Le 22 mars 2022 dans le cadre du second Printemps de l’eau, s’est tenue une rencontre pour imaginer une régie publique de l’eau à Dourdan. Par Rodolfo Yepez Lacouture, stagiaire à la Coordination EAU Île-de-France enM1 GEDELO – Université Paris Nanterre.
Le débat sur la possibilité de revenir à une régie publique d’eau est présent dans une partie importante des communes de France. La possibilité que les citoyens prennent en main la gestion publique de l’eau peut devenir une réalité dans les collectivités qui ont compris l’importance et l’urgence de construire ce changement.
L’eau est un élément central du développement territorial des villes, et à ce titre, c’est une question d’intérêt général qui concerne tous les acteurs sociaux et politiques qui construisent le territoire. En ce sens, la gestion de l’eau a toujours été liée à l’administration publique. Ainsi, depuis la Révolution française, les communes organisent la gestion locale des ressources en eau. Une partie des communes a opté pour la délégation de services publics (DSP) depuis le milieu du siècle dernier, une tendance renforcée dans les années 1990.
Avec l’évolution des réglementations nationales (lois Sapin) et la jurisprudence (l’arrêt Olivet), une grande partie de ces contrats de DSP arrivent à échéance depuis 2015. C’est à cause de ce contexte que les acteurs territoriaux impliqués dans la gestion de l’eau débattent. Il ne s’agit pas d’un sujet évident, il ne s’agit pas d’une décision facile. C’est une décision qui passe par une étude et une compréhension du petit cycle de l’eau et de toutes les implications qu’il peut avoir sur la transition territoriale sociale et économique. Il s’agit de prendre la meilleure décision dans l’intérêt de tous les habitants de la commune qui délibère sur la question. C’est dans ce contexte que Dourdan discute cette possibilité. Des études et discussions pertinentes sont déjà en cours. Les élus, les associations pour le droit à l’eau et tous les acteurs concernés font le plein d’arguments pour prendre la décision attendue.
Dans à cette situation, la Coordination EAU Île-de-France, l’Association Eau Publique Orge-Essonne, Dourdan en transition et ATTAC Sud Essonne ont organisé une conférence-débat mettant l’accent sur la régie publique pour la production d’eau potable, dans la salle des fêtes de Dourdan, le 22 mars. La rencontre s’intitulait : Dourdan, à qui confier désormais notre eau potable: multinationale ou régie publique?. En effet, il s’agissait d’une «rencontre publique pour imaginer la gestion de l’eau à Dourdan après la fin du contrat avec Veolia». L’événement s’est déroulé en présence de Pascal Grandjeat, de l’Association EAU publique Orge-Essonne et référent Essonne de la Coordination EAU Île-de-France, Emmanuel Dassa, Maire de Briis-sous-Forges, président de la régie publique Eaux de Briis et membre du Syndicat des Eaux Ouest Essonne (SEOE) et Jacky Bortoli, conseiller communautaire délégué, en charge du cycle de l’eau de Grand Paris Sud, comme orateurs principaux. Parmi le public présent, il y avait une forte présence d’élus, d’associations, de quelques personnes de Veolia et, en général, de citoyens intéressés par le sujet.
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Le territoire où peut se matérialiser le droit à l’eau
Avec une population d’environ 11 000 habitants et une superficie de 31 km2, Dourdan est une ville située à l’ouest du département de l’Essonne en Île-de-France. La ville est traversée du sud-ouest au nord-est par la rivière Orge, en passant par le centre de la ville.
Pour la production d’eau potable, la commune utilise 4 puits d’une capacité de production d’environ 3600 m3/jour, (St Martin1 (40m3/h), St Matin2 (80m3/h), Longvilliers1 (50m3/h) et Longvilliers2 (60m3 /h)). Ils disposent de 5 réservoirs d’une capacité de stockage d’environ 3 650 m3 (Croix St Jacques (200m3), Les Brosses (2000m3), Normont (800m3), Semont (250m3) et St Martin (400m3)).
Les réseaux de distribution, longs d’environ 90 km, ont près de 80 ans et leur entretien n’est pas assez efficace pour les maintenir exempts de fuites. La gestion de l’eau fait l’objet d’un contrat de type DSP avec la Société Veolia depuis une quarantaine d’années. Ce contrat arrivera à son terme le 31 décembre 2024. À ce moment, les citoyens de Dourdan devraient déjà avoir pris la décision historique de faire de l’eau un bien commun. Cependant, la commune a adhéré au Syndicat d’Eau de l’Ouest Essonne depuis le 1er janvier 2022.
