Pesticides dans l’eau: le casse-tête des élus

Usines de traitement, filtres spéciaux… rien n’y fait : les pesticides demeurent toujours trop présents dans l’eau potable. Dans le Grand Ouest, des élus locaux réfléchissent à de nouvelles stratégies pour supprimer ce polluant à la source. Par Nolwenn Weiler

1, 7 million d’euros : c’est la dépense publique annuelle nécessaire pour distribuer de l’eau potable débarrassée du « R 47 1811 », auprès des 490 000 habitants de communes rurales ou semi-rurales en Loire-Atlantique. Ce métabolite – terme qui désigne un produit issu de la dégradation d’un pesticide – a été découvert en 2023 dans les eaux des captages gérées par Atlantic’eau, le syndicat mixte de gestion de l’eau en Loire-atlantique.

« Nous avons été alertés par la présence de ce produit dans des captages d’eau potable en Suisse, et avons décidé de mener des recherches complémentaires sur notre territoire au-delà des contrôles imposés par la réglementation »précise le syndicat. La présence du « R 47 1811 » a été révélée presque partout dans le département.

Ce produit au nom de robot provient du chlorothalonil, un pesticide utilisé depuis 1969 comme fongicide dans les champs de blé, seigle, orge, pommes de terre et tomates avant d’être interdit par l’Europe en 2019, car classé cancérogène possible« Il est notamment associé à des tumeurs rénales sur les animaux de laboratoire qui y sont exposés », souligne le Collectif sans pesticide de Massérac, en Loire-Atlantique, très mobilisé autour de la qualité de l’eau.

« Pour tâcher de protéger la qualité de l’eau distribuée au robinet, nous avons décidé de renforcer notre filière de filtres à charbon », détaille Mickaël Derangeon, maire-adjoint dans une commune du département et vice-président d’Atlantic’eau. Capables de piéger les pesticides, ces filtres doivent être changés régulièrement pour continuer à être efficaces. Ils doivent ensuite être portés à très haute température pour que les pesticides disparaissent. Cet approvisionnement, renouvellement et recyclage des charbons actifs coûte très cher : « 1,7 million d’euros par an, précise l’élu. Et cela pourrait augmenter en fonction des cours du charbon – qui arrive de Chine notamment – et qui sont en hausse en ce moment. »

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Au fur et à mesure que les molécules sont identifiées et qu’elles font l’objet de tentatives d’épuration, d’importantes impasses techniques apparaissent. On peut citer l’exemple du DMS – diméthylsulfamide de son nom complet – un métabolite du tolylfluanide, un pesticide très utilisé dans l’arboriculture jusqu’en 2010. « On a retrouvé du DMS sur un captage à des taux qui dépassaient 26 fois la norme en vigueur, explique Mickaël Derangeon. Et on a un gros problème avec ce produit car on n’a pas de solution technique. » Les charbons actifs ne fonctionnent pas, et l’ozonation (traitement chimique qui utilise les propriétés désinfectantes de l’ozone) non plus : sous l’effet de cette technologie, le DMS se transforme en un produit encore plus dangereux, le NDMA – pour nitrosodiméthylamine –, qui est notamment cancérigène.

« Même l’osmose, qui est la technique de traitement la plus aboutie, a une efficacité de seulement 50% d’après l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), remarque Mickaël Derangeon. Ce qui signifie que, même après un traitement, on serait encore au dessus des normes de potabilisation. » L’impasse technique est totale. Aucune aide de l’État n’est prévue pour aider les communes à se sortir d’affaire alors même que les politiques agricoles et les autorisations de pesticides s’élaborent au niveau national.

L’histoire du DMS ne s’arrête pas là. Car sous l’effet du chlore, ajouté à l’eau pour contrer le risque bactériologique, le DMS disparaît, sans que l’on sache en quoi il se transforme. « On ne sait pas en quoi il est métabolisé, explique Mickaël Derangeon. On ignore les risques et on a donc décidé de fermer le petit captage concerné par les dépassements de normes. » Cinq ans avant cette fermeture, le syndicat avait dépensé 700 000 euros pour des travaux de réfection…

Cette situation est loin d’être isolée, et se retrouve bien au-delà de la Loire-Atlantique. Dans les Alpes, le village du Castellet vit sous perfusion d’eau en bouteille depuis plusieurs mois suite à la découverte de ce fameux DMS. Selon le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, sur la période, en quatre décennies (1980-2022), environ 13 000 captages d’eau potable ont été fermés. La première cause de fermeture incombe à la dégradation de la qualité de la ressource en eau (32,3 % des situations). Parmi ces situations, 40% sont attribuées à une pollution d’origine agricole, par des nitrates ou des pesticides.

Ces situations ubuesques, et fort onéreuses, convainquent les élues locaux qu’il faut arrêter d’utiliser des pesticides plutôt que de dépenser des millions d’euros par an pour essayer de les faire disparaître, sans aucune certitude d’y arriver. « Le coût de la dépollution des pollutions agricoles représente entre 750 millions et 1,3 milliard d’euros par an, intégralement financé par les consommateurs via leurs factures d’eau et la redevance qu’ils versent aux agences de l’eau », rappelait une étude commune de l’UFC Que Choisir et Générations futures en 2021.

Partout en France, des élu.es locaux proposent de « faire des aires d’alimentations de captages d’eau potable le premier lieu d’une transformation des activités agricoles vers des pratiques durables et sans utilisation de produits phytosanitaires ». En clair, convaincre les agriculteurs concernés de ne plus épandre de pesticides autour de ces points de captage.

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