L’eau: un bien à protéger

L’Ami du 20e, mensuel d’informations locales, culturelles et chrétiennes, a publié dans son numéro de février 2023, un article sur le patrimoine historique de cet arrondissement (réservoirs, regards) mais aussi sur les enjeux les plus actuels (passage en régie versus financiarisation, évolution climatique), sur l’eau dans sa dimension écologique et politique. Son auteur, Gérard Blancheteau, est retraité de l’Education nationale et membre du bureau de l’Observatoire parisien de l’eau et du conseil d’administration de la Coordination EAU Île-de-France.

L’eau de Paris : une histoire intimement liée à notre histoire

L’histoire de Paris des parisien-n-e-s est intimement liée à celle de l’eau qui irrigue notre quotidien. La devise de Paris  Fluctuat Nec Mergitur  illustre avec force les multiples références et présence de l’eau qui a aussi contribué à la naissance de Paris et son développement. L’ile de la cité premier lieu pour la construction de Lutèce a créé de nombreux liens avec la Seine pour le confort de ses habitants comme les thermes de Cluny mais aussi leur consommation. L’édification de pompes sur le fleuve à hauteur de la Samaritaine et de Notre Dame, le recours aux porteurs d’eau ont amplifié ce lien étroit entre la Seine et les parisiens.

Mais cette eau devra être progressivement acheminée depuis les alentours en raison d’une Seine impropre à la consommation. C’est par la construction d’aqueducs ceux de la Vanne et du Loing, du Loing et de Lunain, de la Dhuys que ces eaux deviendront parisiennes. Au-delà de l’approvisionnement des lieux de pouvoirs, des hôpitaux, des communautés religieuses, l’eau sera aussi distribuée par les fontaines .Henri IV instaurera pour les financer un impôt sur le vin et sur les porteurs d’eau. Sous Napoléon, la distribution de l’eau sera amplifiée par la restauration et la création de nombreuses fontaines, les canaux de l’Ourcq, St Denis, et St Martin. Rambuteau préfet de la Seine fera creuser le premier puit artésien profond de 547 mètres pour assurer une remontée de 40l d’eau par seconde. D’autres puits seront créés pour alimenter des piscines comme celle de la Butte aux Cailles. C’est sous le second empire grâce aux actions du Préfet Haussmann et de l’ingénieur Belgrand que la distribution de l’eau sera assurée par la création d’un réseau d’alimentation publique (fontaines et voirie) ou privée (habitations) et la mise en place des égouts pour évacuer les eaux usées.

Au-delà de la Seine il y a donc l’autre eau celle qui circule sous nos pieds par des centaines de kilomètres de tuyaux, de conduits multiples, de canaux pour arriver jusqu’à nos robinets.

Dans cette histoire passionnante de l’eau de Paris, notre arrondissement, ses villages d’avant 1860, Belleville, Ménilmontant ont été par leur altitude, leur population, d’ardents contributeurs pour sa circulation, son stockage dans des espaces appelés réservoirs. Dès le 12ème siècle, les eaux de Belleville, du Pré St Gervais appelées Sources du Nord sont recueillies localement pour alimenter par l’aqueduc de Belleville et de nombreux Regard des communautés religieuses, les abbayes : les Hospitaliers de St Lazare, de St Martin des Champs, les Templiers, les Célestins et en 1607 dès sa création l’Hôpital St Louis. Trois réservoirs sont implantés dans ces villages, aujourd’hui les 19ème et 20ème arrondissements.

Les réservoirs

Le réservoir de Ménilmontant situé rue du Surmelin est construit en 1865 par l’ingénieur Belgrand. Il est alimenté à l’époque par un aqueduc souterrain de 128km acheminant l’eau de la Dhuys, un affluent de la Marne et l’ Aisne. Aujourd’hui ses eaux proviennent de la Marne et sont traitées par l’usine de traitement de Joinville le Pont. Sa capacité de 95000 m3 couvre 15% des besoins en eau potable pour les parisiens. Ce réservoir stocke aussi l’eau non potable dans deux cuves enterrées d’une capacité totale de 26800m3 pour couvrir 18% des besoins.

