Nouvelle tarification écologique et solidaire à Est Ensemble: quelles leçons en tirer ?

Par Jean-Claude Oliva, Vice-président d’Est Ensemble, chargé de l’eau et de l’assainissement, Président de la régie Eau publique par Est Ensemble. Contribution au colloque « Mise en oeuvre du droit humain à l’eau potable: quels enjeux en France et dans le monde? » qui s’est tenu à Toulouse en juillet 2025 et qui a été organisé par l’agence de l’eau Adour-Garonne, la Coalition eau et le Partenariat Français pour l’Eau.

Est Ensemble est un établissement public territorial de la Métropole du Grand Paris. Il regroupe neuf villes et compte environ 440 000 habitant.es. Le premier débat sur la gestion de l’eau remonte à la création de l’intercommunalité en 2010. Mais il a fallu attendre début 2022 pour en arriver à la décision politique de créer la régie publique de l’eau et de quitter définitivement le Syndicat des eaux d’Île-de-France (SEDIF) et son délégataire Veolia. Depuis le 1er janvier 2024, la régie Eau publique par Est Ensemble est opérationnelle, avec de nouveaux tarifs pour les usagers domestiques.

Le choix de ces nouveaux tarifs est l’aboutissement d’un processus démocratique. Deux passages ont eu lieu en Bureau de territoire les 13 septembre et le 15 novembre. Deux passages également au CA de la régie, le 20 septembre et 28 septembre. A l’issue du vote au Conseil de territoire le 28 novembre, une nouvelle information a été faite au CA de la régie le 30 novembre. C’est une rupture avec la longue période passée au SEDIF où les tarifs annuels étaient votés au comité syndical et où surtout, il n’y a jamais eu de discussion de fond sur la construction de ces tarifs.

Les réalités socio-démographiques de notre territoire

Nous nous sommes appuyés sur une connaissance précise des réalités socio-démographiques de notre territoire grâce aux analyses de Marie Tsanga et de son équipe du laboratoire Gestion territoriale de l’eau et de l’environnement de l’INRAE à Strasbourg.

On voit notamment qu’il y a en moyenne 2,45 personnes par ménage. Seulement 3% des ménages comprennent plus de 5 personnes. 76% des ménages sont constitués de 3 personnes ou moins. Massivement, nous avons des personnes seules, des familles monoparentales avec un ou deux enfants, des couples sans enfant ou avec un seul enfant. J’insiste parce que c’est contre-intuitif. Beaucoup d’élu.es n’avaient pas cette vision de leurs concitoyen.nes. Cette situation se retrouve dans toutes les villes, à quelques nuances près.

Les tarifs appliqués précédemment par le SEDIF et Veolia

Les défauts bien connus du précédent système, les tarifs appliqués avant la création de la régie publique par le SEDIF et Veolia, ont nourri notre réflexion pour établir une tarification plus juste et plus accessible pour les usagers domestiques.

Les tarifs du SEDIF/Veolia sont indiqués pour une consommation annuelle de 120 m3/an. Or pour notre territoire, avec 2,45 habitant.es par ménage, la consommation annuelle moyenne s’établit plutôt autour de 70 m3/an. On le voit dans l’illustration ci-dessus le tarif annoncé par le SEDIF/Veolia ne s’applique en réalité qu’à moins de 2% des abonné.e.s. Tous.tes les autres paient (beaucoup) plus cher !

En habitat individuel (15% des ménages à Est Ensemble), le tarif au m3 est beaucoup plus élevé du fait de l’abonnement

En habitat collectif (85% des ménages à Est Ensemble), il n’était pas tenu compte du grand nombre de ménages par abonnement. La facture établie pour tout un ensemble de logements se basait sur la consommation totale de dizaines ou de centaines de ménages. Ce qui la faisait basculer dans la 2e tranche de tarification nettement plus chère.

Les caractéristiques du nouveau tarif

L’objectif est de proposer un tarif accessible pour tous.tes : c’est encore la meilleure aide sociale. Nous avons recherché une solution simple et universelle. L’eau du robinet ne doit pas devenir un produit de luxe, c’est un enjeu actuel quand on entend tous les discours sur la hausse inéluctable des tarifs et qu’on voit fleurir des projets d’osmose inverse ou de réutilisation industrielle des eaux usées qui font exploser les tarifs.

La première mesure est la suppression de l’abonnement. Celui-ci pénalise ceux.celles qui consomment le moins. C’est à dire les personnes seules, les familles monoparentales avec un ou deux enfants, les couples sans ou avec un enfant, qui constituent l’immense majorité des habitant.e.s de notre territoire, comme nous l’avons vu. Cela permet une vraie progressivité : plus on consomme, plus on paie.

La seconde mesure est une première tranche gratuite pour l’eau vitale de 10 m3/an. Cela correspond à l’eau pour la vie, c’est-à-dire l’eau pour la boisson et pour la cuisine. C’est calculé sur la base de la consommation annuelle pour un foyer de six personnes ;

Ensuite plusieurs tranches correspondant à l’eau utile et enfin les deux dernières tranches correspondent à l’eau superflue. Mais il faut noter que la tranche la plus haute reste en dessous du tarif précédent dans l’habitat collectif.

