Restaurer les écosystèmes dégradés est l’un des défis pour l’avenir, selon l’ONU. Des projets ambitieux, tant humainement que financièrement, mais nécessaires pour rendre à la nature son territoire. La preuve à Sarcelles. Enquête de Lorène Lavocat et David Richard dans Reporterre.
De la gare au centre-ville de Sarcelles (Val-d’Oise), immeubles et commerces se succèdent dans un ruban de béton ininterrompu. La ville a étendu son emprise, jusqu’à recouvrir entièrement la rivière du coin, le Petit Rosne. « Pendant plus de quarante ans, les habitants ont oublié qu’ils vivaient sur un cours d’eau », raconte Éric Chanal, du Syndicat intercommunal pour l’aménagement hydraulique des vallées du Croult et du Petit Rosne (Siah). Jusqu’aux inondations de 1992 : « La rivière est sortie de son canal souterrain, il y a eu 1,5 mètre d’eau dans le centre, pendant trois semaines, poursuit-il. Beaucoup de personnes ont été traumatisées. » Peu à peu, une solution se fit jour : rouvrir le Petit Rosne.
« Une rivière canalisée, dans un environnement bétonné, risque fort, quand elle est en crue, de causer de sérieuses inondations », rappelle M. Chanal. À l’inverse, une rivière naturelle, avec des méandres, des berges végétalisées, débordera moins brutalement, et retournera bien plus vite dans son lit. Après plusieurs étapes, la décision fut prise de restaurer 150 mètres du Petit Rosne, en plein cœur de ville. Le premier coup de pioche a été donné au printemps 2014. Il a fallu creuser un nouveau lit pour la rivière, plus sinueux, puis le garnir de sable, graviers, et galets pour « recréer une diversité d’habitats possibles » pour toute la faune aquatique. Les berges ont ensuite été ensemencées de joncs, typhas et autres plantes aquatiques. Une fois cet écrin créé, il ne restait plus qu’à casser la dalle de béton enserrant le Petit Rosne, et connecter la rivière à son nouveau nid. Financée par la région, l’Agence de l’eau et le département, l’opération a coûté près de 1 million d’euros, soit plus de 6 000 euros par mètre de rivière renaturée.
- Le Petit Rosne, à Sarcelles. © Syndicat intercommunal pour l’aménagement hydraulique des vallées du Croult et du Petit Rosne
Aujourd’hui, un courant d’eau claire s’écoule entre les saules et les roseaux. Les orties ont envahi les berges, les canards ont colonisé les lieux. « Lors de notre premier inventaire, en 2017, nous avons trouvé des libellules, des chauves-souris ou des épinoches, alors qu’on partait de zéro », se réjouit M. Chanal. Sans réintroduire aucune espèce, la faune sauvage a ainsi repris ses droits dans le centre-ville de Sarcelles. Quant au risque d’inondation, il paraît bien mieux maîtrisé : « Lors des grosses pluies du printemps 2020, la rivière est sortie de son lit, mais elle y est vite revenue, sans causer de dommages », explique M. Chanal.
- Le Petit Rosne, à Sarcelles. © Syndicat intercommunal pour l’aménagement hydraulique des vallées du Croult et du Petit Rosne
Outre la préservation de la biodiversité et la gestion des crues, ce type d’opération vise aussi, et surtout, à améliorer le cadre de vie des habitants. Familles, retraités et jeunes lycéens ont eu vite fait d’occuper ce nouveau poumon urbain. Non sans embûches. Car remettre de la nature en ville n’a rien d’un long fleuve tranquille. Au fil de la promenade aménagée en parallèle du Petit Rosne, Éric Chanal pointe les déchets laissés çà et là. « Il y a ceux qui laissent leur chien courir dans le lit de la rivière, ceux — ils sont peu nombreux — qui chassent les canards, énumère-t-il. On ne sait jamais comment les gens vont s’approprier un nouvel espace. » Au creux d’un méandre, une petite passerelle a été installée, régulièrement squattée par des petits groupes « plus ou moins alcoolisés », selon M. Chanal : « Résultat, plusieurs habitants nous ont expliqué qu’ils ne passaient plus par ici. » Malgré tout, l’opération semble faire tache d’huile. Le Siah mène une dizaine de projets de renaturation sur les trente-cinq communes qu’il couvre, dans le nord de l’Île-de-France.