Y a-t-il quelque chose de pourri au Syndicat des eaux usées ? L’incendie de la plus grosse usine d’épuration d’Europe à Achères (Yvelines) a mis en lumière les failles du Siaap, qui recycle les eaux de neuf millions de franciliens et sur qui pèsent plusieurs enquêtes. Article d’Aurélie Foulon publié le 25 novembre dans Le Parisien.
Deux jours après l’incendie dans l’usine d’Achères (Yvelines), les poissons mouraient par milliers dans la Seine, à quelques mètres du site. DR/Manu Desousa
« On exige des particuliers qu’ils installent chez eux des détecteurs de fumées, et on a un site Seveso qui n’en a pas! » Dans les salons de la sous-préfecture de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), où le préfet les a conviés pour une séance de questions-réponses, tout l’état-major de la plus grosse usine d’assainissement d’Europe, les élus locaux et les responsables associatifs sont sidérés : les patrons du Siaap (Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne) viennent de leur confirmer que l’unité de clarifloculation (destinée au traitement des eaux de pluie excédentaires) de l’usine d’Achères, dans les Yvelines, n’était pas dotée de système de détection incendie.
Comment est-ce possible, dans un site classé Seveso « seuil haut » depuis 2009? « C’était prévu pour 2020… » assurent les responsables du Siaap, qui gère le nettoyage des eaux usées de neuf des douze millions d’habitants de l’Ile-de-France. Trop tard : cette partie de la plus grande usine d’Europe a été détruite par un incendie le 3 juillet dernier. Quatre mois après, l’origine du feu reste indéterminée.
Accidents en série, sécurité en défaut
Cet incident majeur a fortement réduit la capacité de traitement de l’usine et entraîné le rejet dans la Seine d’eau partiellement traitée, réduisant son taux d’oxygène et tuant des tonnes de poissons. Il fait suite à au moins trois autres incidents survenus depuis début 2018. « Des départs de feu, sans que le CHSCT ne soit saisi », accusent des syndicalistes. Faux, répliquent les patrons du Siaap. « C’était une simple détection de fumée, dans ces cas-là on vérifie s’il s’agit d’un véritable départ de feu ou juste un début de combustion », se défendent-ils maladroitement.
Dans l’usine qui a pris feu en juillet, l’installation de détecteurs d’incendie «était prévue pour 2020»… Odile Tambou
Cette série noire a conduit le gouvernement, par la voix du préfet des Yvelines, Jean-Jacques Brot, à imposer au Siaap la réalisation, à ses frais, d’un audit de sécurité indépendant, dont il attend les conclusions pour juin 2020.
Dans son arrêté listant dix thématiques à examiner de près, Jean-Jacques Brot souligne que « des défaillances organisationnelles et des facteurs humains […] constituent un faisceau de causes ayant conduit à une succession d’accidents ». Et de rappeler que « les visites de contrôle réalisées par l’inspection des installations classées entre 2016 et 2019 ont mis en évidence […] des difficultés sur la gestion des accidents ». Les conclusions de la première partie de cet audit, consacrée à la défense incendie, sont attendues pour le 28 février 2020.
Et ce n’est pas la seule enquête qui pèse sur le Siaap, loin de là. Cinq jours avant l’incendie destructeur, la Chambre régionale des comptes (CRC) publiait son rapport d’observations définitives sur le Syndicat. Si les magistrats spécialisés jugent « une situation financière globalement saine », ils n’en relèvent pas moins des risques financiers puisque « le Siaap pourrait être appelé à financer la dépollution d’anciennes plaines d’épandage ».
A Achères et Triel-sur-Seine dans les Yvelines, ou Pierrelaye dans le Val-d’Oise, des terres agricoles sont en effet gorgées de métaux lourds et interdites d’exploitation après avoir été utilisées tout au long du XXe siècle pour y déverser les eaux usées parisiennes directement sur les sols, sans traitement particulier.
Uniquement des élus de Paris et de petite couronne au conseil d’administration
Surtout, la CRC émet des recommandations, et non des moindres. D’abord, elle pointe les « fragilités » de la gouvernance du Siaap. Celle-ci repose historiquement sur un conseil d’administration composé de 33 élus, uniquement désignés parmi les conseils départementaux de Paris et de petite couronne, alors que le Siaap traite aussi les eaux usées de « plus de 180 collectivités et groupements de la grande couronne ». Ces derniers n’ont pourtant pas un seul représentant dans les instances du Syndicat. Pas même les Yvelines, où se trouvent pourtant deux des six usines d’épuration du Siaap (celles d’Achères et Triel-sur-Seine).
751 000 euros versés aux administrateurs «sans base légale»
Plus ennuyeux, selon la CRC, certains de ces élus ont perçu, « sans base légale et en toute connaissance de cause, des indemnités de fonction et des jetons de présence ». Au Siaap, les indemnités sont du même ordre que celles d’une commune de 50 001 à 80 000 habitants : celle d’un maire pour le président, celle d’un adjoint pour les vice-présidents.
D’après les calculs de la CRC, « les sommes ainsi irrégulièrement versées par le Siaap aux élus se sont élevées au total à 751 000 euros brut sur la période 2011 à 2015 ».
Le « caractère illégal des versements » était même « connu du conseil d’administration et objet de débats en son sein » écrit la CRC. « Le sujet divise profondément les administrateurs entre ceux qui refusent de percevoir de telles indemnités pour cause d’illégalité, et ceux qui les acceptent en considérant qu’il y a un vide juridique en la matière », constatent les magistrats. Pour eux, il n’existe au contraire « aucun vide juridique dont le Siaap pourrait se prévaloir ».
