Philippe Rio et la municipalité de Grigny négocient le raccordement de l’usine de Coca-Cola au réseau public de distribution d’eau pour éviter que la multinationale continue à puiser dans la nappe souterraine de l’Yprésien, ultime secours en cas de sécheresse. Enjeu, la maîtrise publique de la ressource. Articles du Parisien et de l’Usine nouvelle. Signez la pétition en ligne pour stopper Coca-Cola!
À Grigny, l’usine Coca-Cola priée d’arrêter de pomper la nappe phréatique
Depuis les années 1990, la firme américaine collecte plus de 730 000 m3/an dans une nappe souterraine pour produire ses boissons sur son site de Grigny. Bien que légale, cette exploitation est vue par ses détracteurs comme une privatisation de l’eau néfaste pour le climat. Elle est désormais en sursis. Par Bartolomé Simon
On aperçoit ses cuves géantes depuis l’autoroute A6. C’est à Grigny (Essonne), ville la plus pauvre de France, que Coca-Cola a installé l’un de ses cinq sites de production en France. Probablement le plus important pour la firme tant il abreuve l’Île-de-France en sodas. L’usine ne se trouve pas à Grigny par hasard. Depuis les années 1990, selon nos informations, une méga-pompe puise près de 730 000 m3 d’eau par an dans une nappe phréatique. Soit la consommation d’une ville de 15 000 habitants. Cette eau finit dans les bouteilles de Coca, Fanta et autres Sprite produites par la firme.
Après des années d’exploitation, cette méga-pompe se trouve désormais en sursis. Selon nos informations, la mairie (PCF) de Grigny a récemment demandé à Coca-Cola d’arrêter ce forage. Il y a un mois, la firme a été reçue par la municipalité car elle souhaite agrandir son usine. La mairie, pour qui l’enjeu est écologique, économique et politique, a demandé à Coca de se raccorder au réseau public.
« Une anomalie écologique et économique »
« Ce modèle est has been, estime Philippe Rio, maire de Grigny et vice-président de l’agglomération Grand Paris Sud en charge du cycle de l’eau. Ce forage, c’est une anomalie écologique et économique. Coca sait que ce procédé est terminé. C’est le sens de l’histoire ! Sur tous les autres sites de Coca en France, l’entreprise est raccordée à l’eau de ville. » Selon Philippe Rio, le réseau public n’aura aucun problème à fournir Coca s’il fait ce choix.
Mais est-ce vraiment rentable pour la multinationale ? Coca n’a jamais dévoilé combien lui coûte la « potabilisation » (le fait de rendre consommable l’eau) de la nappe. Contactée, l’entreprise ne souhaite pas non plus confirmer la quantité d’eau puisée, invoquant le secret des affaires. Se rattacher à l’eau de ville aura forcément un prix. Que Coca pourrait être prêt à payer pour verdir son image.
« En Essonne, nous sommes plutôt tributaires de l’eau de surface, notamment celle de la Seine que l’on rend potable, explique Pascal Grandjeat, de l’association Eau publique Orge-Essonne. On s’est moins préoccupés de ce qu’il y avait sous nos pieds car notre eau vient moins de là. C’est pourtant une eau plus pure que celle de la Seine. »
Propriétaire du terrain, Coca possède la jouissance du sous-sol
À son implantation à Grigny en 1986, Coca est accueilli en grande pompe. Son arrivée équilibre les comptes de la ville et propose des centaines d’emplois. L’usine compte aujourd’hui 266 salariés et rapporte plusieurs millions d’euros de taxe professionnelle chaque année à Grigny et Fleury-Mérogis. Coca bénéficie d’un principe simple : en France, tout propriétaire d’un terrain possède la jouissance du sous-sol. Y compris d’une nappe phréatique. « Une redevance est due à l’Agence de l’eau Seine-Normandie », précise la préfecture de l’Essonne.
Trois forages ont été creusés par Coca pour pomper la nappe de l’Yprésien. Avec les années, ce forage n’a cessé d’augmenter, suivant l’agrandissement du site. En 2015, Coca passe de 3,4 à 4,2 millions de bouteilles produites par an. La multinationale demande à pomper jusqu’à 1 000 000 m3/an. La préfecture l’autorise : le seuil légal est à 1 200 000 m3/an. En 2017, selon un arrêté préfectoral, Coca a augmenté la production de son usine de Grigny de 34 % depuis 2008 et y a investi 102 millions d’euros entre 2009 et 2019.
