Pour la seconde année, le collectif nos services publics publie un rapport sur l’état des services publics dans notre pays. Signe des temps, un chapitre de 56 pages (!) , le premier, est consacré à l’eau. Dans une démarche particulièrement pertinente, les crises environnementales sont analysées comme génératrices de conflits de besoins qui interrogent de nombreux pans de notre modèle social. Et les outils actuels de politique publique sont inadaptés pour intégrer les limites planétaires et perpétuent, donc aggravent, ces conflits de besoins. Mettre de cette façon l’environnement au cœur de la crise sociale est nouveau et prometteur. Dans cette veine, le chapitre sur l’eau est à la hauteur de la situation et de nos attentes. Lire ci-dessous l’introduction et télécharger le chapitre sur l’eau.
Ce chapitre vise à mettre en évidence les différents enjeux liés à l’eau. Il s’articule autour de six parties. La première traite des effets du changement climatique sur le cycle de l’eau. La deuxième porte sur les besoins quantitatifs liés aux différentes activités humaines. La troisième a trait à la dégradation de la qualité de l’eau. La quatrième détaille le financement de la politique publique de l’eau, en mettant en exergue son iniquité. La cinquième souligne les limites des politiques publiques aujourd’hui à l’œuvre. Enfin, la sixième insiste sur le nécessaire dialogue démocratique à construire pour permettre un accès juste à une ressource de qualité.
L’essentiel
L’eau douce, essentielle à la vie, constitue le milieu naturel de nombreux êtres vivants, en plus d’occuper une place centrale dans notre vie quotidienne. Certains de ses usages, peu visibles, sont pourtant indispensables : c’est le cas de la production agricole, industrielle, ou énergétique. Fleuves, rivières, lacs et canaux servent en outre tant au transport, par exemple de marchandises, qu’à nos loisirs.
La politique publique de l’eau vise historiquement à garantir l’accès à tous à une eau de qualité
L’intervention de la puissance publique pour assurer la bonne gestion de cette ressource s’est concentrée, depuis le XIXème siècle, sur la création et le maintien de réseaux de d’approvisionnement et d’assainissement de l’eau. Ainsi, l’État comme les collectivités locales sont intervenus très tôt pour garantir l’accès de l’ensemble des usagers à une eau de qualité. De la distribution de l’eau potable à la création des égouts et des systèmes de traitement des eaux usées, la politique publique de l’eau vise alors à garantir sa qualité sanitaire, vue comme un enjeu essentiel de santé publique.
La nécessité de mettre en place une gestion intégrée de l’eau à l’échelle des bassins hydrographiques pour en garantir la disponibilité et la qualité, a conduit à la création des agences de l’eau et des comités de bassin en 1966. Ces acteurs devaient ainsi permettre de passer d’une gestion locale à une gestion intégrée de l’eau à l’échelle des bassins hydrographiques et de mettre en œuvre le principe de « pollueur-payeur », consacré depuis, en 2004 dans la Charte de l’environnement. Ce sont aujourd’hui les préfets coordonnateur de bassin , généralement les préfets de région, qui ont pour mission d’animer la politique de l’État en matière de gestion de la ressource et de prévention de la pollution.
Malgré un objectif de qualité de l’eau affirmé tant par la législation européenne (directive cadre sur l’eau) que par les textes nationaux, une part significative des masses d’eau est polluée. En raison de la présence de polluants issus des activités humaines (pesticides, solvants, métaux lourds…), 33 % des masses d’eau superficielles (rivières) et 29 % des masses d’eau souterraines ne respectent pas aujourd’hui les normes de qualité environnementales fixées au niveau européen. Ces polluants peuvent se retrouver in fine dans l’eau potable. Ainsi, en France, près de 10 millions de personnes consomment une eau dépassant les limites de qualité réglementaires en pesticides. Plus de 4000 captages d’eau ont été fermés ces dernières décennies en raison de pollutions chroniques.
En dépit du principe du « pollueur-payeur », les ménages supportent l’essentiel des coûts liés à la pollution de l’eau, principalement induite par les activités industrielles et agricoles. En effet, ce sont les factures d’eau dont s’acquittent les ménages (coût du service et redevance aux agences de l’eau) qui permettent notamment de financer les usines de traitement de l’eau et les agences de l’eau, chargées de protéger l’eau et les milieux aquatiques. Le surcoût représenté par les pollutions agricoles pour les ménages est estimé à plus d’un milliard d’euros par an, soit des dépenses supplémentaire annuelle pouvant s’élever jusqu’à 215 € par personne dans les zones les plus polluées. Ces chiffres illustrent la nécessaire application du principe pollueur-payeur afin de rééquilibrer les charges et les responsabilités. Dans un contexte où les tensions liées au partage de cette ressource s’accroissent, une juste répartition de l’effort financier est indispensable pour inciter les industriels et les agriculteurs à diminuer leurs pollutions.
Une politique de l’eau tournée vers le curatif au détriment de la prévention et des solutions fondées sur la nature
Pour réduire les pollutions, la politique actuelle repose essentiellement sur des investissements orientés vers des infrastructures de traitement des eaux usées ou polluées, au détriment de la réglementation de l’usage des produits chimiques. Pourtant, la prévention à la source des pollutions est indispensable pour reconquérir la qualité des eaux.
Afin de retrouver un cycle de l’eau plus sain, permettant non seulement de mieux recharger les nappes mais également d’améliorer notre résilience face aux sécheresses et aux inondations, les solutions fondées sur la nature, telles que la désimperméabilisation des sols, la restauration des zones humides et la renaturation des cours d’eau, sont considérées par le monde académique comme des solutions prometteuses. Toutefois, elles ne trouvent encore que peu d’échos dans les politiques publiques.