La lettre du développement durable (consacrée à l’actualité sur la réglementation et la jurisprudence en matière de développement durable) reprend les points et les conclusions de la commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts et ses conséquences (rapport n°4376) concernant les agences de l’eau.
L’Assemblée nationale a constitué une commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts et ses conséquences (rapport n°4376). Cette commission a rendu son rapport l’an dernier. Entre autres points, elle pointe le manque de ressource des agences de l’eau qui les empêche de mener à bien correctement leurs missions.
Une baisse de leur moyen qui se cristallise autour du dispositif de « plafond mordant »
Déterminé par un arrêté conjoint du ministre de la transition écologique et solidaire et du ministre de l’action et des comptes publics, le plafond annuel de taxes et redevances perçues, dit « plafond mordant », établit le montant maximal de taxes et redevances que pourra percevoir chaque agence de l’eau durant l’année (Arrêté du 28 janvier 2021 relatif à la détermination du plafond annuel de taxes et redevances perçues par chaque agence de l’eau pour l’année 2021).
Les montants excédant ce plafond sont reversés au budget général de l’État. Cependant, comme l’a souligné la ministre de la Transition écologique : « En pratique, ce plafond ne s’applique pas puisque les redevances ont été réévaluées par chacune des agences. ».
Le plafond mordant a été institué par la loi de finances pour 2018 parallèlement à la suppression du dispositif précédent, un prélèvement sur les fonds de roulement des agences de l’eau – dans les faits, sur les réserves financières de celles-ci – de l’ordre de 175 millions d’euros par an sur la période 2015-2017.
Au fil du temps, les agences se sont donc organisées collectivement pour limiter cet écrêtement, à 6,8 millions d’euros sur plus de 2 milliards d’euros de redevances en 2020. Cet état de fait complique également le pilotage des agences qui doivent préserver leur rôle de mutuelle de bassin : il existe une demande forte au sein des acteurs du bassin pour que les redevances qu’ils paient financent bien les projets du bassin.
En outre, alors que le dixième programme (2013-2018) avait plafonné les recettes à 13,8 milliards d’euros (hors part des redevances reversées à l’ONEMA/AFB), soit 2,3 milliards d’euros annuels, le onzième programme (2019-2024) verra ses recettes limitées à 12,6 milliards d’euros, soit 2,1 milliards d’euros annuels et une baisse de 9 % par rapport au précédent programme. Le plafond mordant s’ajoute donc à une baisse des recettes.
Le plafond mordant et sa dynamique sont à l’origine d’une baisse structurelle des moyens des agences de l’eau. Le plafond mordant pour les agences a baissé au fil du temps et notamment entre le dixième et le onzième programme pluriannuel d’intervention (2019-2024) selon Sandrine Rocard, directrice générale par intérim de l’agence de l’eau Seine-Normandie. En effet, le plafond a été abaissé en 2019 à 2,105 milliards d’euros pour cette année-là contre 2,28 milliards en 2018. Lors de son audition par la commission d’enquête, Olivier Thibault a fait état d’une réduction de 10 % du niveau du plafond.
Selon le ministère de la Transition écologique, le dixième programme visait à fournir des aides massives pour la mise en conformité des rejets des stations d’épuration, alors que le onzième programme a rééquilibré les aides au profit du « grand cycle » de l’eau (milieux naturels, adaptation au changement climatique) et consacré l’extinction progressive des primes pour épuration et des aides à l’assainissement non collectif.
La capacité d’intervention des agences de l’eau demeure significative et elle est fixée pour la durée du programme d’intervention, ce qui donne une visibilité pluriannuelle appréciable. Mais la baisse des plafonds de recettes et de dépenses limite leurs capacités d’intervention au service des collectivités.
Le plafond mordant a pour raison d’être d’éviter un phénomène de recettes et de fiscalité excédentaires. Lors de son audition par la commission d’enquête, Bruno Le Maire a donné la justification de l’existence de ce plafond mordant. Il s’agit de faire correspondre les ressources et les besoins. Si un opérateur bénéficie de taxes affectées comme cela est le cas des agences de l’eau, il faut que le rendement de ces taxes corresponde à ces besoins. Cela implique la mise en place d’un écrêtement des ressources excédant les besoins : « Sinon, on constitue, un peu partout sur le territoire français, des réserves financières qui ne sont pas indispensables. »
La baisse du plafond permet de plus de faire participer les agences à la baisse de la pression fiscale
En 2021, l’arrêté du 27 février 2020 relatif à la détermination du plafond annuel de taxes et redevances perçues par chaque agence de l’eau pour l’année 2020 prévoit un plafond global de 2,156 milliards d’euros. Cette hausse s’accompagne cependant de l’entrée sous plafond de la redevance pour pollution diffuse dédiée au financement du plan Écophyto national et de l’augmentation de 41 millions d’euros de la contribution des agences de l’eau à l’OFB (Assemblée nationale, commission des finances, Rapport sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2018 (n° 1947), Annexe N° 16 : Écologie, développement et mobilités durables : paysages, eau et biodiversité prévention des risques expertise, information géographique et météorologie conduite et pilotage des politiques présenté par M. Éric Coquerel, rapporteur, 5 juin 2019).
