A qui appartient le Réseau Interconnecté du Sud Francilien (RISF) ? Le point sur la situation avec Jacky Bortoli, conseiller délégué au Cycle de l’eau de Grand Paris Sud et membre du conseil de surveillance de la régie de l’eau.

Où en êtes-vous du combat pour la réappropriation publique de l’eau dans le Sud Francilien ?
Jacky Bortoli: Non seulement on conteste la propriété de Suez, mais on refuse et on ne paie plus les montants exigés. On consigne, pour ce faire, l’argent réclamé par Suez et leurs actionnaires Meridiam Black Rock. Ils sont une fois de plus dans l’impasse.
L’Association Attac de l’Essonne soupçonne même maintenant Suez et leurs actionnaires de détournement de biens et argent publics. Ils ont saisi l’Etat. Le dossier est accablant. Du coup, l’Etat, le département font de l’archéologie. Suez Meridiam Black Rock prétendent être de bonne foi mais sans preuve de propriété depuis cinq ans. Suez d’après France prétend a des allégations de notre part.
Le terme allégation est relatif a des faits dont l’existence reste à prouver ou relativement à des prétentions fantaisistes. Suez a les moyens de mettre fin à ce qu’il qualifie d’allégation. Cela fait cinq ans que Michel Bisson avec le Syndicat mixte Eau du Sud Francilien (SMESF) à présent, demande les preuves de propriété. La charge de la preuve ne dépend que de Suez.
Le problème de fond Suez est qu’ils sont pris la main dans le sac. Ils sont soupçonnés par l’Association Attac d’avoir détourné 500 millions d’euros d’argent public. Suez préfèrerait un arrangement amiable avec les victimes en dehors de l’Autorité de la Concurrence, en dehors des tribunaux et surtout sans remboursement voire amende par exemple, avec notre consentement
Mais il y a du nouveau, Suez produit des attestations de notaires !
JB: Oui. Mais, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, la question de la propriété n’est pas tranchée au profit du privé parce que le nom du concessionnaire privé, aujourd’hui SUEZ EAU FRANCE, figure au cadastre ou au fichier immobilier.
Il n’a jamais été contesté que l’usine de Morsang a été construite par Suez. Mais construite dans le cadre d’une déclaration d’utilité publique (DUP) demandée par Suez en qualité de concessionnaire de service public, l’usine est un bien public depuis son achèvement. C’est un bien de retour, indispensable à l’organisation du service public dont les collectivités dans toute la France, récupèrent la maîtrise à la fin du contrat.
Ce n’est pas la propriété de celui qui a construit les canalisations, usines ou ouvrages de stockage. La contrepartie est qu’à la fin du contrat, le concessionnaire privé a droit à une possible indemnisation.
Mais là aussi, elle n’est pas fixée selon son choix ou celui de ses actionnaires. La fixation d’une indemnité est encadrée par l’ordre public, auquel nul ne peut déroger.
Il ne peut y avoir d’indemnisation qu’à la hauteur des investissements qui n’ont pas été amortis sur la durée du contrat. C’est la valeur nette comptable.
Pour l’usine de Morsang, la durée était de trente ans, ce qui a permis à la Lyonnaise des Eaux devenue Suez de se rembourser grassement sur les usagers et grâce à des financements publics.
MM. Bazire et Bonnieux (dirigeants de Suez) ont reçu une mission impossible de leurs actionnaires et fonds de pension Meridian et Black Rock. Non seulement ils veulent maintenir leur monopole encore 20 ans en vendant de l’eau potable, mais ils tentent de faire passer l’idée de la propriété de Suez sur des moyens de production et de transport financés par le public dans le cadre de concessions anciennes.
Pire, ils cherchent à faire valider la double allégation de la propriété et de la valeur du RISF en proposant de le vendre au SMESF, tout en exigeant de celui-ci qu’il s’engage à acheter de l’eau à Suez pendant 20 ans.
Ainsi, les collectivités qui sont victimes, devraient légitimer les tourments qu’on leur fait subir et valider des revendications du privé qui sont fausses autant sur la propriété que sur la valeur. C’est inacceptable. Nous refusons ces manœuvres et que perdure un système où c’est le principe même du service public de l’eau potable, pourtant érigé par la Loi, qui est délibérément invisibilisé.