Personne n’est pénalisé par cette nouvelle tarification, tout le monde y gagne. Mais les ménages qui comptent le moins de personnes et qui consomment le moins, bénéficient davantage du changement de tarif.

Dans l’habitat collectif, un seul compteur pour un immeuble ou un groupe d’immeubles est pris en compte par le service public de l’eau (même si le bailleur ou le syndic a pu faire installer des compteurs individuels). Pour que les habitants bénéficient des mêmes avantages que dans les logements individuels, le tarif est appliqué en tenant compte du nombre de logements. Par exemple, s’il y a 100 logements, la tranche gratuite sera de 100X10= 1000 m3/an et ainsi de suite pour les autres tranches.

Pour les gros consommateurs et les collectivités, on est passé de la dégressivité à une tarification fixe.

Un premier bilan et des questions

Au bout d’un an, nous constatons que la facture globale est moins chère que si nous étions restés au SEDIF/Veolia et ce, quelque soit la consommation annuelle. Nous avons une des eaux les moins chères, si ce n’est la moins chère d’Île-de-France.

L’eau potable représente environ 25% de la facture. La baisse de la part eau potable absorbe ou atténue fortement les hausses des autres parties de la facture (assainissement et redevances diverses de l’agence de l’eau). Notre tarification de l’eau potable agit comme un bouclier tarifaire.

La grande majorité des habitant.es (par exemple, pour une consommation annuelle de 80 m3 ou moins) a même bénéficié d’une baisse de la facture globale d’une année sur l’autre.

La gratuité ne s’applique qu’à la part eau potable de la facture. Il s’agit d’une gratuité partielle, ce qui n’est pas toujours bien compris. Si on ne peut pas réaliser la gratuité stricto sensu, on peut néanmoins utiliser la gratuité pour faire reculer la marchandisation de l’eau. D’autant que la gratuité, ou la quasi-gratuité, existe déjà dans le domaine de l’eau. Elle bénéficie paradoxalement aux plus gros consommateurs, bien loin de toute démarche d’économie de la ressource. Par exemple, le Syndicat des eaux d’Île-de-France (SEDIF) octroie une réduction de 50% au delà d’une consommation annuelle de 500 000 m3, ce qui revient à leur fournir la moitié de l’eau gratuitement. Pour le prélèvement des eaux brutes dans le milieu naturel, il existe des redevances collectées par les agences de l’eau : la gratuité totale ou partielle de ces redevances est de mise pour l’irrigation mais jamais pour l’alimentation en eau potable.

En complément de notre tarification socialement avantageuse, nous avons aussi la possibilité de verser une allocation aux personnes en difficultés, via les CCAS. Une enveloppe maximale de 2% des recettes de la régie est prévue à cet effet. Mais elle a été peu utilisée pour cette première année : 5% seulement de la somme prévue. Les modalités d’attribution sont simplifiées en 2025 pour permettre une utilisation plus importante par les CCAS. Nous envisageons aussi une allocation eau, ciblée sur les plus démuni.es. Mais il est possible que la tarification accessible à tous.tes qui a été mise en place, diminue les besoins d’aide sociale…

Au-delà de la tarification

La régie a installé 16 nouvelles fontaines dans l’espace public, en complément des 85 préexistantes. Elles facilitent l’accès à l’eau des personnes en habitat informel, relativement nombreuses sur notre territoire et contribuent au droit à l’eau. On peut facilement les trouver via un carte en ligne sur le site web de la régie (https://www.est-ensemble.fr/fontaines-publiques-un-acces-gratuit-leau-potable-garanti-pour-tous )


Mise en oeuvre du droit humain à l’eau potable

Cet ouvrage rassemble les contributions des intervenants et intervenantes du colloque organisé par l’Agence de l’eau Adour-Garonne, la Coalition Eau et le Partenariat Français pour l’Eau, intitulé « Mise en œuvre du droit humain à l’eau potable : quels enjeux en France et dans le monde ? », tenu à Toulouse en juillet 2025.

Initié à l’occasion des 15 ans de la résolution de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies du 28 juillet 2010, ce colloque a permis non seulement de dresser un état des lieux du droit humain à l’eau potable en France et dans le monde, mais également de proposer des solutions pour faire avancer ce droit.

Par exemple : reconnaître formellement en France le droit à l’eau au moins dans la loi, ce qui n’est toujours pas le cas ; bien définir la notion de précarité hydrique et ses implications afin de disposer d’un diagnostic exhaustif et fiable des situations existantes et du nombre de personnes qui la subissent ; développer une approche fondée sur les droits humains pour élaborer et appliquer une politique efficace en matière d’accès universel à l’eau potable et à l’assainissement  ; ou bien enfin, mettre en oeuvre des mesures pour rendre effectif le droit à l’eau avec des exemples et des pistes d’action apportés au fil des contributions…

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