Trop tard pour exiger le remboursement
Le sujet fait même l’objet de l’unique « rappel au droit » du rapport de la Chambre, qui appelle le Siaap à « modifier le règlement intérieur du conseil d’administration pour y inscrire que, selon les dispositions légales en vigueur, les fonctions d’administrateur n’ouvrent pas droit à versement d’indemnité ». « Le conseil d’administration a maintenant un an pour faire part à la CRC des mesures prises », indique un fin connaisseur du dossier. Depuis 2016, cette pratique « illégale » aurait cessé, précise le rapport.
Pour les indemnités déjà perçues en revanche, elles ne peuvent être réclamées par l’administration que pendant deux ans après leur versement, il est donc trop tard. La CRC, qui n’a qu’un « rôle de conseil et d’alerte », ne peut que « recommander » au Siaap « d’organiser, sur une base volontaire, le reversement des indemnités et jetons indûment perçus ».
Deux bénéficiaires de ces sommes ont toutefois « indiqué à la CRC avoir adressé un chèque au comptable public pour procéder aux remboursements des montants perçus », lit-on également.
«Les indemnités, sur 1,2 milliard de budget, c’est epsilon»
Pas Maurice Ouzoulias. En tant que vice-président (PCF) du conseil départemental du Val-de-Marne et adjoint au maire de Champigny-sur-Marne, il a présidé le Siaap de 2001 à 2015, après en avoir été l’un des administrateurs pendant neuf ans. « Je pense qu’il y a un vide juridique, maintient-il. La loi ne prévoit déjà pas que les départements créent un syndicat interdépartemental et c’est bien qu’il a fallu faire en 1965. A partir de là, il y a eu des statuts et des indemnités. L’Etat ne s’est jamais opposé aux versements, les rapports successifs de la CRC n’ont jamais rien trouvé à redire, jusqu’à celui-ci. » Lui préfère retenir « la gestion saine » des finances constatée par la Chambre. « Les indemnités, sur 1,2 milliard de budget, c’est epsilon », conclut-il.
Son successeur, Belaïde Bedreddine (PCF), « ne partage pas [non plus] l’analyse effectuée par la Chambre ». Estimant que le versement des indemnités était légal, l’actuel président du Siaap « ne souhaite pas suivre la recommandation de la Chambre en organisant de manière volontaire leur remboursement ».
Le comptable public condamné… mais dispensé de rembourser
Si elle ne peut contraindre les bénéficiaires de ces sommes à rembourser, la CRC a toutefois sanctionné le comptable public (trois fonctionnaires de la Direction générales des finances publiques se sont succédé à ce poste), qui a « manqué à ses obligations de contrôle de la validité » de la dépense. Dans un jugement rendu en septembre 2018, elle estime que ces fonctionnaires « ont engagé leur responsabilité personnelle et pécuniaire ».
Et rappelle que « lorsque le manquement du comptable a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné, le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante ». Soit 142 000 euros pour le premier, 163 750 euros pour le deuxième et 441 876 euros pour le dernier*.
En théorie. Car en pratique, ils ont été dispensés par le Siaap de tout remboursement. « Considérant que les indemnités n’ont pas été versées de façon illégitimes par les comptables publics du Trésor Public, le Siaap a délibéré à l’unanimité le 19 décembre 2018 pour accepter la remise gracieuse formulée par les trois comptables publics », confirme Belaïde Bedreddine. Conclusion… Il n’y aura jamais de sanction.
Des soupçons de corruption
Mais ce n’est pas tout. Le parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire après la plainte déposée en janvier 2018 par un entrepreneur italien qui dénonce des faits de corruption en marge d’un appel d’offres lancé par le Siaap en 2012 pour l’usine de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine).
Selon l’entrepreneur milanais, il lui aurait été demandé d’augmenter son offre de 100 millions d’euros, afin qu’elle devienne moins attractive que celle d’un concurrent. En échange, on lui aurait proposé le versement d’un million d’euros. Sa plainte vise donc des faits « d’ententes illicites, de corruption active, de trafic d’influence et toutes infractions en relation avec les marchés publics passés par le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne ». Depuis, « pas d’acte, rien », déplore Pierre-Alexandre Kopp, l’avocat du plaignant italien, qui espère la désignation d’un juge d’instruction.
« Nous nous sommes constitués partie civile en mars dernier », précise Pierre-Alexandre Kopp, qui regrette une procédure « un peu au ralenti ». Les deux mis en cause, Didier Le Tallec et Patrick Barbalat, maintiennent, par la voix de leurs avocats respectifs, Philippe Gonzalez de Gaspard et Pierre-Yves Couturier, que « ces accusations sont fantaisistes, diffamatoires et dénuées de tout fondement ».
Par ailleurs, le Siaap fait l’objet depuis avril 2013 d’une information judiciaire au pôle financier du tribunal de grande instance de Paris, pour des soupçons de corruption sur des marchés publics signés à partir de 2011.
*L’un d’eux a fait appel et «a été déchargé de sa gestion pour un point de procédure», précise la Cour.
Cet article illustre parfaitement, le clientélisme politique de tout ces Syndicat de traitement des eaux ou des déchets ou les maires perçoivent des indemnités ou des jetons de présence.
Ne parlons pas de la parodie de concurrence dans les marchés publiques que se partagent les grandes entreprises du BTP avec la connivence des donneurs d’ordre.