usagers les payent dans leur facture d’eau, ni vu, ni connu. Cela représente la bagatelle de près de 133 millions d’euros! Le SEDIF promeut une alliance étroite entre les grands syndicats urbains (SEDIF, SIAAP, SYCTOM, etc) et la métropole du Grand Paris (voir la touchante photo de famille p4). Ce modèle écarte les citoyen-nes et concentre tous les pouvoirs entre les mains de quelques élus peu connus du public. Il fait du gigantisme la règle: grandes usines, grands marchés et bien entendu grandes entreprises multinationales, souvent les mêmes. Une situation hors de tout contrôle réel qui explique aussi les liens troubles entre les gestionnaires publics et les multinationales, et les affaires de corruption qui défraient la chronique. Lire « Scandale dans nos tuyaux » et après?

L’eau pure, vraiment?

Le SEDIF promeut (pp 27 et 47) la production d’une eau sans calcaire par un procédé de nanofiltration, expérimenté à l’usine d’Arvigny. Ce qui n’est pas sans poser un certain nombre de questions. Sur le coût d’abord, estimé à 34 millions d’euros (HT) pour l’alimentation de cinq villes. Sur la santé ensuite, car il s’agit d’une eau quasiment déminéralisée ce qui n’est sans susciter des inquiétudes. Enfin sur la dépense énergétique phénoménale de ce procédé, à l’heure de la sobriété énergétique.

Tarifs

Les tarifs du SEDIF sont particulièrement injustes pour les usagers domestiques. L’abonnement élevé (prévu pour financer l’entretien du réseau, lire les tuyaux percés du SEDIF)  pénalise les petits consommateurs.  Le tableau (p61) montre que les tarifs sont structurellement plus chers pour l’habitat collectif (tarif multi-habitat)…

Alerte au plomb

Le remplacement des branchements en plomb s’il est discutable, n’en constitue pas moins une obligation légale. Et là, c’est la panne! 8,79% seulement du programme budgété a été réalisé en 2017! (Voir p62) On attend des explications qui ne sont pas dans le rapport.

La dette flambe

La dette publique que les gouvernements successifs présentent comme insoutenable et qui justifie toutes les coupes budgétaires et l’austérité depuis de nombreuses d’années, cette même dette explose au SEDIF, sans que cela n’émeuve personne. Que fait la cour des comptes? L’encours de la dette augmente de près de 25% d’une année sur l’autre. Circonstance aggravante, l’endettement auprès des banques atteint sont plus haut niveau, 122,4 millions d’euros sur les 205,4 millions d’euros de dette totale. Après Veolia, va-t-il falloir affronter la BNP ou la Société générale pour défendre les intérêts des usagers domestiques?

Télécharger les documents:

Rapport annuel du SEDIF

Annexe 1

Annexe 2

Une réflexion sur « La grande stagnation »

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