« Nous avons besoin de préserver la ressource »
Entre-temps, la question climatique a infusé dans la société. Alors que les sécheresses s’intensifient, les nappes phréatiques apparaissent comme un bien précieux. En 2015, déjà, l’autorité environnementale l’avait souligné auprès de Coca. « Il est regrettable qu’au vu des volumes d’eau prélevés, les mesures de réduction de consommation en eau pouvant être mises en œuvre en situation de sécheresse sur le site ne soient pas présentes dans le dossier », écrit-elle à propos d’une demande d’agrandissement du site de Grigny.
« Notre forage a été dûment autorisé par les services de l’État, nous répond Coca-Cola Europacific Partners France. Il est également soumis à des autorisations préfectorales qui sont révisées et délivrées régulièrement, et qui peuvent également évoluer en fonction de la situation de stress hydrique du territoire, sur décision des services de l’État. »
Alors que le sud du Bassin parisien souffre actuellement de « recharges » de pluie insuffisantes, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) prédit une sécheresse « très forte » à l’été 2023 sur de nombreux départements français… dont l’Essonne. « Nous avons besoin de préserver la ressource », appuie Jacky Bortoli, élu de la majorité à Grigny. Selon la préfecture, en cas d’alerte sécheresse, Coca devra prendre des mesures allant de la « sensibilisation des personnels pour économiser l’eau jusqu’à l’arrêt de tout ou partie de la production ».
Par ailleurs, la multinationale rappelle ses investissements « de longue date sur le site de Grigny afin de limiter au maximum » sa « consommation d’eau ». Ce que confirme la préfecture. Ils auraient permis des économies « supérieures à 50 000 m3 par an » selon Coca.
De l’eau de ville pour Coca-Cola à Grigny
L’usine de CCEP a signé un accord de principe pour cesser de puiser dans la nappe phréatique. Au terme d’un accord de principe entre Coca-Cola Europacific Partners (CCEP), l’embouteilleur en Europe occidentale du géant américain des boissons gazeuses, et la ville de Grigny (Essonne), l’usine francilienne de conditionnement de Coca-Cola devrait arrêter de puiser de l’eau dans la nappe phréatique pour produire ses boissons.
« Nous sommes en train de créer les conditions techniques d’un raccordement de l’usine au réseau public de distribution d’eau de la ville » qui provient de la Seine, indique le maire (PCF) Philippe Rio qui souligne que la ville est « en surcapacité ». À ce stade, « l’accord avec la municipalité est en discussion », tempère l’entreprise qui dit travailler « avec la municipalité à des modalités pour acheter de l’eau de ville pour une partie » de ses boissons. Stress hydrique Implantée depuis 1986 à Grigny, l’usine emploie 266 personnes et produit des bouteilles et des canettes de Sprite, de Coca-Cola ou encore de Fanta. Elle puiserait près de 780 000 m³ d’eau par an dans la nappe phréatique.
« Notre forage est soumis à des autorisations préfectorales qui sont révisées et délivrées régulièrement, et qui peuvent évoluer en fonction de la situation de stress hydrique du territoire, sur décision des services de l’État », précise CCEP. Les prélèvements en eau « évoluent régulièrement au gré de l’activité sans jamais dépasser, à aucun moment, la limite de 1,2 million de m³ autorisée », appuie la préfecture de l’Essonne. Sur le plan légal, CCEP a « le droit de disposer librement des eaux de source et des nappes souterraines se trouvant en dessous » du terrain dont il est propriétaire et « comme l’ensemble des préleveurs d’eau, une redevance est due à l’Agence de l’eau Seine Normandie ».
Sables de l’Yprésien
En octobre 2015, le lancement de la ligne dédiée aux canettes avait entrainé une nouvelle autorisation qui indiquait que le site, raccordé au réseau public d’adduction d’eau, disposait de trois forages prélevant l’eau dans la nappe des sables de l’Yprésien.
La demande portait sur une augmentation de 3,4 à 4,2 millions de litres par jour. Conclusion de Philippe Rio : Coca-Cola n’a pas « à toucher à un milieu naturel, qu’il faut préserver. Peut-être que dans vingt ans, on aura bien fait de ne pas y toucher ». En France, CCEP exploite, outre Grigny, quatre sites à Socx (Nord), Clamart (Hauts-de-Seine), Castanet-Tolosan (Haute-Garonne) et Les Pennes Mirabeau (Bouches du Rhône).