Les dividendes aux actionnaires de Veolia ne pourraient-ils pas servir à autre chose ?

Le maire communiste d’Ivry-sur-Seine, Philippe Bouyssou, souhaite sortir, avec huit autres communes, de la délégation de service public avec le syndicat des eaux d’Ile-de-France. Pour lui, l’eau est un bien public et doit échapper à la logique commerciale. D’ailleurs, la métropole niçoise, gérée par la droite, a bien réussi à le faire. Propos recueillis par Stéphane Menu dans La lettre du cadre territorial d’avril 2021.

Vous êtes l’un des neuf maires du Val- de-Marne à être engagé pour une gestion publique de l’eau. Pourquoi avoir pris une telle décision ?

Pour tous les maires concernés, tous élus au conseil de territoire du Grand-Orly-Seine-Bièvre, l’idée est de faire en sorte que la gestion échappe à la notion de rentabilité. Nous sommes dans ce combat depuis plusieurs mois, à l’instar du territoire Est ensemble, dans un travail d’étude pour mettre en place une régie publique de distribution de l’eau, alors que la convention qui nous lie avec le syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif) arrivait à échéance à la fin de l’année 2020. Ce dernier n’a pas répondu officiellement à notre demande. C’est pour cette raison que nous avons demandé une prolongation de la convention jusqu’en 2023, le temps pour nous de trouver une solution alternative, qui pourra passer par une régie ou une société d’économie mixte. Nous ne sommes pas dans une position dogmatique. D’autres villes ont fait ce choix, comme Nice, Grenoble ou encore Paris, et la première cité, à ma connaissance, n’est pas dirigée par un maire de droite.

Dans quelles conditions se déroule ce divorce ?

Pas à l’amiable, à l’évidence. Nous sommes en désaccord avec le Sedif sur la propriété des réseaux, des usines. Nous considérons qu’une partie de ce patrimoine appartient aux habitants de nos neuf communes qui ont contribué ces dernières années financièrement à leurs édification et entretien. Nous souhaitons utiliser les mêmes réseaux pour ne pas réaliser des travaux pharaoniques et surréalistes qui consisteraient à créer un réseau parallèle à celui en vigueur. Notre souhait est de pouvoir pratiquer une tarification sociale de l’eau, mesure de bon sens refusée par le Sedif.

Comment en est-on arrivé là ?

La compétence de l’eau relève des établissements publics territoriaux, suite à la loi Maptam (loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, ndlr). Les municipalités n’exercent donc plus cette compétence. Nous allons créer très rapidement une régie publique de l’eau, qui va se substituer au Sedif, jusqu’à la fin de la délégation de service public (DSP) fixée en 2023. Nous ne sommes plus adhérents au Sedif, mais nous sommes toujours dépendants de Veolia. Notre régie publique assurera la gestion de la distribution, pas de la production. Ce qui nous oppose au Sedif, c’est la fameuse propriété des réseaux. Le syndicat en veut 8 millions d’euros. Cela nous permettraient de regagner notre autonomie sur ce triple patrimoine : usines de production, gros tuyaux de distribution, réseau secondaire. Le débat va s’engager. Nous prétendons qu’une partie de ses investissements nous appartiennent. Nous négocions les conditions de sortie et le préfet de région, Marc Guillaume, arbitrera dans notre sens. Nous pouvons nous appuyer sur la jurisprudence de la métropole niçoise : une régie intercommunale a été créée, la propriété des réseaux a été récupérée.

Que reprochez-vous au Sedif ?

Le Sedif est devenue le bras armé de Veolia, qui assure la gestion de l’eau de centaines de communes de France. Les investissements successifs engagés jusqu’ici visent à nous enfermer dans un système et de permettre aux actionnaires d’engranger des dividendes, pas forcément d’améliorer les réseaux. L’eau est un bien public qui doit être géré de façon transparente. Nous avons la conviction que l’entretien du réseau n’a pas été optimal, avec des fuites importantes et de l’eau potable retournant dans la nappe phréatique. Nous pensons que les besoins d’investissement n’ont pas été réalisés à la bonne échelle.

Si la métropole de Nice y est parvenue, pourquoi pas vous ?

Le rapport de force était différent à Nice car l’ensemble des communes de la métropole souhaitait une sortie de la DSP alors que nous ne sommes que neuf communes sur les vingt quatre. Tant que la DSP n’est pas finie, André Santini, président du Sedif, pèse dans le jeu. Le syndicat fait le pari que nous ne parviendrons pas à nos fins. Or la question simple que nous posons est fondamentale : est-ce que la part de rentabilité que retire Veolia ne pourrait pas être utilisée pour autre chose ? Le prix de l’eau va baisser avec le passage en régie publique, la part d’investissement va augmenter, nous pourrons proposer des tarifs sociaux, avec les premiers mètres cubes gratuits pour les personnes en difficulté. Nous avons le soutien de la population.

Bras de fer

Le Sedif souhaite, selon ses propres termes, siffler « la fin de la récréation », et assure qu’il n’est pas fermé au dialogue. Toujours est-il que le Sedif a pris acte de « la fin de la convention de coopération » et « fournira de l’eau, mais aux conditions normales, pas au même prix ». Les neuf communes du Grand Orly Seine Bièvre qui souhaitent quitter le Sedif (Arcueil, Cachan, Chevilly-Larue, Fresnes, Gentilly, Ivry-sur-Seine, Le Kremlin-Bicêtre, Orly et Vitry-surSeine), et le président du territoire, Michel Leprêtre, ont écrit au préfet de région, Marc Guillaume, afin qu’il joue le rôle de médiateur dans une « négociation […] qui doit empêcher les dépenses inutiles d’une séparation physique des réseaux et garantir le maintien d’une harmonisation et d’un juste prix pour tous les usagers du périmètre Sedif ».

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