Le réservoir de Belleville situé rue du Télégraphe est construit en 1866. Ce réservoir, est le plus élevé : 128m et sa capacité est de 18000m3. Vers 1919/1920 deux châteaux d’eau ont été construits pour alimenter en eau potable les habitations du quartier. Ses eaux à l’époque étaient issues du réservoir de Ménilmontant. Ce réservoir stocke aussi l’eau potable dans deux cuves enterrées d’une  capacité totale de 11600m3 soit 8% de la consommation parisienne.

Le réservoir des Lilas situé bd Serrurier est construit en 1963. Il complète le réservoir de Belleville par sa capacité de stockage de 208000m3 et couvre 30% de la consommation quotidienne d’eau potable des parisiens. Aujourd’hui ses eaux sont issues de la Marne et traitées par l’usine de Joinville le Pont.

La place des Sources du Nord inaugurée en 2012, la rue de la Mare, des Rigoles, de la Duée, des Cascades nous rappellent cet élan en faveur d’un développement de l’alimentation en eau des parisiens.

Les regards :

Construits à partir du 12ème siècle, les regards ont comme fonction première d’orienter la circulation de l’eau vers ses lieux de consommation. Un regard pouvait donc être composé de plusieurs canalisations. Ce point de rencontre entre l’origine de l’eau et sa diffusion était aussi la possibilité d’avoir un regard (c’est l’origine du nom) sur l’état de l’eau, sa propreté et son écoulement. Les réservoirs sont donc en relation directe avec de nombreux regards que l’on peut encore observer aujourd’hui dans le 20ème arrondissement : regard des Cascades situé rue des Cascades, regards St Martin à l’intersection de la rue de Savies, regard de la Roquette situé entre les rues de la Mare et des Cascades, regard des Messiers et le regard des Petites Rigolles situés à proximité de la rue des Rigoles ; dans le 19ème arrondissement : regards de la Lanterne, des Maussins. Plus de 40 regards assuraient par les aqueducs de Belleville et du Pré St Gervais l’acheminement des eaux sur une distance de plusieurs kilomètres. Sous Philippe Auguste, la fonction de ces aqueducs évolua. Elle permis la création des premières fontaines publiques.

L’eau : un enjeu capital pour l’environnement et l’humanité

L’eau depuis toujours est présente dans le monde des vivants qu’il soit humain, animal, végétal : 65% d’eau pour 100g de masse corporelle, 75% d’eau pour 100g de masse végétale. C’est l’eau qui a permis l’apparition de la vie il y a 4,5 milliards d’années. L’eau couvre 70% de la planète, la proportion d’eau douce ne dépasse pas 2,5% et celle d’eau salée atteint 97,5%.Mais son devenir est menacé par la raréfaction et la marchandisation. Cette réalité est dans les consciences depuis toujours. Dans de nombreux d’Amérique du Sud comme la Bolivie des luttes sont engagées pour permettre à l’eau de rester disponible, accessible et gratuite. En France, des actions ont été menées et sont encore menées par des élus, des associations pour une gestion municipale de l’eau par la création d’une Régie Publique hors du cadre libéral et économique imposé par les entreprises Véolia et Suez. C’est ainsi qu’à Paris en 2009, Bertrand Delanoë et son équipe ont fait ce choix historique et ont abouti pour une gestion publique et municipale de l’eau de Paris : eau potable et non potable et le traitement des eaux usées, une gestion plus économique, plus solidaire, plus démocratique par son coût et même gratuite à partir des 1200 fontaines accessibles sur la voie publique et dans les jardins, et les 400 sanisettes, toilettes publiques situées sur les trottoirs.

