Christophe Lime, président de France Eau publique, Sylvie Paquerot, administratrice de la Fondation Danielle-Mitterrand, et Amine Abdelmadjid, docteur en droit s’expriment dans un dossier publié par L’Humanité le 3 février. Les intentions et les discours sont louables. Maintenant il faut passer aux actes et construire ensemble des mesures concrètes dans ce sens. France eau publique que préside Christophe Lime, comprend de nombreuses collectivités et opérateurs publics de l’eau. Quels sont leurs retours d’expérience sur la participation citoyenne dans le domaine de l’eau ? Quelles propositions sont préconisées? Et si on en parlait avec les premiers concernés, les usagers citoyen.ne.s? La Coordination EAU Île-de-France est disponible pour ouvrir ce dialogue.
Un rôle social sur les territoires
Pour cela, il faut favoriser la confiance et la transparence. Régulièrement contrôlés par les juridictions financières, mais aussi audités à leur demande dans le cadre de missions des commissariats aux comptes ou de certifications, les gestionnaires publics sont engagés dans une démarche de transparence et d’efficience de leurs comptes, de l’usage des fonds publics, de leur gestion patrimoniale et, plus globalement, de la performance du service rendu. Au-delà du simple accès à l’information, la mise en place d’une véritable démarche de concertation, voire de coconstruction des stratégies de service avec le public, participe à renforcer la confiance des usagers.
De nombreux opérateurs publics comptent parmi les membres de leurs conseils d’administration, d’exploitation, ou comités ad hoc, des représentants d’associations de consommateurs, mais aussi des usagers-citoyens, des représentants du personnel ou encore des acteurs économiques du territoire, de la protection de l’environnement… Ces parties prenantes sont des figures de proximité, qui, par leur participation aux instances décisionnelles, garantissent la prise en compte des attentes sociétales et de la transparence des arbitrages rendus. Les commissions consultatives des services publics locaux, les CCSPL, participent de cet arsenal d’outils favorisant la démocratie locale participative : obligatoires pour les collectivités de grande taille, ces commissions ont pour vocation de permettre aux usagers d’obtenir des informations sur le fonctionnement des services, d’être consultées sur leur organisation et d’émettre des avis ou propositions. Outils de concertation, elles contribuent à renforcer la coconstruction des politiques de l’eau avec les usagers.
Cela passe par conjuguer numérique et proximité. Tandis que le rapport aux biens et aux usages est bouleversé par l’émergence du numérique, loin de se cantonner à un rôle de « client » qui doit payer la facture, l’usager est de plus en plus en attente d’informations concernant la qualité de l’eau et la bonne adéquation du prix payé avec la qualité du service rendu. Il attend aussi une loyauté de l’exploitant sur l’usage fait de ses données, pour lui-même et au service de l’intérêt général et non pour satisfaire des objectifs commerciaux et de profitabilité. Construite sur une gouvernance rapprochée et la coopération avec des instances de démocratie participative, la gestion publique est porteuse de valeurs fortes, centrées autour du partage et de la solidarité. Cette participation des citoyens aux instances de gouvernance permet d’ancrer véritablement le service dans les territoires, en s’inscrivant dans le tissu économique et social local.
L’objectif premier est de renforcer le lien social. Grâce à leur relation de proximité avec les usagers, les opérateurs publics de l’eau jouent un rôle social important sur les territoires, qui les amène souvent à alerter sur d’éventuelles situations de précarité. La gestion publique permet, en outre, de faire le lien avec l’ensemble des lieux publics. Elle complète le rôle des agences dédiées dans la diffusion d’informations et l’accompagnement des usagers des services d’eau et d’assainissement, tels que la mairie, le centre communal ou intercommunal d’action sociale ou bien encore le point d’information médiation multiservice (Pimms).
Des missions d’intérêt public
PAR SYLVIE PAQUEROT
Administratrice de la Fondation Danielle-Mitterrand, professeure à l’École d’études politiques, université d’Ottawa (Canada)
La maîtrise publique de la gestion de l’eau n’est pas un impératif de gestion, mais un impératif politique. C’est bien ce que fait perdre de vue la seule considération de l’efficacité de sa « gestion ».
Impératif politique dans la mesure où il s’agit de faire des choix, de poursuivre des objectifs parfois contradictoires qu’il nous faut concilier… ou choisir. À Moncton (Nouveau-Brunswick, Canada), par exemple, lorsque a été discuté le fait de déléguer la gestion de l’eau au privé, les citoyen·ne·s ont refusé au motif qu’à leur connaissance une entreprise privée ne pouvait vouloir que ses « client·e·s » consomment moins alors que, d’un point de vue écologique, l’eau doit être « économisée »au sens propre du terme.
Finalité écologique, finalité démocratique, finalité de droit humain (non-exclusion), finalité d’équité (péréquation) sont toutes des objectifs qu’aucune entreprise privée n’a vocation à assumer mais que doivent poursuivre les autorités publiques. Si la maîtrise publique n’est pas une garantie d’une bonne gestion, elle seule nous permet de choisir les finalités d’intérêt public avant celle de rentabilité : la vie avant le profit au sens propre.
La gestion privée donne-t-elle accès à du capital privé pour rénover les infrastructures ? La réponse est non. Il serait plus judicieux de nous emprunter à nous-mêmes. La gestion privée génère-t-elle des économies (de l’eau). La réponse est non. La gestion privée permet-elle un plus grand contrôle démocratique ? La réponse est non. Ni le public ni les élus ne siègent aux conseils d’administration des firmes multinationales de l’eau. La gestion privée assure-t-elle l’accès universel ? Au vu des nombreuses poursuites pour coupure d’eau ces dernières années, la réponse est évidemment non.
Le besoin impérieux d’investissements dans les infrastructures est souvent un argument principal pour proposer une gestion privée. Or, la gestion déléguée au privé n’apporte pas de solution réelle au problème d’entretien et de rénovation des infrastructures. Sachant que les entreprises privées sont là pour faire de l’argent et non pour en donner, on doit reconnaître que l’argent qui servira à rénover les infrastructures sera public : soit il sortira des goussets des gouvernements, soit il sortira des poches des citoyen·ne·s… comme les autoroutes françaises dont les milliards de profits, issus d’investissements publics ou de la poche des contribuables, ne servent pas à des missions d’intérêt public.