Nestlé échappe au procès mais pas à la colère des associations

Depuis plus de 30 ans, la justice ferme les yeux sur les agissements illégaux de Nestlé Waters. Aujourd’hui, la multinationale échappe encore une fois à un véritable procès et bénéficie d’une justice négociée après avoir amassé plus de 3 milliards d’euros de manière frauduleuse. Par Wilona Sitbon, volontaire en service civique.  Liens ci-dessous vers les articles de Mediapart et de Reporterre et communiqués des associations. 

Ce mardi 10 septembre, le parquet d’Épinal, présidé par Frédéric Nahon, a rendu un verdict qui fait déjà couler beaucoup d’encre. Plutôt que de se voir traînée devant les tribunaux, la multinationale Nestlé entrera en procédure de Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP), une solution négociée qui lui permet d’éviter un procès. Pourtant, les accusations portées contre elle sont graves : exploitation de forages illégaux et tromperie sur la qualité des eaux commercialisées sous les marques Vittel, Contrex, Hépar, Perrier et San Pellegrino entre autres. Cette décision surprend alors que depuis 2016, des associations comme Vosges Nature Environnement, Lorraine Nature Environnement et France Nature Environnement alertent sur les pratiques de Nestlé. En octobre dernier, l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire) avait elle aussi émis de vives inquiétudes, signalant un « niveau de confiance insuffisant » pour garantir la qualité des produits commercialisés. Pourtant, ce rapport a été largement ignoré par les autorités compétentes. La CJIP, loin d’être une condamnation judiciaire classique, impose à Nestlé de verser une amende de 2 millions d’euros. La multinationale devra également financer des projets de restauration des cours d’eau à Vittel et Contrexéville et indemniser plusieurs associations à hauteur de 516 800 euros. Un montant absurde comparé aux 3 milliards d’euros de bénéfices tirés de la vente de bouteilles d’eau chimiquement traitée.

Les investigations ont révélé deux manquements majeurs de la part de Nestlé :

  • D’une part, l’exploitation de forages illégaux ayant provoqué un assèchement de la région des Vosges, perturbant gravement l’approvisionnement en eau des villages alentour. Sur un total de 9 forages, aucun n’a été déclaré aux autorités, une violation flagrante de la loi sur l’eau de 1992 et du Code de l’environnement.
  • D’autre part, ces eaux extraites de manière illégale ont ensuite été soumises à des procédés de purification, réservés en principe aux eaux de robinet, avant d’être vendues sous l’appellation trompeuse d’« eau minérale ». En utilisant des techniques comme les lampes UV et le charbon actif, Nestlé a commercialisé plus de 16 milliards de bouteilles d’eau, vendues à un prix cent fois supérieur à leur valeur réelle, qui est en réalité équivalente à celle du robinet. 

Malgré la gravité des faits, Nestlé ne sera vraisemblablement tenu responsable que pour ses forages non déclarés car le recours à des traitements interdits pour les eaux vendues sous la dénomination « minérales naturelles » constitue un délit de tromperie selon le Code de la consommation, et ne peut alors pas faire l’objet d’une CJIP. Cette convention de justice négociée permet de régler l’affaire rapidement, évitant ainsi un procès potentiellement long et embarrassant pour la multinationale déjà sujette aux scandales. Il convient de souligner que Nestlé n’est pas la seule entreprise à être impliquée dans de telles pratiques frauduleuses. Sources Alma, qui commercialise notamment les marques Cristalline et Saint-Yorre, adopte des procédés similaires. Ainsi, la décision d’une CJIP est vue par beaucoup comme une « simple tape sur les doigts », et laisse place à une profonde frustration. Les entreprises concernées, quant à elles, choisissent de se réfugier dans le silence, esquivant toute responsabilité publique.

Campagne de Foodwatch contre le filtrage illégal des eaux embouteillées.

D’ici trois mois, Nestlé devra s’acquitter de 3,6 millions d’euros, somme qui inclut l’amende de 2 millions d’euros, les indemnisations aux associations et le coût des réparations environnementales. Un chiffre dérisoire pour un géant qui a réalisé près de 95 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023. Pour François Zind, avocat du collectif Eau88, « C’est une potion amère ». L’affaire Nestlé n’est en effet pas un cas isolé, mais reflète une tendance devenue commune où les ressources naturelles sont sacrifiées au profit de quelques acteurs économiques puissants, c’est la politique du pollueur-payeur qui triomphe.

Mais qui protège Nestlé ? La multinationale, déjà fortement critiquée ces dernières années, semble jouir d’une bienveillance des autorités. À titre de rappel, Emmanuel Macron, alors banquier chez Rothschild, avait négocié un deal avec Nestlé et Pfizer qui lui avait permis d’accumuler une fortune. Est-ce un lien explicatif ou une simple coïncidence ? D’autant que Nestlé est régulièrement impliqué dans divers scandales depuis presque toujours. En septembre dernier Laurent Freixe a succédé à Mark Schneider à la tête du géant, après que ce dernier ait été démis de ses fonctions en plein scandale autour de la contamination des pizzas Buitoni par la bactérie E.coli. Encore une affaire de plus ternissant l’image de Nestlé qui s’est toujours vanté de son engagement pour le bien-être de ses consommateurs, pour la préservation de la planète tout en « communiquant de façon transparente et responsable ». Pour rappel, Nestlé avait justifié l’arrêt partiel de la production d’Hépar ainsi que la destruction de millions de bouteilles de Perrier en évoquant des « raisons climatiques » qui avaient contaminé les eaux, ce qui soulève aujourd’hui des doutes sur la transparence réelle de la marque face à ces incidents.

Malgré le verdict de la CJIP, les associations comme Vosges Nature Environnement, Lorraine Nature Environnement, ou encore Foodwatch ne se démontent pas et continuent de dénoncer une justice qui privilégie les grandes entreprises au détriment de la planète et des citoyens. Le collectif Foodwatch s’indigne, et est pour l’instant le seul à avoir décidé de refuser le chèque de compensation de Nestlé. Comment accepter de laisser Nestlé continuer à commercialiser des produits en toute impunité, malgré des pratiques douteuses depuis tant d’années ? Il est grand temps de réformer la gouvernance de l’eau et de s’assurer que les multinationales ne puissent plus enfreindre la loi sans subir de réelles conséquences. Le droit humain à l’eau et l’assainissement voté en 2010 à l’ONU est clair, l’eau doit être protégée et préservée. Il s’agit d’une ressource vitale qui ne peut être sacrifiée sur l’autel des profits économiques et des combines politiques.


Colère des ONG dans l’affaire Nestlé : 3 milliards d’euros de fraude, seulement 2 millions d’amende

Le tribunal d’Épinal a validé, le 10 septembre, la procédure de justice négociée entre Nestlé et le parquet dans l’affaire des forages illégaux et des traitements interdits des eaux minérales. La multinationale devra payer une amende très faible. Par Pascale Pascariello

Lire en accès abonné


Fraude sur les eaux minérales : « Nestlé Waters sort le chéquier et s’en tire » 

Nestlé ne sera pas jugé pour avoir eu recours à des traitements non autorisés sur ses eaux minérales. La justice a validé une convention prévoyant des amendes. Un « scandale » pour Foodwatch, une des associations plaignantes. 

Lire en accès libre


Eaux minérales : Nestlé Waters échappe au procès à Epinal, foodwatch ne lâche rien

Lire le communiqué de presse


Prélèvements d’eau : Nestlé Waters paye une amende record… au goût amer

Lire le communiqué de presse

 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *