Il existe une alternative aux coûteux et inutiles travaux de déconnexion physique des réseaux que demande le Syndicat des eaux d’Île-de-France (SEDIF) aux deux établissements publics territoriaux, Est Ensemble et Grand Orly Seine Bièvre: c’est la déconnexion virtuelle. Explications de Jacques Tcheng, ancien directeur d’Eaux de Grenoble et François Leblanc, ancien directeur adjoint d’Eau de Paris.
La loi NOTRe (Nouvelle Organisation des Territoires de la République) de 2015, en regroupant les communes de la Métropole du Grand Paris au sein de 12 Etablissements Publics Territoriaux (EPT), a transféré à ces EPT la compétence sur le service public de l’eau. Ils sont ainsi devenus autorités organisatrices de ce service (AO). Depuis des décennies, les autorités organisatrices du service public de l’eau sur le territoire de la Métropole du Grand Paris sont soit la Ville de Paris soit de grands syndicats regroupant la quasi-totalité des autres communes, comme le SEDIF ( Syndicat des Eaux d’Île-de-France). Nouvelles autorités organisatrices, les EPT doivent désormais choisir entre exercer par eux même cette responsabilité ou demander leur adhésion au syndicat pour les communes qui les composent en transférant à ce syndicat tout pouvoir sur le service public de l’eau.
Le SEDIF de son côté a toujours cherché à étendre son territoire. Il s’oppose vigoureusement à toute velléité de sortie de l’un de ses adhérents en dressant devant lui de nombreux obstacles juridiques, financiers et techniques. Parmi les contraintes imposées par le SEDIF pour la sortie d’un EPT de son périmètre figure l’obligation de réaliser une déconnexion physique de son réseau.
Le réseau de transport et de distribution de l’eau potable du SEDIF est un réseau maillé, c’est à dire qu’entre une source d’alimentation (les usines de production d’eau) et le point de livraison à l’usager (le compteur de l’abonné), l’eau peut prendre plusieurs circuits différents et utiliser des canalisations reliées entre elles et implantées sur différentes communes. C’est une situation qui est usuelle sur les grands réseaux. Elle s’est construite au fil de l’histoire de la réalisation des réseaux d’eau, de leur maillage et de leur optimisation. Le maillage confère au réseau une grande souplesse d’exploitation (les réseaux sont complémentaires et redondants), une grande efficacité (l’exploitant peut choisir tel ou tel réseau en fonction de ses propres critères d’optimisation, débit pression, coût d’exploitation) et une grande sécurité d’exploitation (les réseaux peuvent se substituer les uns aux autres en cas d’indisponibilité d’une partie d’entre eux).
Le SEDIF demande la déconnexion physique des réseaux
La déconnexion physique des réseaux demandée par le SEDIF consiste à réduire au minimum le nombre de points d’alimentation en eau du territoire des communes de l’EPT en coupant les canalisations qui traversent les limites entre SEDIF et EPT. On ne conserve que quelques points qui sont alors équipés d’organes hydrauliques de coupure et de contrôle (vannes d’isolement, compteurs, clapets anti-retour ou disconnecteurs etc.). Les usagers qui ne seraient plus desservis du fait de ces modifications doivent alors être réalimentés par de nouveaux réseaux à créer en les connectant sur les réseaux restant au sein du territoire de l’EPT. Pour autant, les conduites de transport qui traversent les communes de l’EPT et qui sont utilisées aussi pour l’alimentation d’autres communes du SEDIF ne sont pas coupées. Seuls les piquages utiles à l’EPT sont ainsi neutralisés.
La déconnexion physique sépare et isole physiquement une partie du réseau, celui situé sur le territoire de l’EPT, à l’intérieur même d’un maillage de réseaux existants conçus pour fonctionner de façon intégrée sur un territoire beaucoup plus vaste. L’objectif affiché par le SEDIF est de connaître et maîtriser les volumes et la qualité de l’eau qui entre et qui sort du périmètre des communes de l’EPT. On voit bien que cela entraîne des travaux sur les réseaux qui sont à la fois très coûteux en investissement et très contraignants par leur étendue sur le territoire et leur durée. Séparer physiquement les réseaux n’est utile qu’au SEDIF seul puisque la déconnexion physique n’apporte aucun service supplémentaire à l’EPT ou à ses usagers du service de l’eau. Une alternative à la déconnexion physique est apportée par la mise en œuvre d’une déconnexion dite virtuelle : elle consiste … à ne rien faire pour isoler les réseaux plus qu’ils ne le sont actuellement.
