Quand les rivières coulent de nouveau à ciel ouvert en ville

La renaturation des cours d’eau est efficace dans la lutte contre les inondations. En apportant de la nature en ville, elle est source de fraîcheur et de bien-être. Aujourd’hui, des collectivités de toute taille engagent ce type de démarche, qui nécessite une adaptation progressive des habitants. Les projets consistent à rouvrir à l’air libre un tronçon de rivière, lui redonner une forme sinueuse pour ralentir son écoulement ainsi que débitumer et végétaliser les berges.

« Notre mission est de voir si les cours d’eau sont en bon état sur les plans écologique, chimique et biologique, et de nous pencher sur leur hydromorphologie [étude de leur morphologie]. Ainsi, nous restaurons des gabarits de rivières qui ont été linéarisées dans des chenaux en béton, dans les années 70 et 80, explique ­Hervé ­Cardinal, directeur des services techniques du syndicat intercommunal pour l’assainissement de la vallée de la Bièvre. De plus, les berges, façonnées en angle droit, étaient remplies de cailloux. Cette façon de contraindre les rivières a entraîné des désordres hydrauliques et a appauvri la biodiversité. » Son syndicat, le SIAVB, couvre 5 EPCI des Hauts-de-Seine, de l’Essonne et des Yvelines, et 30 kilomètres de rivière.

Le foncier, nerf de la guerre

De nombreuses collectivités, villes moyennes ou de plus petite taille, engagent de telles démarches de renaturation de leurs cours d’eau. Cela signifie rouvrir à l’air libre un tronçon de rivière, lui redonner une forme sinueuse pour ralentir son écoulement et débitumer les berges, qui redeviennent naturelles. Toutes ces actions améliorent la biodiversité. A l’heure du changement climatique, les cours d’eau sont ­appelés à se transformer, notamment en milieu urbain, en espaces naturels qui prodiguent de la ­fraîcheur, mais également en pôles qui améliorent la qualité de vie, avec des fonctions récréative et paysagère.

Poitiers (90 000 hab., Vienne) a engagé un processus de reconquête de la Boivre dans le cadre du renouvellement urbain du quartier de la gare. Ce cours d’eau long de 46 kilomètres, qui se jette dans le ­Clain à ­Poitiers, va faire l’objet d’une réouverture sur 200 mètres, avec une renaturation partielle des berges.

« Le projet, en phase opérationnelle en 2025, répond à un enjeu d’eau, de fraîcheur et de diversité de la nature en ville. Des aménagements sont aussi prévus pour en faire un lieu de promenade et apaiser la ­circulation au profit des piétons et des cyclistes, indique ­Bastien ­Bernela, conseiller municipal, chargé du développement économique et du quartier de la gare. Cette stratégie de reconquête écologique relève d’une volonté politique alors que, dans ce quartier de gare, nous pourrions densifier à outrance. » L’élu précise que ce projet ne peut se faire « que là où la ville a la maîtrise foncière des berges. Nous engageons des négociations avec le groupe La Poste, ­propriétaire de ­foncier en bordure de la rivière, pour aller plus loin dans la renaturation ». En effet, contrairement aux fleuves navigables, dont la gestion est assurée par l’Etat, la propriété des rivages et du fond du lit des cours d’eau est morcelée entre de nombreux propriétaires, publics et privés, ce qui complique la tâche. Le foncier apparaît donc comme le nerf de la guerre pour mener à bien ces opérations, qui ne sont déployées que tronçon après tronçon.

« Si le foncier n’appartient pas à la collectivité, les programmes deviennent très ­complexes, confirme ­Christian ­Piel, du cabinet ­Urbanwater. Mettre à découvert les cours d’eau, en créant des continuités, se heurte aussi au franchissement de routes, voies ferroviaires et entrées de parcelle. C’est pour cela que ce type d’opération se fait souvent dans des parcs car en milieu urbain dense, comme à Saint-Denis [Seine-Saint-Denis] pour le cours de la Vieille-Mer, nous n’y ­arrivons pas. Ces projets demandent une grande largeur de foncier. »

Moustiques vs libellules et chauves-souris

Longtemps, en raison de l’enterrement des rivières ou de leur aspect très contraint dans un chenal bétonné, les habitants ont perdu la conscience de l’eau. Certains craignent que ces démarches n’accroissent le risque d’inondations.

Nombre d’outils de sensibilisation sont déployés par les collectivités ou les syndicats de rivière pour faire comprendre en quoi retrouver l’eau en ville présente de nombreux atouts. « Face à ces questions, il est nécessaire d’acculturer les habitants », note Hervé Cardinal, au SIAVB. Des inquiétudes se font jour également concernant la présence accrue de moustiques. « Les ­libellules et les chauves-­souris sont une ­solution, puisqu’elles en mangent entre 30 000 et 60 000 par jour ! Nous avons mis en place une trame noire qui ­permet de conserver un corridor à chauves-souris. Et il est important d’expliquer que si l’eau est moins stagnante et s’infiltre plus facilement, le nombre de moustiques va diminuer. C’est un cercle vertueux », se réjouit ­Alexandra ­Maccario, à Cagnes-sur-Mer.