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Sur ce constat, certaines personnes auditionnées par la commission d’enquête ont souhaité mettre en lumière les aspects positifs du plafond mordant :
– une incitation à la priorisation des interventions : Mme Sandrine Rocard comme M. Guillaume Choisy, directeur général de l’agence Adour-Garonne, ont mis en avant l’incitation à la priorisation que représente le plafond mordant, ce qu’ils voient comme un élément qui peut être positif. M. Choisy a toutefois nuancé en ajoutant que : « Cette démarche nécessite toutefois un travail plus important avec les collectivités. » (Audition de Mme Sandrine Rocard, directrice générale par intérim de l’agence de l’eau Seine-Normandie et M. Guillaume Choisy, directeur général de l’agence Adour-Garonne, jeudi 20 mai 2021) ;
– une baisse de la fiscalité : Mme Rocard et M. Choisy ont rappelé lors de leur audition par la commission d’enquête que le système de plafonnement était appréciable par sa contribution à la baisse de la fiscalité (Audition de Mme Sandrine Rocard, directrice générale par intérim de l’agence de l’eau Seine-Normandie M. Guillaume Choisy, directeur général de l’agence Adour-Garonne, jeudi 20 mai 2021).
Toutefois, ce plafond mordant a des effets néfastes pour l’action des agences de l’eau
La conséquence la plus prégnante est la baisse de la capacité d’action des agences de l’eau. En effet, les redevances constituent leurs seules ressources. M. Choisy y voit en particulier une limite potentielle pouvant « empêch[er] la mise en œuvre des actions nécessaires à la préservation du bon état des eaux » (Audition de M. Guillaume Choisy, directeur général de l’agence Adour-Garonne,). Le plafond mordant est donc limitant pour les capacités de financement des agences de l’eau.
M. Olivier Thibault a ainsi mis en lumière que la réduction de 10 % de plafond mordant a fait diminuer d’autant les redevances mais a fait baisser de 12 % les interventions (Audition de M. Olivier Thibault, directeur de l’eau et de la biodiversité au sein de la direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), mercredi 12 mai 2021).
En outre, Mme Sandrine Rocard a rapporté que le plafonnement ajoute « incontestablement » de la complexité dans la gestion de la redevance (Audition de Mme Sandrine Rocard, directrice générale par intérim de l’agence de l’eau Seine-Normandie, jeudi 20 mai 2021).
La priorisation et la concentration de leurs aides auxquelles sont contraintes les agences de l’eau peuvent également avoir pour effet de priver de larges pans du territoire de la possibilité d’être soutenus. Ainsi, lors de son audition par la commission d’enquête, M. Régis Banquet, président de Carcassonne agglo, a pris l’exemple du territoire de son établissement public de coopération intercommunale (EPCI), pour illustrer ce phénomène. Ainsi 10 des 83 communes de cet EPCI se situent dans une zone de revitalisation rurale (ZRR) et bénéficient des subventions de l’agence de l’eau, alors qu’elles ne représentent qu’1 % de la population. Les autres n’en disposent plus du fait de l’effort de priorisation des agences de l’eau (Audition de M. Régis Blanquet, maire d’Alzonne, président de Carcassonne agglo, membre du conseil d’administration de l’Assemblée des communautés de France (AdCF) ).
Enfin, la stabilisation du plafond à un niveau bas constitue une préoccupation pour les acteurs locaux de l’eau. Ainsi, M. Guillaume Choisy a mis en avant lors de son audition que : « Le plafond pourrait être délétère, pénalisant, s’il reste figé. Cette inquiétude est remontée par les présidents de comité de bassin. » (Audition de M. Guillaume Choisy, directeur général de l’agence Adour-Garonne, jeudi 20 mai 2021 ).
Les agences de l’eau sont de plus le principal contributeur du budget de l’OFB
Sur les ressources des agences de l’eau, 373 millions d’euros iront en 2021 abonder le budget de l’OFB, ce qui réduit d’autant la capacité d’action des agences de l’eau.
Malgré cette contribution, l’OFB rencontre également des difficultés budgétaires. Lors de son audition par la commission d’enquête, M. Loïc Obled, note que le « budget primitif 2021 laissait présager des difficultés ». Toujours selon M. Loïc Obled, un budget rectificatif est venu depuis lors rétablir la situation, mais cela situe un enjeu de sous-dotation initiale (Audition de M. Loïc Obled, directeur général délégué à la police, à la connaissance et à l’expertise de l’Office français de la biodiversité (OFB), jeudi 15 avril 2021).
Une situation budgétaire qui sera difficilement soutenable à terme
Malgré la diminution des moyens de leur agence, les directeurs généraux auditionnés par la commission ont voulu rappeler qu’ils conservaient des capacités d’action importantes. Ainsi, Mme Sandrine Rocard, a déclaré que « les moyens financiers sont en baisse, mais les moyens d’action restent significatifs », tandis que M. Guillaume Choisy a avancé que « le plafond a des effets d’inquiétude plus que de réalité, car nous conservons des capacités de moyens. Le modèle fonctionne encore bien. »
En revanche, il existe une vraie inquiétude sur l’avenir car les crédits du plan de relance ne pourront équilibrer les budgets de manière pérenne (Audition de M. Guillaume Choisy, directeur général de l’agence Adour-Garonne, jeudi 20 mai 2021 )Sans ces volumes de crédits pour maintenir à flot les agences de l’eau, l’écart entre les missions des agences de l’eau et leurs capacités à les mener se fera très sensible.
La lettre du développement durable 20 juin 2022