En Île-de-France, dans de nombreuses villes, la gestion de l’eau est assurée par le SEDIF (syndicat des communes d’IDF) qui délègue à Veolia le traitement et l’acheminement de l’eau. En IDF, l’eau potable a plusieurs origines : 220km de rivière, 500 km de canaux et de nombreux bassins. Mais des actions prenant appui sur le modèle parisien sont en cours impulsées et soutenues par la Coordination Eau IDF et Est Ensemble pour constituer des régies publiques de l’eau potable. Des communes du Val de Marne, de Seine St Denis, de l’Essonne ont pu atteindre cet objectif comme en province pour les villes de Lyon et Bordeaux.

menacée par les évolutions du climat

Sécheresse et inondations pluviales sont les scénarios catastrophes de plus en plus vérifiables sur la planète. En IDF, le PIREN SEINE un collectif réunissant de nombreux chercheurs et chercheuses autour des questions portant sur la quantité, la qualité de l’eau et des milieux aquatiques produit régulièrement des études sur l’impact de ces évolutions en IDF. Ces études basées sur plusieurs critères : aspect chimique, biologique, physique mettent en évidence leurs conséquences dans de nombreux domaines : pic de chaleur à plus de 50°, risque de pénurie d’eau en 2050, impacts sur l’activité humaine et la biodiversité. Un plan régional d’adaptation au changement climatique pour l’IDF a été élaboré. De nombreuses préconisations sont avancées comme les changements des pratiques en particulier dans le domaine agricole, l’évolution de l’alimentation, la récupération des eaux de pluie.

et par sa financiarisation

Compte tenu de sa raréfaction, l’eau devient « l’or bleue » pour mieux la protéger mais aussi pour la valeur qu’elle représente dans le monde de la finance qui souhaite en faire un produit spéculatif. Depuis quelques années, les tentatives de financiariser l’eau se développent notamment par son introduction en bourse comme ce fut le cas récemment à Chicago. Un projet qui a échoué en raison de l’insuffisance des transactions. En Angleterre la privatisation de l’eau rapporte d’énormes profits pour des investissements très faibles. L’Australie inspirée par la même logique sert aujourd’hui de modèle à plusieurs Etats américains.

L’eau dans sa dimension écologique, politique

L’eau, cette ressource vitale est donc en danger. Une nouvelle vie avec de nouvelles pratiques s’imposent aujourd’hui pour lui permettre d’exister encore en quantité, qualité pour couvrir les besoins humains, animaux et végétaux de la planète. De nombreux rapports et études soulignent déjà que ces besoins ne sont plus couverts. Un milliard de personnes n’ont plus d’eau potable tandis que 4,2 milliards n’ont plus de structures pour purifier l’eau. 3 millions d’enfants meurent chaque année en raison d’une pénurie d’eau potable. Plusieurs rapports d’origine internationale recommandent la création d’une « banque internationale de l’eau » chargée de gérer, financer, orienter les projets d’eau dans le monde.

..et les évolutions qu’elle suggère

L’eau est la dimension la plus visible des évolutions imposées par un climat aux effets durables et ravageurs. Il y a donc intérêt d’évoluer aussi dans notre rapport avec l’eau, sa consommation, son exploitation, ses origines, son statut juridique pour en faire un bien commun sur toute la planète.

La ville de Paris, notre arrondissement montrent le rôle majeur qu’ils ont joué et aujourd’hui qu’ils jouent toujours pour approvisionner tous les parisien-ne-s en eau potable. Dans ce nouveau rapport que nous devons avoir pour protéger cette ressource des recherches collectives sont à co-construire à tous les niveaux, entre toutes les générations pour aller vers cette société nouvelle où les enjeux climatiques et sociétaux sont les défis à relever.

La journée mondiale de l’eau qui a lieu chaque année le 22 mars peut contribuer à cette prise de conscience. Depuis 3 ans, la Coordination EAU IDF organise à cette date « le Printemps de l’Eau » dont l’objectif est de sensibiliser les citoyens, les acteurs associatifs et militant-e-s, les élu-e-s sur les enjeux de l’eau (droit humain, gestion publique, eau et climat). Une occasion à saisir !

Gérard Blancheteau

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