« Face au dérèglement climatique, l’eau est plus que jamais un bien commun précieux » selon Hervé Paul, vice-président de la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies) en charge du cycle de l’eau et président de la régie publique Eau d’Azur. Principaux extraits d’un entretien avec Danièle Licata, publié par la revue des collectivités locales. Hervé Paul pointe les atouts d’une gestion publique et responsable face à la crise climatique. La réutilisation des eaux usées n’est pas la solution miracle, indique-t-il aussi.
La gestion publique de l’eau gagne du terrain en France. Pourquoi la régie, tant pour la gestion de l’eau que celle de l’assainissement, séduit-elle ?
H.P. : La FNCCR rassemble à la fois des collectivités qui délèguent la gestion de l’eau potable et d’autres qui l’assurent en gestion publique. Effectivement, nous assistons à certaines reprises en régie (ou création société publique locale) emblématiques dans de grandes agglomérations françaises. Ces choix de gestion sont des gestes politiques qui relèvent d’une analyse des enjeux et objectifs propres à chaque collectivité. Parmi les motivations de ces choix exprimées par les collectivités, on retrouve la volonté de maîtrise des services, la prise en compte des enjeux locaux, le besoin de s’inscrire dans une logique de long terme en matière d’investissement, les retombées financières pour le territoire, la maîtrise des tarifs et l’implication citoyenne. Des élus considèrent que l’eau est un bien commun qui ne doit pas entrer dans une logique de marchandisation. Cela ne signifie pas que ces objectifs soient considérés comme incompatibles avec le modèle concessif et certains couples concédant / concessionnaire prouvent que c’est possible. Mais cela nécessite alors de consacrer de gros moyens pour piloter, suivre et surtout contrôler le concessionnaire pour réduire l’asymétrie d’information, évaluer la performance et l’efficience de l’exploitation, veiller à ce que les choix d’investissement relevant du concessionnaire visent bien les objectifs de sobriété et de durabilité. Inversement, la gestion publique n’est pas intrinsèquement performante ou engagée dans une logique de long terme si la collectivité n’établit pas une stratégie claire, s’isole et n’engage pas une démarche ambitieuse de qualité de service et d’autocontrôle. Dans tous les cas, même les bons outils peuvent être mal utilisés, d’où l’importance clef du rôle des élus et de leur implication dans la gestion des compétences de leurs collectivités.
RCL : Comment lutter contre la raréfaction de la ressource ?
H.P. : Premièrement, les services doivent intégrer la sobriété des usages de l’eau et inciter aux économies d’eau, en particulier en période sèche. Cela concerne tous les usagers, qu’ils soient domestiques ou profes- sionnels, y compris les collectivités elles-mêmes pour leurs propres consommations. D’où un besoin fort de sensibilisation, de formation, d’acculturation des enjeux de l’eau auprès de tous les usagers et de la société en général. En lien avec cette sensibilisation, il s’agit de faire évoluer les structures tarifaires pour inciter les usagers à réduire leur consommation d’eau tout en mettant en œuvre les dispositifs pour garantir l’accès à l’eau à tous avec une vraie politique sociale. Au-delà de cet enjeu, il est nécessaire d’améliorer l’équité dans la tarification de l’eau en particulier pour que les usa- gers intermittents qui consomment essentiellement en période de pointe (résidences secondaires, utilisateurs de puits et forages privés) contribuent en proportion au financement des services d’eau et d’assainissement : en effet, les ouvrages des services sont dimensionnés pour assurer le service en période de pointe et ce sont ces consommations qui génèrent les coûts les plus élevés pour les services.
Deuxièmement, les collectivités doivent améliorer la performance des ouvrages des services d’eau et en particulier réduire les fuites et les volumes d’eau utilisés pour les besoins de l’exploitation des services. Nous estimons qu’avec une politique proactive de recherche, de réparation rapide des fuites et de renouvellement intelligent ciblé sur les réseaux les plus vulnérables, il devrait être possible de diviser par deux les volumes d’eau des fuites et passer d’un rendement moyen (national) de 80 % à 90 %. Enfin, la diminution des ressources en eau renouvelable accentue les problématiques qualitatives sur les services d’eau et sur la biodiversité, notamment liées aux pollutions d’origine agricoles. En effet, elle conduit à l’augmentation des concentrations en polluants dans les eaux (il y a moins d’eau pour les diluer) et l’abandon des captages pour cause de pollution va devenir de plus en plus compli- qué lorsque les ressources alternatives se raréfient…
RCL : Quelle place le traitement des eaux usées peut-il prétendre dans cette gestion responsable ?
H.P. : Là encore, deux enjeux. Sur le plan qualitatif, les services d’assainissement ont vocation à traiter les eaux usées pour les restituer propres aux milieux naturels. Jusqu’à présent, les exigences en matière de traitement se sont portées sur la réduction des pollutions organiques, matières en suspension, azote et phosphore, étant entendu qu’en pratique, les stations d’épuration éliminent également des eaux usées traitées un grand nombre de métaux et autres polluants. L’apparition (ou la prise de conscience) de l’importance d’un nombre toujours plus important de polluants tels que les résidus de médicaments, de détergents, de cosmétiques… conduit aujourd’hui à poser la question de leur traitement.
Cela figure d’ailleurs dans les propositions de la Commission européenne sur la révision de la directive eaux résiduaires urbaines de 1991. Toutefois, même si les surcoûts induits par ces nouvelles exigences de traitement venaient à être pris en charge par les personnes qui mettent sur le marché des produits qui contiennent ces polluants, cela nous apparaît une solution curative non-satisfaisante et qu’il vaudrait beaucoup mieux interdire ou au moins réduire l’utilisation de ces molécules ou systématiser les traitements à la source plutôt qu’en bout de chaîne dans les stations d’épuration. D’autant que souvent, ces polluants ne sont pas éliminés mais juste transférés dans les boues ce qui réduit les possibilités de leur valorisation… La réutilisation des eaux usées traitées peut contribuer à répondre aux enjeux quantitatifs de gestion de l’eau. Mais il ne s’agit pas d’une solution miracle qui créerait de nouvelles ressources en eau…
Elle peut permettre d’économiser et de préserver les ressources, mais cela nécessite de prendre en compte les besoins des milieux et les divers usages sur le territoire et en aval. En effet, si l’eau traitée est réutilisée pour de l’irrigation au lieu d’être restituée dans les cours d’eau et n’est pas substituée à des prélèvements existants dans ce même cours d’eau, l’eau va lui manquer, ainsi qu’aux usagers. En milieu littoral, il n’y a en général pas de risque majeur, les eaux usées traitées se déversant dans la mer ; idem si l’eau réutilisée finit par être restituée au cours d’eau après un ou deux usages supplémentaires. En revanche, en tête ou milieu de bassin si cette réutilisation se fait aux dépens de la restitution de l’eau dans les cours d’eau, ce peut être très négatif. N’oublions pas que par exemple dans les agglomérations de Rennes ou Paris, la restitution des eaux usées traitées dans la Villaine ou la Seine peut représenter plus de la moitié du débit d’étiage et même la quasi-totalité pour la Vesle à Reims…
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