Une alternative, la déconnexion virtuelle
La maîtrise opérationnelle actuelle des flux d’eau dans le vaste réseau maillé du SEDIF est assurée par la combinaison de deux systèmes : l’un s’appuie sur le réseau des capteurs de débits ou pressions et l’autre sur le réseau des capteurs de qualité d’eau. Les informations de ces deux systèmes répartis sur tout le réseau sont remontées de façon centralisée sur un système d’informatique industrielle, système désigné par l’appellation SERVO par le SEDIF, qui à partir de ces données permet de connaître l’état des flux d’eau, d’en assurer le contrôle et de commander leurs évolutions. Le système SERVO est un outil collectif et mutualisé de gestion du réseau dont le fonctionnement est techniquement indépendant des périmètres des autorités organisatrices . Il est aujourd’hui opérationnel et performant. Il doit continuer à fonctionner et à fournir à l’opérateur du réseau les données nécessaires et les capacités d’intervention pour son exploitation, même après la sortie du SEDIF.
Quelle est la réglementation?
La réglementation du secteur de l’eau impose le suivi administratif des volumes d’eau vendus aux usagers, des volumes d’eau perdue (rendement du réseau) et de la qualité sanitaire de l’eau. Les informations sont établies par les opérateurs d’eau sous le contrôle de chaque autorité organisatrice du service qui publie dans le système SISPEA national les informations relatives au rendement des réseaux. Le rendement doit être évalué par secteur hydraulique, la qualité de l’eau est suivie par les ARS (Agence Régionale de Santé) au niveau des UDI (Unité de Distribution indépendante). Une UDI est un système de distribution d’eau, autonome ou partie d’un plus grand ensemble, présentant une unité d’origine de l’eau et de maîtrise des flux hydrauliques.
Les données disponibles actuellement dans ce cadre par le SEDIF permettent donc de connaître les volumes d’eau en gros qui rentrent dans le réseau de l’EPT. On connaît les volumes facturés par les compteurs des abonnés, on connaît aussi le rendement (les pertes en réseaux) par le suivi des rendements par UDI (chaque commune de l’EPT devant correspondre à une ou deux UDI). Le volume d’eau en gros entrant dans le réseau de l’EPT est ainsi parfaitement déterminable à partir de ces données avec une marge d’incertitude réduite.
La qualité de l’eau
Concernant la qualité de l’eau et son suivi, on ne voit pas pourquoi la déconnexion virtuelle (qui laisse les réseaux en l’état) conduirait à des risques réels accrus ou à une perte de maîtrise de la qualité au sein du réseau. Il est possible cependant que des mouvements d’eau se produisent au cours de l’exploitation du réseau, amenant cette eau à franchir dans les deux sens les limites administratives des communes de l’EPT (retours d’eau) . C’est une situation qui se produit déjà et aucune difficulté de gestion courante de cette situation n’a été rapportée par le SEDIF. La qualité de l’eau peut donc être maîtrisée et suivie de la même façon que ce qui est fait actuellement et qui donne satisfaction. On peut même imaginer que quelques investissements minimes en capteurs judicieusement placés permettraient d’améliorer encore ce suivi.
La responsabilité du SEDIF
Le SEDIF met aussi en avant un accroissement de sa responsabilité en cas de sortie des communes de l’EPT. Or, pour ces communes, le SEDIF devient fournisseur d’eau potable en gros via l’EPT. Il en sera responsable. Ce qui est déjà le cas actuellement. En revanche, vis à vis des usagers de l’EPT, c’est bien l’EPT qui sera responsable de la qualité de l’eau délivrée au robinet des consommateurs et des conséquences de toute détérioration dans ses propres réseaux. Cette responsabilité est assumée aujourd’hui par le SEDIF qui s’en trouvera de fait déchargé. La sortie des communes de l’EPT réduit donc d’autant la responsabilité du SEDIF.
