La guerre de l’eau aura-t-elle lieu?

Alors que vient de s’achever en demi-teinte le sommet mondial sur l’eau et que fait de nouveau rage la bataille contre les bassines, la question de l’eau devient (enfin, pourrait-on regretter) un sujet médiatique majeur. Mieux vaut tard que jamais, tant elle va devenir dans un avenir très proche de plus en plus centrale… et compliquée.  Extrait d’un article de Renaud Duterme publié sur le blog Géographies en mouvement.

Pour qui sera la dernière goutte ?

Tout observateur sérieux sait qu’au sein des régions en tension, les efforts individuels ne suffiront pas à résoudre le problème. Les usages domestiques ne constituent qu’une petite partie des prélèvements et de la consommation en eau douce. Bien sûr, toute réduction de ces prélèvements est bonne à prendre, qui plus est quand ces prélèvements finissent dans des cuvettes de WC ou dans des siphons de baignoire. Mais il est impératif de considérer le problème comme structurel et donc d’envisager des politiques actant une diminution drastique de l’utilisation de l’eau pour les secteurs les plus aquavores.

Ce qui, et c’est là où le bât blesse, entre franchement en contradiction avec les finalités économiques de notre système. Doit-on poursuivre dans la voie d’un modèle agricole basé sur la spécialisation, les cultures d’exportation, la consommation massive de viande et la production intensive ? Ou doit-en se diriger vers des exploitations diversifiées, destinées aux marchés locaux, tenant compte des limites écologiques (et donc des disponibilités en eau) présentes mais surtout futures ? Peut-on vraiment envisager l’ouverture de nouvelles mines au nom de la transition énergétique, quand on sait les quantités astronomiques d’eau que requièrent les processus d’extraction ? Doit-on continuer à promouvoir des pratiques touristiques (ski en basse et moyenne montagne, golfs, centres aquatiques) dans des régions en stress hydrique quasi permanent ? Peut-on encore se permettre d’encourager la multiplication de piscines privées ? On imagine aisément les conflits d’usages que ces questions vont provoquer, même si ces derniers seront bien plus graves si nous poursuivons dans la voie actuelle.

Il faut commencer par comprendre que les tensions présentes ne vont en rien s’atténuer mais, qu’au contraire, elles ne constituent qu’un aperçu de ce qui attend de nombreuses régions et secteurs. Et que notre consommation en eau ne se limite pas à notre utilisation directe mais se fait aussi et surtout à travers notre consommation quotidienne de biens et services, ce qu’on nomme l’eau virtuelle. Il est toujours utile de rappeler que chaque produit que nous utilisons a nécessité des centaines, voire des milliers de litres d’eau, que ce soit pour l’exploitation des ressources les composant ou les procédés de fabrication. À travers la délocalisation de ces activités, cette eau est souvent prélevée dans d’autres régions que celles où les produits sont achetés et utilisés, ce qui invisibilise son importance et contribue à notre faible conscience des enjeux hydriques.

Arbitrages hydrauliques

Ce n’est qu’une fois ces éléments admis que des politiques à la hauteur des enjeux pourront être mises en place. Bien loin des fausses solutions comme les fameuses bassines (dont les réserves se font au détriment du rechargement des nappes, en particulier lors d’hiver peu pluvieux) ou les promesses de dessalement à grande échelle (processus très énergivore et compliqué à mettre en œuvre pour alimenter des régions loin des côtes), il faut commencer à organiser le manque d’eau qui s’annonce. Ceci doit évidemment se faire via des mesures anti-gaspillage (récupération et traitement des eaux usées, encouragement et primes à l’installation de récupérateurs d’eau de pluies chez les particuliers, luttes contre la vétusté et les fuites au sein des réseaux d’alimentation, etc.).

Mais la question centrale reste celle de notre modèle de croissance. Quels que soient les domaines (ressources hydriques, énergétiques, minières, biodiversité, qualité des sols, climat, etc.), les limites écologiques et physiques commencent à nous exploser à la figure, ce qui implique de choisir dès maintenant entre une bifurcation volontaire (la fameuse sobriété[2]) et une aggravation de l’ensemble des contraintes.

Cela pourra se faire et surtout être accepté par une majorité si, et seulement si, les efforts sont équitablement répartis (pensons à une tarification progressive de l’eau décourageant les usages abusifs) et s’accompagnent de mesures de reconversion pour les secteurs qui seront le plus mis à contribution. Cela implique des processus de décisions localisés au sein desquels les différents acteurs (habitants, agriculteurs, représentants politiques et syndicaux, experts de la question) seront partie prenante. Cette façon de voir les choses peut paraître utopique mais elle reste la seule et unique solution pour éviter que la question des contraintes physiques (que ce soit pour les ressources hydriques mais également pour les autres variables écologiques) ne débouche sur une privatisation rampante, prélude à de véritables batailles de l’eau.

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[1] Pour ce pays, il semblerait que la Niña soit également à l’origine des pluies torrentielles ayant provoqué ces inondations.

[2] Isabelle Brokman et Vincent Liegey, Sobriété (La vraie), Tana éditions, Paris, 2023.


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