Suez/Meridiam/BlackRock viennent de trouver leur nouveau directeur général (DG) en la personne de Xavier Girre, cela change-t-il quelque chose?
JB: ils en sont à trois DG en quatre ans. Et ils cumulent les échecs. Echec avec le Sedif, échec dans le Sud Francilien, échec avec le SMESF et M. Bazire n’a rien trouvé de mieux le 20 Mai 2025 que proposer à Michel Bisson un deal, je le cite, « faire 50/50 sur les bénéfices ».
J’ai immédiatement déconseillé a M. Bisson d’accepter la proposition de M. Bazire et de Meridiam/BlackRock. J’estime qu’un tel accord déconsidérerait les élus que nous sommes et les associations qui nous soutiennent.
Comment sortir de ce piège ?
JB: Au point où nous en sommes, il faut s’en remettre à l’Autorité de la concurrence comme viennent de le décider Stéphane Beaudet, maire d’Evry-Courcouronnes, Stéphane Raffalli, maire de Ris-Orangis et Philippe Rio, maire de Grigny, pour constater à nouveau la situation monopolistique de Suez et soumettre l’entreprise au code des marchés publics. Je pense aussi, mais pour l’heure cela n’engage que moi, que nous pouvons aussi saisir le tribunal administratif, la justice avec l’appui de l’Etat
Pourquoi saisir l’Etat ?
JB: C’est simple et logique. En 1967, c’est l’Etat qui décide de la création des Villes Nouvelles ! L’Etat, en l’absence d’interlocuteurs publics, s’adresse aux exploitants qui ont en charge le service public de l’eau potable pour le compte de toutes les communes sous forme d’affermage de la distribution en provenance de Vigneux et de Viry.
La Lyonnaise flaire le jackpot et réussit, forte de la concession de Morsang, à dissocier production et distribution et à soumettre chaque ville à des contrats d’achats d’eau d’ordre privés comme il l’ont fait en 2002 avec l’Agglomeration Evry Centre Essonne. C’est l’époque où la Lyonnaise parviendra dans le silence de l’Etat à découpler la distribution de la production prétextant être propriétaire de Vigneux, Viry et bien entendu, de l’usine de Morsang qui passe de 36 millions de m3 dans l’arrêté de DUP de 1967 à 74 millions de m3 aujourd’hui. Morsang a quasiment « siphonné » Vigneux et Viry qui elles, étaient largement amorties…
La concession de Morsang est un bien de retour après 2002. Pour la Lyonnaise, c’est un bien privé ce que conteste déjà à cette époque l’Agglomération Evry Centre Essonne. Nous ne nous laisserons pas spolier si près du but
Pour rappel, à l’occasion d’un contentieux opposant la société ERDF et la commune de Douai (59) sur la qualification des biens entrant dans le champ de la délégation de service public, le Conseil d’Etat a précisé l’ensemble des principes applicables à l’ensemble des biens visés par ce type de contrat dans une décision d’Assemblée du 21 décembre 2012 ( CE Ass 21 décembre 2012, Commune de Douai, req. n° 342788 ).
Quelle histoire!
En 2005, au nom de la ville de Grigny, avec le Maire de St Michel, Jacky Bortoli obtient la condamnation de Suez. En 2018, Francis Chouat, président de Grand Paris Sud (GPS), lui confie la stratégie de l’eau.
En 2020, Michel Bisson et Philippe Rio le chargent pour GPS des négociations avec Suez avec pour objectif la réappropriation publique des moyens de production.
En 2023, Jacky Bortoli crée avec Michel Bisson un Syndicat avec cinq agglomérations représentant 1,4 million d’habitant.e.s. Les négociations échouent, c’est la rupture avec Suez.
En 2024 avec M Bisson, il demande à Suez les preuves de propriété. Suez propose de signer encore pour vingt ans sans preuve de propriété.
Fin 2024, les propositions de Suez sont refusées. Et avec l’association Attac, vous démontrez que Suez depuis 1967 n’est que concessionnaire et n’a jamais été propriétaire mais juste exploitant. Un rôle exercé sans droit ni titre depuis 2002. En mai 2025, Evry et Grigny saisissent l’Autorité de la Concurrence. Le 30 Mai 2025, France 3 révèle que Suez persiste à vouloir trouver un arrangement que MM Beaudet , Raffalli et Rio avec de nombreux élus et associations contestent.