Le 7 septembre prochain, la Commission nationale du débat public (CNDP) doit décider sous quelle forme se fera la participation du public au débat sur l’osmose inverse basse pression (OIBP), le projet à un milliard d’euros du SEDIF, déjà mis à mal par l’abandon du site pilote d’Arvigny. Par l’association Eau publique Orge Essonne.
Bref rappel des derniers épisodes de ce dossier: en janvier 2022 le préfet de Seine et Marne refusait d’autoriser le projet pilote du SEDIF d’OIBP à l’usine de Savigny-le-Temple. Une opération en vue de tester ce procédé avant son extension prévue dans l’ensemble des usines franciliennes de productions d’eau du SEDIF .
Après avoir annoncé vouloir contester ce refus par tous les recours possibles, le président du SEDIF, André Santini, annonçait en avril n’avoir finalement plus besoin de cette première étape de travaux pour déployer l’OIBP sur l’ensemble de son réseau. Voir ici
Interpellée dès 2021 par la coordination EAU Île-de-France, relancée au printemps par notre association, la Commission nationale du débat public (CNDP), vient de confirmer que le coût (plus de 800 millions d’euros) et l’ampleur du projet d’eau osmosée du SEDIF (Syndicat des Eaux d’Île-de-France) exige l’organisation d’une concertation officielle sous son égide.
La CNDP est une autorité publique indépendante créée il y a 26 ans pour garantir le droit du public à l’information et à la participation sur les projets qui ont un impact sur l’environnement. Ce droit est inscrit à l’article 7 de la Charte de l’environnement, qui constitue, depuis 2005, le préambule de la Constitution française. Elle comprend théoriquement 25 membres mais 2 sièges sont vacants et 2 de ses membres aux abonnés absents. Elle est présidée par Chantal Jouanno dont les relations sont tendues avec le Président Macron, depuis qu’elle a déclaré il y a 6 mois : Depuis vingt-cinq ans (création de la CNDP), ce gouvernement est le premier qui a réduit le champ de la participation du public.
Le droit au débat pour le public reste un combat
Ce « droit au débat » du public est supposé permettre d’améliorer les décisions des responsables des projets . La CNDP est une autorité neutre qui ne se prononce pas sur l’opportunité des projets ou des politiques débattus, contrairement au commissaire enquêteur supposé donner son avis à l’issue d’une enquête publique. la CNDP n’a pas pour fonction de « faire accepter » ou de faire abandonner les projets .
Réglementairement, la participation du public devrait être garantie par la CNDP dès l’origine d’un projet jusqu’à l’enquête publique, donc pendant son élaboration. Cette intervention débute donc à un moment où il est encore possible d’y renoncer, de le modifier, où l’on peut interroger le “pourquoi ?” et pas seulement le “comment ?”. Si après cette première phase, le porteur de projet décide de le poursuivre, la loi prévoit que la CNDP veille à l’information et à la participation du public jusqu’à l‘enquête publique, dernière étape de consultation avant que les services de l’Etat autorisent ou non le projet présenté.
Deux options de concertation
La participation du public au processus d’élaboration des projets peut se faire sous plusieurs formes, en fonction du coût et de la catégorie du projet et de ses enjeux. La CNDP a donc pour première mission de déterminer, pour chaque projet, sous quelle forme doit se faire la participation du grand public . C’est ce qu’elle doit décider le 7 septembre 2022 pour le projet d’OIBP dont le coût de 800 millions d’euros laisse le choix entre les 2 options
- Soit elle décide d’organiser un débat public dont elle assure en toute indépendance le pilotage et l’organisation. Elle en valide le dossier d’information, et fixe le calendrier et les modalités de participation.
- Soit elle peut confier au responsable du projet l’organisation de la concertation. Elle désigne alors un.e ou des garant.e.s qui veilleront au respect du droit à l’information et à la participation.
A l’issue du débat public, ou de la concertation pour les projets définis par la loi, la CNDP désigne un.e ou des garant.e.s qui veilleront au droit à l’information et à la participation du public jusqu’à l’enquête publique (ou la participation par voie électronique). Elle garantit donc une concertation continue.
À l’issue de la concertation ou du débat public, la CNDP élaborera un rapport (compte rendu et/ou bilan) qui sera rendu public et transmis au responsable de projet.
Ce rapport ne se prononcera donc pas sur le bien-fondé du projet mis en débat ou des arguments avancés par le public. Il doit simplement donner à voir de manière détaillée la cartographie des arguments de l’ensemble des participants. En fonction de quoi, il doit formuler des recommandations à l’égard du responsable du projet pour une bonne prise en compte de la parole citoyenne.
Le responsable du projet a l’obligation de répondre, dans les trois mois, de manière détaillée à ces recommandations et d’indiquer publiquement ce qu’il retient du débat ou de la concertation.
Les dirigeants du SEDIF inaptes et hostiles à la conduite d’un débat démocratique
Il est définitivement impossible d’espérer l’organisation d’une concertation honnête sur l’Osmose inverse basse pression si elle est confiée aux dirigeants politiques et administratifs du SEDIF. En effet, depuis l’annonce officielle de ce projet, il y a huit ans, ces dirigeants l’ont obstinément présenté comme formidable et incontestable. Ils se sont bornés à ressasser, dans tous leurs dossiers et supports de communication, le même slogan une eau pure sans calcaire et sans chlore, grâce à l’OIBP.
Ils n’ont jamais envisagé de partenariat avec des instances de recherche indépendantes pour en étudier les conséquences ni en vérifier le bien fondé. Pour « prouver » son bénéfice pour les usagers, le SEDIF a grassement payé Deloitte, une multinationale britannique d’audit qui s’est contentée de recycler trois études portant sur quelques dizaines d’usagers d’appareils électro-ménagers au Danemark et aux Etats-Unis. La Chambre Régionale des Comptes, dans son rapport de 2017 sur la gestion du SEDIF, met en exergue l’extrême diversité, et donc l’absence de fiabilité, des résultats quelques études sensées évaluer les économies induites pour les usagers par l’eau osmosée.
La démocratie façon SEDIF, c’est : on décide d’abord, on discute ensuite
Alors que l’obligation constitutionnelle de consultation des usagers n’a d’utilité que si elle intervient en amont des décisions pour permettre de s’assurer de leur pertinence, le SEDIF a tout organisé , a contrario, pour qu’elle intervienne en bout de course quand tout est déjà décidé et que des sommes importantes ont été engagées pour le projet :
En effet, la décision du SEDIF de recourir à l’OIBP pour la totalité de ses usines de production d’eau potable a été officialisée dès décembre 2015 date d’adoption de son 15ème plan quinquennal de travaux du SEDIF (plan 2016-2020)
Ce XVe Plan, intitulé « l’eau du 21e siècle pour l’Ile-de-France », prévoyait de « développer un service novateur et performant au service des usagers », dans le cadre de la Métropole du Grand Paris », en déployant les technologies de pointe pour « anticiper les attentes des consommateurs » vers une eau pure, sans calcaire et sans chlore, au robinet de chaque abonné grâce un traitement membranaire moderne sur chaque usine, pour les besoins des 50 prochaines années (XVe et XVIe Plans),
-Plus décisionnel l’appel d’offre lancé pour le renouvellement de la Délégation de Service public du SEDIF en mai 2021(date limite de dépôt des offres fin juillet) comporte l’impératif de :
« La réalisation de travaux neufs et de réhabilitation, notamment la mise en place de l’osmose inverse basse pression (OIBP) sur les usines de Choisy-le-Roi, Neuilly-sur-Marne, y compris le renforcement et la sécurisation électrique de ces deux usines, et sur l’usine de Méry-sur-Oise, la refonte du système d’information industriel, la refonte du système de télérelève et le développement du site internet et du portail SEDIF tiers ».
N’est même pas sollicitée en variante une offre des entreprises sans OIBP.
S’agissant de la première phase de test de ce projet, prévue cette année à Arvigny (usine de Savigny-le-Temple en Seine et Marne), le caractère rétroactif de la « concertation préalable » organisée le SEDIF a été encore plus flagrant: délibération décidant la mise en œuvre de l’OIBP votée dès décembre 2017, et marché passé en octobre 2020 avec l’entreprise retenue, avant même publication du compte-rendu de la concertation!….avec zéro participant des cinq communes desservies par cette usine (aucune annonce dans la presse locale et aucune réunion pour cette concertation organisée en 2020, pour être bien sûr que personne n’en soit averti).
En 2022, huit ans après avoir décidé ce projet, après l’avoir décrit et promu sans la moindre nuance comme un progrès formidable, les capacités spontanées des dirigeants du SEDIF à le remettre en question sont donc nulles. En effet, cela signifierait pour eux admettre qu’ils s’y sont engagés de façon aventureuse à l’encontre de l’intérêt général. Cela les obligerait en outre à redémarrer à zéro la procédure longue et coûteuse de renouvellement de la DSP engagée depuis deux ans pour maintenir 1douze ans de plus le SEDIF sous la coupe de Veolia. Comment imaginer de leur part un tel aveu d’incompétence et d’abus de pouvoir !
A notre avis, l’enjeu de société, sous-jacent à ce projet d’OIBP nécessite un débat public dont l’organisateur ne soit pas juge et partie. l’organisation de ce débat par la CNDP elle-même nous parait seule à-même de réunir les conditions d’information contradictoire, et d’écoute sincère des habitants , de leurs associations, de leurs élus qu’exige la question de la protection de la qualité de l’eau en Île de France.