Daniel Hofnung, co-président de la Coordination EAU Île-de-France, était invité au colloque international « gestion de l’eau et changement climatique », qui s’est tenu les 24 et 25 janvier, à Dharwad (Inde). Voici son intervention.
C’est une question qui commence à peine à être abordée. Habituellement, il est seulement dit que le réchauffement climatique a des conséquences sur le cycle de l’eau.
Un retour en arrière est nécessaire : dans les dernières décennies du XXe siècle, de nombreuses publications scientifiques ont alerté sur l’apparition d’un réchauffement climatique, en l’expliquant par un réchauffement supplémentaire lié à l’effet de serre provoqué par l’augmentation sensible des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, et imputable à l’activité humaine.
Cela a abouti à la rédaction de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, adoptée à New York le 6 mai 1992. Le processus des COP a suivi, pour contrôler les émissions de gaz à effet de serre afin d’éviter une perturbation dangereuse du système climatique.
Peu de temps après l’adoption de la Convention, un tout autre aspect du climat a fait l’objet d’une publication le 24 décembre 1992. Elle indique que les « rivières aériennes de vapeur » générées par la forêt d’Amazonie peuvent transporter au dessus de la forêt une quantité de vapeur d’eau proche du débit du fleuve Amazone, soit 165 millions de kilogrammes par seconde. Le constat n’était pas tout à fait nouveau : en effet, dès octobre 1979, une étude basée sur la composition isotopique de l’oxygène de la vapeur d’eau montrait que l’évaporation de la forêt amazonienne y jouait un rôle dominant dans l’humidité de l’air.
Par la suite d’autres études ont porté sur le rôle des rivières atmosphériques dans les cyclones tropicaux et dans les inondations, avec des masses d’air humide d’origine marine. Des mesures faites en 2004 à 1 km au dessus du sol au Colorado ont montré que la rivière aérienne transportait 50 millions de litres d’eau par seconde, l’équivalent d’un tuyau de 100 m de large où l’eau jaillirait à 50 km/h.
De nombreuses études ont été publiées sur les rivières aériennes, depuis les années 90. Même si elles impliquent le cycle de l’eau, les phénomènes qu’elles décrivent restent étroitement liés au réchauffement climatique.
Le cas des grandes forêts montre le rôle des arbres comme générateurs d’humidité. En 2006, Victor Gorshkov et Anasatassia Makarieva ont formulé le principe de la pompe biotique, qui dans les rivières de vapeur au dessus des grandes forêts (Amazonie, Congo, Sibérie) ajoute à l’humidité produite par la forêt celle aspirée de l’océan, générant des précipitations sur des milliers de kilomètres, ce qui se produit uniquement en présence de forêt.
Ils ont ainsi prouvé le rôle essentiel de l’arbre et des forêts sur le climat mondial. En 2007, ils ont publié à nouveau sur le sujet, cette fois non dans une revue scientifique russe mais dans une revue internationale. Leurs données ont été présentées par D. Sheil et alt. dans Bioscience en 2009 (voir ci-dessus)
Au Brésil, c’est Antonio Donato Nobre, de l’Institut National de Recherche Spatiale brésilien et de l’Institut National brésilien de Recherche sur l’Amazonie qui a publié en 2014 « the Future Climate of Amazonia ».
Ses conclusions sont claires : d’une part la forêt amazonienne joue un rôle essentiel pour le climat de toute l’Amérique du sud (à l’est de la cordillère des Andes, qui fait barrage) et même d’une partie de l’Amérique du nord, en expliquant le régime des pluies, alimentées par les rivières aériennes de vapeur de la forêt, elles-mêmes dopées par la pompe biotique, et d’autre part, la déforestation a des conséquences dramatiques, car elle tarit en partie ces rivières aériennes.
C’est tout le climat de la région qui s’en ressentira, l’Amazonie pouvant se transformer progressivement en savane, et un vaste quadrilatère autour et à l’ouest de São Paulo, où est concentrée la majorité de la population et de l’activité du pays se transformerait en désert, comme cela existe en Australie à une latitude voisine.
