Quelles pourraient être les conséquences pour les collectivités locales d’une prise de contrôle de Veolia sur Suez ? C’est la question que beaucoup se posent depuis que Veolia a affiché ses intentions, le 30 août. L’association des maires de France (AMF) elle-même a fait part au Premier ministre, à ce sujet, de son « extrême vigilance ». Un article publié par Maire info le 17 septembre.
Le 30 août, le groupe Veolia annonçait qu’il souhaitait racheter la part du capital de Suez encore détenue par Engie (ex-Gaz de France). Ce qui, de fait, l’amènerait à prendre le contrôle de l’entreprise. Si l’affaire n’est pas terminée – la direction de Suez, tout comme ses salariés qui se sont mis à 90 % en grève contre ce projet, sont formellement opposés à la fusion – elle ne sera pas sans conséquence, en cas de réussite pour Veolia, sur les collectivités.
Suez et Veolia, ce sont deux géants centenaires qui, sous différentes appellations, au fil des prises de participation et des rachats, règnent sur le marché de l’eau depuis plus d’un siècle. L’actuelle Suez – née au moment de la construction du Canal de Suez en 1858 – s’est appelée pendant la majeure partie de son existence la Lyonnaise des eaux, avant d’être en partie rachetée par GDF, devenant le groupe GDF-Suez, avant de redevenir « Suez » en 2015. Le groupe gère environ 20 % des réseaux d’eau dans le pays.
Veolia a eu une histoire tout aussi mouvementée : son ancêtre est la Compagnie des eaux de Paris créée par les frères Périer en 1778. Elle deviendra Compagnie générale des eaux (« la Générale ») et va se diversifier dans les années 1980 vers des secteurs aussi divers que la télévision (Canal+) ou la téléphonie mobile (SFR). La Générale des eaux devient Vivendi en 1998, dont la branche environnement comprend l’ancienne Générale des eaux, ainsi que Dalkia (énergie) et la SGE (bâtiment) qui deviendra Vinci. Vivendi environnement deviendra enfin Veolia dans les années 2000. L’entreprise est le numéro un de la gestion de l’eau et de l’assainissement en France, avec environ 40 % de parts de marché.
À eux deux, les deux groupes représentent donc 60 % du marché privé de l’eau et de l’assainissement en France, la part restante se divisant entre la Saur (groupe Bouygues) et des entreprises de taille plus modeste.
Vigilance sur les tarifs et la qualité
Il y a donc quelques raisons de craindre que la naissance d’un nouveau géant par absorption de Suez par Veolia dégrade les conditions de concurrence dans un marché déjà très monopolistique. C’est la raison pour laquelle les dirigeants de l’AMF, sans prendre position sur « l’opportunité de cette opération financière », se sont adressés, hier, par courrier, au Premier ministre. François Baroin, André Laignel et Philippe Laurent soulignent dans ce courrier, que Maire info a pu consulter, que le projet « suscite de nombreuses interrogations de la part des collectivités locales » et que l’AMF sera « d’une extrême vigilance concernant les conséquences opérationnelles de cet éventuel rapprochement ». Qualité de service, capacité d’investissement, tarification, emploi, sont autant de sujets qui préoccupent les cadres de l’AMF dans cette affaire. Comme l’explique ce matin Philippe Laurent, maire de Sceaux et secrétaire générale de l’AMF, à Maire info : « Un tel rapprochement aurait pour conséquence mécanique une réduction de l’offre, et donc un affaiblissement de la concurrence, avec ce que cela implique comme tentation d’augmenter le prix de l’eau, et les répercussions que cela aurait sur les usagers. » La quasi-disparation de la concurrence pourrait également avoir des conséquences sur la qualité de service : « Vous avez, dans ce domaine, des contrats qui durent des années, mais qui ont été renouvelés… ou pas ! Un élu a toujours la possibilité de changer de concessionnaire s’il n’est pas satisfait de la qualité de service. Là, les possibilités seront moindres – et il y aura donc moins de pression sur le concessionnaire. »
« Géant français » ?
Les arguments brandis par les partisans de ce rapprochement – dont le Premier ministre lui-même, Jean Castex – tiennent avant tout à la constitution d’un « géant français ». Une analyse que récuse Renaud Muselier, président de Régions de France, qui n’a pas hésité à qualifier, au contraire, cette opération « d’erreur stratégique ». Pour lui, le rapprochement conduirait au contraire à un « affaiblissement à l’international » des deux groupes : « Toutes les grandes compétitions internationales où ils sont en tête à tête depuis des dizaines d’années font en sorte que c’est toujours la France qui gagne, estime Renaud Muselier. S’ils fusionnent, ils laissent mécaniquement la place ouverte à d’autres, qui vont se renforcer et qui gagneront petit à petit des parts de marché qui étaient détenues par les deux grandes entreprises françaises. »
Sans compter, estime Philippe Laurent, qu’en cas de dégradation sur la tarification et la qualité de service, de nombreux élus risquent de choisir, finalement, de reprendre la gestion de l’eau en régie. « Si le futur nouveau groupe perd de plus en plus de concessions en France, je ne vois pas bien en quoi cela le renforce d’un point de vue industriel », s’interroge le maire de Sceaux.
L’AMF conclut donc son courrier en demandant au Premier ministre de bien prendre en considération les « conséquences très importantes pour la gestion des services publics des collectivités territoriales ». Et, en cas d’aboutissement de la fusion, demande à tout le moins que « la garantie des contrats de la continuité des contrats de concession en cours » fasse l’objet d’un « engagement très clair de la part des nouveaux opérateurs éventuels ».