Sedif’ficile d’avancer

La Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, présidée par la députée Mathilde Panot, a organisé mercredi 12 mai une table ronde sur le Syndicat des eaux d’Île-de-France (SEDIF) réunissant des élus des territoires desservis par le SEDIF. Lire ci-dessous l’introduction de Jean-Claude Oliva. Et en lien, voir l’enregistrement de la table ronde à laquelle ont participé Philippe Rio, Vice-président de Grand Paris Sud en charge de l’eau, Jacky Bortoli, Conseiller communautaire délégué en charge du cycle de l’eau de Grand Paris Sud, Olivier Capitano, Président de l’EPT Paris-Est-Marne et Bois, Philippe Knussmann Conseiller communautaire de Grand Paris Seine Ouest (et ancien directeur du SEDIF) et Dina Deffairi Saissac, conseillère communautaire de Plaine Commune.

Merci à Mme Mathilde Panot pour cette invitation. Comme vous le savez, je suis Vice-Président d’Est Ensemble, chargé de l’eau et de l’assainissement et Directeur de la coordination EAU Île-de-France. Je suis donc très concerné par le SEDIF à ce double titre !

La coordination EAU Île-de-France s’est créée en 2008 justement parce que les citoyens ne parvenaient pas à se faire entendre au SEDIF. A cette époque, le débat sur le choix entre gestion publique ou gestion privatisée a été escamoté. Le SEDIF est passé directement à un vote sur une forme de DSP. Qui plus est, un vote à bulletins secrets qui a permis aux élu.e.s de ne pas assumer leur choix devant les citoyen.ne.s.

13 ans plus tard, aujourd’hui, le monde de l’eau a bien changé. En région parisienne, sur la lancée de la création et du succès d’Eau de Paris, la régie de Grand Paris Sud est en plein développement dans l’Essonne. Les établissements publics territoriaux Est Ensemble et Grand Orly Seine Bièvre, sortis du SEDIF au 1er janvier 2018, sont en transition vers la gestion publique. Depuis les dernières élections municipales, de grandes métropoles comme Bordeaux et Lyon ont basculé du côté de la gestion publique, un choix déjà fait par Nice, Montpellier, etc. Selon les chiffres de France Eau Publique, on est passé ces dernières années de 28 à 40% des usagers de l’eau desservis en gestion publique.

Mais au SEDIF, on est toujours dans le monde ancien. En 2021 comme en 2013, le comité syndical ne pourra pas se prononcer sur le choix fondamental entre gestion publique et gestion privatisée. Sur les quatre scenarii qui seront soumis au choix du comité syndical le 27 mai, aucun ne permet d’engager une gestion publique maintenant. Trois scenarii sont des formes différentes de gestion privatisée (Concession, SEMOP, concession + SEMOP) et le quatrième scenario consiste à envisager une gestion publique partielle et à renvoyer l’essentiel à …plus tard ! Le prétexte pris est la mise en place et la généralisation de l’osmose inverse basse pression. Pourtant il n’y aucune raison technique qui empêcherait une régie publique d’utiliser cette technologie. D’ailleurs Eau de Paris l’utilise de façon ponctuelle pour des captages dégradés. Alors pourquoi renvoyer la gestion publique de la production à un horizon indéterminé ? Dans les prochaines années, avec l’OIBP qui va coûter, au bas mot, un milliard d’€, les investissements vont se concentrer sur la production. Est-ce ce qui explique que le SEDIF veut à tout prix en conserver la gestion sous forme privatisée (concession ou SEMOP) ?

Cela m’amène au cœur du sujet de cette commission d’enquête : la mainmise des intérêts privés sur la ressource en eau dont le SEDIF est sans doute l’instrument principal en Île-de-France. Créé en 1922 avec 66 villes, élargi en 1923 à 66 autres villes, le SEDIF est depuis son origine, lié à la Cie générale des eaux, devenue par la suite Veolia. Dans le livre l’empire de l’eau, le journaliste Yvan Stefanovitch rapporte ces propos de M. Santini : « c’est la Générale des eaux qui a créé le SEDIF », vous pourrez demander tout à l’heure à M. Santini s’il confirme sa déclaration…

Bien sûr, cette imbrication des intérêts privés à l’intérieur du SEDIF ne passe pas inaperçue et est régulièrement pointée du doigt par les autorités chargées de contrôler la gestion des organismes publics. Ainsi quelques jours avant l’attribution du contrat actuel à Veolia, le 21 mai 2010, la chambre régionale des comptes publie un rapport qui évoque « une imparfaite fiabilité » ou encore « une importante lacune des comptes » du SEDIF, parlant même de « comptabilité tronquée » qui ne permet pas de donner « une image fidèle du résultat de la gestion, du patrimoine et de la situation financière du service public ».