Les publications sur le sujet se sont multipliées et une étude de plus d’une vingtaine de chercheurs des 5 continents, en 2017, a montré comment l’évapotranspiration des forêts contribue à rafraichir le climat.
D. Ellison and alt. – Trees, forests and water : Cool insights for a hot world
La preuve est faite que l’évolution du système climatique ne peut pas être comprise uniquement sur la base des concentrations en gaz à effet de serre dans l’atmosphère, d’autres processus sont impliqués au niveau du cycle de l’eau. Celui-ci est essentiel pour comprendre l’évolution du climat, en particulier en lien avec les grandes forêts. En conséquence, même si nous arrivions à stopper l’accroissement du taux de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, le changement climatique dû à la déforestation et à nos modes d’occupation du sol continuerait, et il transformerait des régions entières en déserts.
C’est pour cette raison que le cycle de l’eau doit être absolument pris en compte comme déterminant essentiel du climat. Les mesures le concernant ne relèvent pas de « l’atténuation du changement climatique », elles solutionnent une des causes fondamentales de celui-ci.
Il faut cesser de confondre « réchauffement climatique » et « changement climatique », celui-ci est bien plus large et inclut toutes les conséquences des modifications anthropiques au cycle de l’eau, en particulier la déforestation, et secondairement les pratiques agricoles productivistes et la modification de la couverture des sols, en particulier liée à l’urbanisation.
Il est essentiel de revoir notre approche du cycle de l’eau, en incluant son lien avec le climat. Dès 2008, un groupe d’hydrologue slovaques et tchèques y avaient appelé en publiant « Water for the Recovery of the Climate, A New Water Paradigm ». Ils y appellent à conserver l’eau là où elle tombe et à éviter le ruissèlement pour lutter contre les inondations. Ils ont dirigé un programme d’aménagement des bassins versants à l’échelle de la Slovaquie en 2010-2011, avec la réalisation de milliers de petits ouvrages pour ralentir l’écoulement et infiltrer l’eau de pluie.
Puis plus récemment, en 2021, un texte publié par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement « Travailler avec les plantes, les sols et l’eau pour rafraichir le climat et hydrater les paysages de la Terre » a mis en avant clairement le rôle du cycle de l’eau dans le climat. La réduction de la couverture végétale réduit l’évapotranspiration ce qui augmente les températures. Les grandes forêts sont les premiers générateurs de vapeur d’eau et créent les rivières volantes de vapeur qui transportent l’eau sur de longues distances. Tout ce processus est mis en cause par la déforestation et les mauvaises pratiques agricoles.
Les conclusions du texte du PNUE sont simples : si nous voulons éviter une catastrophe climatique et environnementale, nous devons immédiatement cesser la déforestation, reforester et changer de pratiques agricoles.
Très récemment, en novembre 2022, un film « le mystère des rivières aériennes en Amazonie », a montré comment la déforestation influe déjà sur la pluviométrie dans le centre du Brésil, à l’ouest de São Paulo les chutes d’Iguazú qui coulaient toute l’année sont maintenant plus qu’à moitié à sec pendant la saison sèche. C’est une preuve que les conséquences de la déforestation sur le régime des pluies sont bien réelles.
Les conférences sur le climat qui se succèdent sont hélas une voie sans issue, car elle ne prennent pas pleinement en compte un déterminant essentiel de notre climat : le cycle de l’eau avec en particulier les courants aériens de vapeur liés aux grandes forêts.
Peut-on les sauver ? L’organisation de la conférence sur la biodiversité (COP15) va dans le bon sens, car elle élargit la vision à la nécessaire protection de la biodiversité.
Il reste à inclure pleinement le cycle de l’eau dans les réflexions, et à multiplier les recherches sur le sujet, tout en se gardant de l’influence des structures qui organisent les forums mondiaux de l’eau, et qui participeront à la prochaine conférence des Nations-Unies sur l’eau, en mars 2023. Elles sont en effet trop dépendantes de multinationales dont l’intérêt a peu à voir avec la sauvegarde de la planète.
Une réflexion sur « Le rôle de l’eau dans le changement climatique »