La question centrale était précisément : l’eau est-elle un bien commun ou une marchandise? et en fonction de la réponse à cette question, quel type de gestion doit être mis en œuvre? Quels sont les impacts du type de gestion sur les prix de l’eau? Quels types de dispositifs peuvent être mis en place pour impliquer les citoyens dans la gestion de l’eau si celui-ci est un bien commun? Voici quelques-uns des arguments et expériences présentés par les intervenants et les participants à la soirée.
Idées et arguments pour la réflexion citoyenne
S’organiser et se mobiliser pour revenir à une maîtrise publique de l’eau
De son point de vue d’usager, d’habitant et de militant de l’eau, Pascal Grandjeat nous raconte un peu de son expérience sur le territoire, et apporte également des éléments théoriques pour comprendre le phénomène de la privatisation et le mouvement des citoyens pour l’eau comme bien commun.
En ce qui concerne la lutte territoriale, l’Association Eau publique Orge-Essone, membre de la Coordination EAU Île-de-France, a émergé comme une initiative citoyenne dans le but de comprendre le sujet de la gestion de l’eau, de générer des actions d’éducation et de mobilisation, et bien sûr, de lutter pour le retour au contrôle de la gestion publique en garantissant le droit à l’eau pour tous.
À l’époque, les habitants étaient également confrontés à la question de la forme de gestion de l’eau, puisque le contrat de la DSP arrivait à son terme, avec un service précaire et cher. Des années de délégation ont conduit à la perte des connaissances collectives de base sur le petit cycle de l’eau. La perte locale de savoir-faire a permis aux grandes sociétés de créer l’imaginaire qu’elles sont « les seules » à pouvoir gérer une tâche aussi complexe et technique que celle de l’eau. Et avec cette situation elles sont devenus les grands monopoles nationaux et mondiaux de la gestion de l’eau.
A travers la recherche collective de réponses, les élus, les associations et les usagers peuvent vérifier, par exemple, à travers l’analyse de leur facture, que la surfacturation pourrait atteindre, dans de nombreux cas, le double de ce qui devrait réellement être payé. Une autre expérience importante à souligner de l’intervention de Pascal Grandjeat, est la consultation citoyenne réalisée sur son territoire, qui a permis aux habitants de s’exprimer en faveur de la régie, une décision ratifiée plus tard par le conseil communautaire. Cela peut être un élément historique à analyser pour les Dourdannais.
Ce débat sur la régie publique de l’eau s’inscrit dans un contexte mondial et national, qui génère des changements sur une grande partie du territoire français. Le mouvement, qui dure depuis 20 ans, a réussi à rétablir la gestion publique de l’eau pour plus de dix millions de citoyens français. La décision des différentes communes qui ont préféré le secteur public au secteur privé a été indépendante de la couleur politique du gouvernement en place. Partout où il y a eu une réflexion sérieuse et où les intérêts généraux ont été placés au-dessus des intérêts privés, il a été possible de s’orienter vers une régie.
«A l’échelle de l’histoire humaine, que sont quelques décennies de marchandisation de l’eau, par rapport à l’idée millénaire que l’eau est un bien commun que les communautés ont toujours su gérer de manière autonome? L’appropriation de l’eau par les multinationales n’est qu’un moment, comparé à l’histoire de la terre et de l’humanité, ne nous laissons pas impressionner ou intimider, nous avons de belles choses à faire en la matière », déclare Pascal Grandjeat.
La gestion de l’eau est une tâche complexe mais réalisable pour une municipalité
Par la voix d’Emmanuel Dassa, il a été possible d’en savoir un peu plus sur l’expérience de Briis-sous-Forges, qui après 50 ans de contrat de DSP avec Suez et de longues journées de débats, ont décidé de prendre en main la gestion publique de l’eau pour les citoyens. Le processus d’analyse et de discussions a commencé en 2010 et en 2015, la construction officielle de la régie a débuté.
Pendant des années, le prix de l’eau a eu tendance à augmenter régulièrement et les Briissois ont commencé à s’interroger sur la possibilité de gérer eux-mêmes la ressource. Pour cela, des études techniques, hydrauliques et financières, ont été réalisées par des experts. Les études techniques ont permis de démontrer la complexité de la gestion et les défis qui accompagnent l’éventuel changement de gestion, mais aussi l’urgence et la nécessité du changement ont été mises en évidence.
Par exemple, les études ont montré la nécessité d’entretenir une partie importante des 80 km de canalisations qui ont environ 60 ans et qui présentaient des risques de fuites. Par rapport aux temps de service, la nouvelle régie publique a réussi à renouveler plus de réseaux que Suez auparavant. En général, il a été constaté que les prix facturés directement aux utilisateurs par le biais de factures ne correspondaient pas à des prix équitables par rapport aux coûts de production.