Une alternative opérationnelle
La déconnexion virtuelle est certes un concept nouveau qui n’a pas été mis en œuvre de façon explicite dans d’autre situations. Pourtant, il s’agit bien d’une alternative opérationnelle crédible puisque le SEDIF lui-même propose d’utiliser le réseau existant en l’état ( ce qui est la définition de la déconnexion virtuelle) pendant une période de transition correspondant au délai de réalisation des travaux de la déconnexion physique qu’il imposerait . Pendant cette période de plusieurs années, c’est bien à une déconnexion virtuelle que l’on a recours puisque les volumes facturés de l’eau en gros seront évalués par les données des compteurs et capteurs en place corrigés de l’évaluation des rendements, pendant que la qualité de l’eau sera maîtrisée en continuité avec ce qui se pratique actuellement. On peut aussi relever que les grands réseaux d’eau pratiquent une forme de déconnexion virtuelle lorsque les ouvrages de transport, stockage et distribution de l’eau sont la propriété de maîtres d’ouvrage différents sans être totalement isolés physiquement. L’eau passe successivement de l’un à l‘autre sans que des capteurs soient systématiquement implantés pour mesurer volume et qualité. Cela a été le cas de certaines configurations du réseau à Paris pendant les décennies de la gestion privée des réseaux avant le passage en régie en 2010.
L’esprit de la loi
Choisir la déconnexion physique c’est s’engager dans des dépenses lourdes et des perturbations des territoires par des travaux de grande ampleur et de longue durée sur l’espace public. Tout cela sans
aucun bénéfice pour l’usager ou pour la collectivité. Cette orientation est clairement contraire à l’esprit qui doit présider aux transferts de compétence sur l’eau prévus par la loi NOTRe. Elle ne peut pas recevoir l’aval des autorités de l’Etat alors qu’il existe une alternative par la déconnexion virtuelle qui apporte des réponses opérationnelles équivalentes à la question de la maîtrise des volumes et de la qualité de l’eau. La doctrine de l’État, explicitée dans des rapports de la Cour des Comptes ou du Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) affirme que le service public de l’eau doit pouvoir s’appuyer sur les infrastructures existantes et faire appel aux solidarités locales pour ne pas investir inutilement : c’est bien l’objectif de la déconnexion virtuelle.
Pour conserver sa capacité à gérer son service public de l’eau, en autorité organisatrice selon la loi, l’EPT doit choisir de ne pas adhérer au SEDIF pour ses communes. Elles mettront ainsi fin à leur adhésion au SEDIF et devront obtenir dans le cadre de négociations équilibrées, des conditions techniques et économiques justes pour leur sortie. Le coût de cette transition doit être réduit pour que les gains attendus de la sortie du SEDIF les équilibrent au plus tôt. C’est pour cela que la déconnexion physique des réseaux ne doit pas être réalisée et que l’alternative dite virtuelle doit être privilégiée. Se déconnecter du réseau du SEDIF à moindre coût, c’est possible par la déconnexion virtuelle !
bonjour quand l’ars parle de la deconnexion d’une source , du réseau public , c’est un démantélement de la canalisation qui mène au chateau d’eau , ? si on peut me répondre , merci
Merci pour ce texte montrant clairement les surcoûts insensé auxquels conduisent en région parisienne les stratégies autarciques de tous les opérateurs. Il me semble urgent d’interpeller les diverses autorités impliquées pour qu’elles prennent position sur ce sujet. Je pense notamment à la Ville de Paris, qui devrait être en pointe sur cette affaire. Pouquoi ne relancerait-elle pas la 3conférence Métropolitaine sur l’eau » qu’elle avait initié en 2013. Pourquoi l’Observatoire Parisien de l’eau n’organiserait pas un débat public en invitant toutes les parties prenantes?
L’histoire des réseaux en Région Parisienne et les guerres absurdes menées par tous les opérateurs pour conquérir ou protéger leur territoire ont produit incohérences et surcoûts rendant impossible une gestion optimale des infrastructures: il serait absurde d’en rajouter d’autres aujourd’hui.
Le petit pas très modeste qui nous est proposé ici nous rapprocherait un peu des ambitions du Syndicat Général d’alimentation en eau de la Région Parisienne organisant en 1934 la mise en commun des ressources en eau, ou de celles du District dans les années 60 cherchant à alimenter chaque secteur « à partir des ressources les plus adaptées géographiquement et économiquement en évitant les transports inutiles ».