Les incendies et les sécheresses font s’envoler la valeur de l’eau en Bourse révèle Ulysse Bergeron dans un article publié par Le Devoir le 29 juillet 2022. Une aubaine pour les spéculateurs. Et des difficultés supplémentaires pour le secteur agricole aux Etats-Unis et les consommateurs de fruits et de légumes au Québec. Bien entendu, la mise de l’eau en Bourse n’a aucun effet sur le manque d’eau…
Un article alarmiste qu’il faut tempérer par le fait qu’il n’ y a quasiment aucune transaction sur l’eau en bourse. Pour que des agriculteurs en pénurie d’eau puissent se tourner vers les marchés pour acheter de l’eau, il faudrait qu’il y ait des vendeurs or il n’y en a pas, du fait de la sécheresse.
La valeur de l’eau de la Californie, négociée sur les places boursières américaines depuis décembre 2020, atteint de nouveaux sommets en raison des incendies et des sécheresses qui accablent le Golden State, laissant entre autres présager une hausse des prix des fruits et légumes que le Québec importe de cette région.
En deux mois, le prix des contrats à terme sur l’eau négociés à la Bourse de Chicago et au Nasdaq a bondi de 30 %, passant de 792 $ à 1144 $ l’acre-pied, une mesure équivalant à 1,2 million de litres.
En Californie, lorsque les grands consommateurs — les municipalités, les agriculteurs et les industriels — ont utilisé leurs droits de première appropriation (la quantité d’eau qui leur est attribuée au départ), ces derniers peuvent ensuite se tourner vers les marchés boursiers. Depuis décembre 2020, des contrats à terme sur l’eau destinée à ces grands consommateurs s’échangent ainsi à la Bourse de Chicago et au Nasdaq. Les contrats à terme sont des instruments financiers qui visent à fixer à l’avance le prix des livraisons d’une ressource ; ils sont notamment utilisés pour le pétrole, les métaux et les grains.
« Cette hausse des prix des contrats sur l’eau s’inscrit dans une conjoncture estivale et dans un contexte de fin de sécheresse, voire de sa poursuite, avec des aquifères endommagés », explique Frédéric Lasserre, expert en géopolitique de l’eau et directeur du Conseil québécois d’études géopolitiques de l’Université Laval.
Sécheresses historiques, prix historiques
Les 17 principaux réservoirs de la Californie sont en effet à des niveaux historiquement bas. Onze d’entre eux n’atteignent pas 40 % de leur capacité maximale, selon les données que publie quotidiennement l’État. Certains (comme ceux de Pine Flat et Trinity, situés respectivement au centre et au nord de la Californie) ne sont qu’au quart de leur capacité maximale.
Les périodes de sécheresse se sont multipliées dans l’État ces dernières années. Les précipitations ont été extrêmement rares en 2014 et 2015, tout comme en 2020 et en 2021.
Cette réalité stimule la demande en eau du secteur agricole qui, par son recours à l’irrigation, « suscite du coup une hausse très mécanique des cours à court terme », fait remarquer le spécialiste en géopolitique de l’eau.
L’an dernier seulement, la quantité d’eau de surface utilisée par l’agriculture californienne a chuté de 5,5 millions d’acres-pieds (6,8 milliards de mètres cubes) en comparaison à une année sans sécheresse. Pour combler ce manque, les fermes ont alors pompé environ 4,2 millions d’acres-pieds supplémentaires d’eau souterraine.
Une étude publiée cette semaine par le Public Policy Institute of California s’est intéressée à l’impact du stress hydrique et de la pénurie d’eau sur la vallée de San Joaquin. Cette région du centre de la Californie produit à elle seule près de la moitié des fruits et des légumes des États-Unis.
Jusqu’à présent, les agriculteurs de la région ont dû mettre en jachère environ 100 000 acres de terres agricoles. Les experts pensent que la sécheresse pourrait faire passer ce nombre à 500 000 d’ici 2040.
La tendance actuelle laisse entrevoir qu’un nombre croissant d’agriculteurs pourrait devoir se tourner vers les marchés boursiers en raison de la pénurie d’eau, indique M. Lasserre : « Une exploitation agricole, avec des droits moyennement prioritaires, pourrait à moyen terme voir une partie de ses besoins en eau désormais non assurés à travers ses droits, ce qui la contraindrait à se tourner vers le libre marché. Ceci supposerait donc une hausse de ses coûts, qu’elle répercuterait très probablement dans ses prix. »
Aux États-Unis, le fait de laisser le libre marché déterminer le prix de l’eau a fait réagir. Deux élus démocrates, le représentant Ro Khanna et la sénatrice Elizabeth Warren, ont d’ailleurs déposé en mars dernier un projet de loi, le Future of Water Act, qui interdirait de négocier des contrats à terme d’eau sur les divers marchés boursiers.
Lors de la présentation du projet de loi, la sénatrice Warren avait expliqué ainsi sa démarche : « L’eau est un droit humain, et Wall Street ne devrait pas être autorisée à utiliser cette ressource vitale pour faire des profits aux dépens des travailleurs américains. L’une de nos ressources les plus essentielles ne doit pas être vendue aux enchères au plus offrant. »