Plus près de nous, le rapport de la chambre régionale des comptes du 30 juin 2017 pointe de nouvelles dérives, Le Figaro titrant « eau : les coûts de la gestion de Veolia en Île-de-France épinglés ».

Comme en 2008, après la mise en évidence de surfacturations massives au profit de Veolia, le SEDIF promet de se réformer. On voit pourtant  ce que cela a donné. Le SEDIF est incapable de contrôler réellement son délégataire et les rémunérations de Veolia explosent à chaque fois! Le SEDIF ne contrôle pas Veolia, c’est Veolia qui contrôle le SEDIF !

Bien entendu, cette situation a des conséquences importantes pour les usagers qui en font les frais via la facture (ou les charges). Bon an, mal an, et malgré les « baisses tarifaires » consenties par le Sedif, la différence de tarif se maintient à 30 cts d’€ par m3 entre Eau de Paris et le SEDIF, soit un surcoût de près de 30% côté SEDIF, pour des services rendus sensiblement équivalents. Sans les baisses consenties périodiquement, l’écart entre les tarifs des deux opérateurs aurait même doublé ces dernières années. Il va doubler ces prochaines années puisque les scénarii du SEDIF prévoient des hausses de tarif comprises entre 15 et 37 cts d’€/m3.

Cela répond sur le fond à la question : pourquoi avez-vous voulu sortir du SEDIF ? Mais il y a une autre réponse à cette question, c’est le verrouillage de cet organisme sur lequel je voudrais aussi dire quelques mots et que nous subissons particulièrement à Est Ensemble.

D’abord, il faut savoir qu’il est quasiment impossible de sortir du SEDIF quand on en est membre. La seule possibilité, c’est un transfert de la compétence eau. C’est seulement quand la réforme territoriale a donné la compétence de l’eau aux Établissements publics territoriaux de la MGP, que certains (Est Ensemble, GOSB et Plaine Commune) ont pu quitter le SEDIF.

Ces dernières années, avant chaque décision importante de notre conseil de territoire concernant l’eau, les élu.e.s ont reçu une lettre de M. Santini, les menaçant de hausses exorbitantes du tarif de l’eau, de blocage des travaux de dévoiement des réseaux pour les JO, d’interruption unilatérale de la convention provisoire signée avec le SEDIF. Nous avons même eu droit à un gel de tous les travaux de gros entretien et de renouvellement des canalisations sur le territoire d’Est Ensemble en 2020… Voilà les pressions que fait subir le SEDIF aux collectivités qui ne partagent pas ses choix.

Il faudrait encore mentionner la rétention systématique d’information sur les données concernant le patrimoine de notre collectivité dans le cadre de la séparation des biens en cours. Cette rétention d’information touche aussi les citoyen.ne.s. Pendant longtemps les statuts du SEDIF n’étaient pas disponibles sur son site web, il a fallu que la Coordination le dénonce pour qu’ils deviennent tout à coup visibles. Pour lever les sérieux doutes qui pèsent sur la justification des tarifs, le Conseil général de l’environnement et du développement durable recommande dans son rapport de 2016, la transparence. Et notamment la production des statistiques de consommation effectives par habitant et par ménage. Au SEDIF, ce n’est toujours pas à l’ordre du jour !

Voir la table-ronde

Une réflexion sur « Sedif’ficile d’avancer »

  1. Bravo et merci pour cet exposé clair sur la problématique de l’eau en IdF. Rio semble aussi très engagé. J’espère que Bessac suivra….
    Le collectif se réveille du confinement et sera opérationnel pour appuyer l’ardeur de nos politiques.
    Yvette

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