Ainsi, une fois la nouvelle forme de gestion adoptée, le tarif de l’eau a pu être abaissé de 2,05 € HT/m3 à 1,74 € HT/m3, avec une deuxième baisse en 2017, évidemment c’était une décision prise sur la base de l’analyse financière pertinente. Aujourd’hui, la possibilité d’une troisième baisse des prix d’usage est à l’étude. Et tout cela malgré l’augmentation des m3 d’eau brute de l’usine de Morsang sur Seine. Selon Emmanuel Dassa, on estime que si la DSP à Suez avait continué, compte tenu de l’expérience à ce jour, les prix facturés à l’usager seraient aujourd’hui de l’ordre de 2,15 € ou 2,20 € HT/m3.
Avec ce changement, les utilisateurs ont gagné un service de proximité, une attention humaine par téléphone, et des programmes éducatifs ont été développés pour sensibiliser à l’utilisation, l’économie et l’importance de l’eau. Les utilisateurs ont gagné en démocratie, car un conseil d’exploitation a été créé, où les citoyens ont un siège et peuvent décider des éléments de la gestion. Des plans d’urgence ont également été élaborés pour l’approvisionnement en eau, en cas de défaillance des vannes à Morsang-sur-Seine.
En conclusion, Emmanuel Dassa affirme que si une petite commune comme la sienne a pu franchir le pas et démontrer que l’eau peut être très bien gérée par le secteur public, les autres communes pourront faire de même. Ils ont travaillé selon la logique que l’eau paie l’eau, c’est-à-dire que l’argent obtenu de la production d’eau doit être réinvesti dans le service de l’eau et ses programmes d’amélioration.
« Les élus ont une responsabilité historique auprès des citoyens : l’eau c’est la vie, sans eau pas de planète, sans eau pas de vie »
A travers ses yeux d’ouvrier plombier qui, de par son métier, a ressenti le besoin de s’interroger sur la gestion du petit cycle de l’eau, puis comme habitant qui un jour a constaté que l’eau n’était plus aussi publique qu’au temps où il suffisait d’aller au puits ou à la fontaine pour s’approvisionner, Jacky Bortoli est venu à se passionner pour les enjeux de l’eau.
Jacky Bortoli présente différents arguments pour appuyer la nécessité et l’urgence de passer à une régie publique de l’eau. Jacky Bortoli est conseiller municipal de Grigny et conseiller communautaire délégué en charge du cycle de l’eau de Grand Paris Sud, mais aussi, comme il le dit, il a la chance d’être chargé de développer les négociations avec Suez, dans le but que la multinationale restitue la propriété des usines de production d’eau potable aux sud franciliens.
Jacky Bortoli dénonce qu’une multinationale comme Suez, qui produit quelques 78 millions de m3 d’eau potable par an, reçoit, via des contrats de DSP, quelques 60 millions d’euros par an, alors qu’en réalité les coûts de production de cette quantité d’eau ne sont que de moitié, c’est-à-dire que la multinationale prélève une somme d’argent exorbitante qui n’est pas réinvestie dans le service public de l’eau.
Selon le conseiller, l’aptitude de Suez démontre une fois de plus que l’intérêt de cette société n’est pas de garantir que l’eau est un bien commun, mais plutôt d’obtenir ses gains économiques par l’exploitation commerciale de la ressource. A l’époque, les multinationales Suez-Veolia se répartissaient le territoire parisien, en effet Suez avait été sanctionné en 2005 par le Conseil de la Concurrence pour avoir agi en monopole de fait et abusé de sa «position dominante» (Décision n° 05-D-58 du 3 novembre 2005). Ce panorama d’une tendance au monopole est exacerbé par le rachat de Veolia à Suez. Les multinationales de l’eau sont des agents très puissants auxquels on peut faire face par l’organisation et la mobilisation citoyenne.
« Nous devons représenter les intérêts des citoyens. Les élus ont une responsabilité historique auprès des citoyens. L’eau est un sujet qui touche à la vie, c’est la vie elle-même, sans eau il n’y aura pas de vie, sans eau il n’y a pas de planète. Donc, si l’eau est laissée entre des mains privées, la vie est en danger, la planète est en danger», déclare Jacky Bortoli. Et il poursuit : « J’ai parlé avec des gens de tous les bords politiques, et quand les gens comprennent l’importance et l’urgence de la question, ils s’engagent sur la possibilité de rendre le bien commun de l’eau aux citoyens »
Un débat toujours ouvert
De la part du public, il y a eu d’importantes interventions et contributions qui permettent une analyse beaucoup plus détaillée des caractéristiques territoriales du débat. Il y a évidemment beaucoup de questions, de doutes et d’attentes. Comme résultat préliminaire de ce scénario de débat, on peut dire qu’à l’horizon il y a une possibilité de changement à Dourdan, cependant le débat est toujours ouvert et ce sont les citoyens qui, à travers leurs organes de représentation populaire, choisiront le meilleur pour l’environnement et l’économie de la région et de ses habitants.