Une fois les travaux de renaturation effectués, de nombreux exemples montrent la satisfaction des habitants, pour qui vivre près d’un cours d’eau se révèle valorisant. Le retour de la biodiversité contribue à ce satisfecit. « Dès la réalisation des travaux, quand le chenal a été cassé, nous avons vu très rapidement des joncs pousser au bord du rivage. Les écologues de la Ligue de protection des oiseaux procèdent à des relevés dans le cadre de l’atlas de la biodiversité de la commune. Ils pourront ainsi suivre les évolutions, chaque année », détaille ­Alexandra ­Maccario.

Déclaration plutôt qu’autorisation

Le nombre de projets en milieu aquatique devrait s’accélérer. Et le législateur y contribue. Désormais, en matière de restauration écologique, ce type de programme est soumis à déclaration : trois mois d’instruction et d’aller-retour avec les services de la police de l’eau. Auparavant, le dispositif d’autorisation s’appliquait, avec six mois minimum d’instruction publique et la possibilité, pour les riverains, de freiner les projets pendant une longue période. Si cette disposition de 2020 a été cassée par le Conseil d’Etat en 2022, elle est de nouveau effective depuis septembre 2023. En deux ans de fonctionnement, le ministère de la ­Transition écologique a enregistré 588 déclarations. « Nous avons mené des opérations de restauration en 2006, 2013 et 2019. Aujourd’hui, nous en traitons trois par an », observe Hervé Cardinal, au SIAVB.

Autre facteur d’accélération : les financements. Les agences de l’eau peuvent aider ces opérations à hauteur de 80 %. A Cagnes-sur-Mer, l’agence de l’eau Rhône Méditerranée­ Corse a assumé les études préalables à la constitution du schéma directeur de la Cagne ainsi que la participation citoyenne. Le projet en centre-ville de restauration de ce cours d’eau, qui s’élève à 2,9 millions d’euros HT, a été financé à 70 % par le fonds européen Feder et la région Paca.

La ville de Poitiers, le Grand Poitiers et le syndicat de la rivière ont, eux, bénéficié d’un financement de 50 % des études pour la restauration de la Boivre par le fonds vert, qui a apporté 368 000 euros. ­Bastien ­Bernela estime que, « au-delà de l’apport de ces fonds, ce dispositif a rendu possible l’intégration des espaces de coordination entre les parties prenantes du projet, à savoir les collectivités, le syndicat de rivière et l’Etat. Cela permet de travailler ensemble, chacun avec ses leviers. En 2024, nous allons ainsi piloter collectivement les études ».

« L’aspect récréatif est important »

Christian Piel, urbaniste hydrologue, directeur du bureau d’études Urbanwater

« Pour les collectivités, la valeur patrimoniale des cours d’eau est essentielle, appuie Christian Piel, urbaniste hydrologue, directeur du bureau d’études Urbanwater. Les mettre à découvert permet de recréer des continuités entre différents quartiers ou parcs et redonne une cohérence territoriale. Apporter ainsi davantage de nature en ville est aussi très important, d’un point de vue esthétique, récréatif, en plus de créer de la biodiversité et des îlots de fraîcheur. Cela passe par divers degrés d’intervention. Parfois, rouvrir le cours d’eau est impossible, alors, pour symboliser son tracé, on aménage une fontainerie. Les collectivités sont très intéressées pour des questions d’image. Les projets vont se multiplier, d’autant qu’ils sont encouragés par les pouvoirs publics, financés fortement par les agences de l’eau, les régions ou les métropoles, tel le Grand Paris. »

Une renaturation complétée d’un parcours pédagogique sur les fonctions de l’eau

Alexandra Maccario, chargée de mission «aménagement et prospective»

[Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes) 49 300 hab.]La Cagne, fleuve côtier qui rejoint la ­Méditerranée en traversant Cagnes-sur-Mer sur 5,5 kilomètres, subit de grandes crues et connaît des périodes de sécheresse. Face au changement climatique, la ville a engagé un projet de renaturation. « Au cœur d’un écoquartier proche du centre-ville, nous avons cassé le chenal en béton qui constituait le lit du cours d’eau, qui a été élargi. Le fond est redevenu naturel, avec des gros galets. Nous reprofilons et végétalisons les berges », décrit ­Alexandra ­Maccario­, chargée de mission « aménagement et prospective ». Sur la rive gauche, dans un parc en cours de renaturation, l’accès à la rivière sera interdit pendant trois ans afin de protéger la biodiversité. « Nous allons initier un parcours pédagogique sur les fonctions de l’eau. Les gens se passionnent, nous abordons la culture du risque », précise-t-elle. Ce projet a fait l’objet d’une participation citoyenne sur les enjeux de l’eau, qui a servi de démonstrateur à la mise en œuvre du schéma ­directeur de la Cagne, en cours de déploiement.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *