Une nouvelle proposition de loi sur l’eau

Le député Adrien Morenas (LRM), Président de la mission sur la ressource en eau, prépare une proposition de loi sur la protection et le développement de la ressource en eau et a organisé mardi 4 décembre une audition publique à laquelle a participé Jean-Claude Oliva pour la Coordination Eau Île-de-France. Lire son intervention et ses notes ci-dessous.

 La Coordination Eau Île-de-France réunit des usagers citoyens, des associations locales et des collectivités territoriales. Elle agit pour le développement de la gestion publique et pour y associer les usagers citoyens, pour le droit humain à l’eau et à l’assainissement, et pour la préservation du cycle de l’eau afin de combattre le changement climatique. Autant dire que les sujets abordés dans la proposition de loi nous intéressent! Sans être exhaustif, voici nos observations sur certains points avec lesquels nous sommes en phase et d’autres qui méritent d’être davantage discutés…

La préservation de la ressource

L’article 1 vise à interdire l’importation de produits agricoles ayant été traités avec des pesticides interdits en France. Nous sommes favorables à cette mesure qui s’inscrit dans un contexte marqué par l’échec des démarches de sensibilisation et de responsabilisation des acteurs: en effet, dix ans après le Grenelle de l’environnement, la consommation des pesticides n’a pas diminué mais augmenté dans notre pays! Il faut donc prendre de véritables mesures d’interdiction de tous les pesticides de synthèse, comme le réclame l’appel « Nous voulons des coquelicots ». Votre texte va dans ce sens et nous nous en réjouissons. Une suggestion supplémentaire : garantir la réciprocité, à savoir que les produits interdits en France, ne doivent plus être exportés. Nous savons, par exemple, que les stocks de chlordécone, quand il a été interdit en France, ont été écoulés au Cameroun, au Bénin et dans d’autres pays africains!

Les inondations

Les articles 2, 4, 5, 6, 7, 8 concernent la prévention des inondations. Il s’agit d’un réel enjeu face au changement climatique. Les articles 2 et 4, en particulier, qui imposent des dispositifs de récupération des eaux de pluie pour les maisons individuelles et pour tous les aménagements de plus de 300 m2 sont intéressants mais il s’agit d’obligations de moyens, pourquoi ne pas imposer plutôt des obligations de résultats? Par exemple, en terme de rejets d’eau de pluie dans les réseaux d’assainissement ou de pourcentage de surface à ne pas imperméabiliser.

L’irrigation

Les articles 3 et 19 visent essentiellement à fournir de nouvelles ressources pour développer l’irrigation. Est-ce légitime du point de vue de la lutte contre le changement climatique? Ne faut-il pas plutôt développer une agriculture durable, adaptée au climat? Les territoires ne peuvent pas supporter n’importe quelle activité humaine et n’importe quelle agriculture, a souligné André Flajolet, président du comité de bassin Artois-Picardie, et représentant de l’Association des Maires de France.

L’article 19 promeut les retenues collinaires. Ce n’est pas la bonne solution, car l’eau ainsi stockée ne s’infiltre pas dans les sols et ne recharge pas les nappes phréatiques : cela contribue à réduire l’étiage des cours d’eau. Et le plafond fixé à 20 millions de m3 semble énorme! Ce qu’a relevé aussi un chercheur de l’IRSTEA pour qui il s’agit « plutôt de barrages, voire de grands barrages! » D’autres solutions existent, comme des micro retenues qui permettent à la fois l’infiltration et l’évaporation, voir ici un exemple dans l’Yonne.

L’article 3 promeut la ré-utilisation des eaux usées, le « re-use« . Plus que d’un véritable besoin, il s’agit d’un nouveau business, défendu par le directeur général de Veolia Eau France, Frédéric Van Heems, également présent à l’audition, qui évoque même la « fert-irrigation » (ajout de produits fertilisants aux eaux usées retraitées). Il y a besoin d’exemples français pour vendre à l’étranger ces technologies et ce savoir-faire français, explique aussi la représentante de l’Agence Française de Développement… Nous souhaitons pour notre part que les recherches soient poussées à ce sujet et un encadrement strict afin de ne pas jouer aux apprentis sorciers (Lire ici le dossier Hautes Pyrénées cobaye de Veolia?)

La politique de l’eau

Les articles 9 à 14, consacrés à la « gouvernance » n’apportent pas d’innovations bouleversantes et ne semblent pas à la hauteur des enjeux repérés pourtant de longue date (lire ici: rapport Lesage et crise du modèle français de l’eau), à savoir l’absence de démocratie et la marginalisation des usagers citoyens et de leurs associations dans la gestion de l’eau, la crise du financement et des résultats problématiques tant en terme de qualité de l’eau que de quantité, avec la multiplication des conflits d’usage.

L’article 9 prône une péréquation au profit des zones rurales. Pourtant les redevances collectées par les agences de l’eau proviennent pour l’essentiel des usagers domestiques urbains et bénéficient largement aux activités agricoles. Les élus ruraux et les syndicats agricoles sont particulièrement bien représentés dans les instances des comités de bassin, alors que les usagers domestiques en sont quasiment exclus… Il y a besoin d’un rééquilibrage mais pas dans le sens que vous avancez.

L’action sociale

L’article 15 propose pour les communes à partir de 3000 habitants d’installer des points d’eau et d’hygiène, ce qui nous semble tout à fait indispensable. A noter cependant la nécessité d’ouvrir aussi des sanitaires, le droit à l’assainissement n’étant pas assuré pour tous, loin s’en faut: lire le communiqué de la Coordination Eau bien commun France, de la Coalition eau et de France Libertés, à l’occasion de la journée mondiale des toilettes le 19 novembre.

L’article 16 prévoit que les impayés soient pris en charge par les départements, pour éviter que les coûts soient supportés par les communes les plus défavorisées. Mais cela ne résout pas le problème. En effet, comme le montre l’analyse des témoignages recueillis par notre association, les impayés se concentrent particulièrement  dans certains départements, Nord, Pas de Calais, Seine Saint Denis, Var, etc., qui vont se retrouver à supporter l’essentiel des coûts. Il y a donc besoin d’une solidarité nationale, comme le réclame également Henri Smets, de l’Académie de l’eau.

Du reste et pour répondre aussi au directeur de Veolia, revenu à la charge sur l’augmentation des impayés, il ne s’agit pas seulement d’une question financière. Dans les témoignages que nous avons recueillis, la première cause d’impayés provient de litiges et de dysfonctionnements des distributeurs. Et dans leur traitement, saisir les services sociaux en cas de difficulté de paiement, établir un échéancier, autant de démarches qui ne sont pas faites systématiquement, loin s’en faut, par les distributeurs. Tout cela fait pourtant partie de ce qu’on attend d’un service public de l’eau. Les entreprises qui voudraient se cantonner à un angle exclusivement économique, en refusant d’assumer la relation sociale avec les usagers, ne sauraient prétendre assurer ce service public.

L’article 17 ouvre la possibilité de créer un tarif social de l’eau, sous conditions de ressources. Il présente tout l’intérêt d’une mesure préventive. Il faut discuter plus à fond pour définir les modalités, en tirant les leçons de l’expérimentation loi Brottes. Une généralisation  est indispensable: on ne peut pas imaginer qu’une telle mesure s’applique seulement dans certaines collectivités. Il y en a besoin partout!

Les investissements

L’article 18 prévoit la création d’un fond national d’aide aux investissements d’amélioration et de renouvellement des réseaux qui serait abondé par une augmentation de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires. Il est toujours étonnant de constater ce défaut d’investissement qui concerne les zones rurales mais aussi certaines villes (à l’instar de Nîmes, épinglée par Cash investigation). Avec leur facture d’eau (ou dans leurs charges), les usagers paient un abonnement sensé financer le réseau. Son entretien est compris dans le tarif au m3. Les usagers ont donc déjà payé depuis longtemps. Où est passé l’argent?

Tout en avançant « des solutions de financement mixtes », Frédéric Van Heems, directeur général de Veolia Eau France, estime que le prix de l’eau est « démagogiquement trop bas » et plaide pour une augmentation de 40% du prix moyen, qui serait indolore, selon lui. Une proposition qu’on lui suggère de soumettre …aux gilets jaunes!

Lire la version provisoire de la proposition de loi (au 4 décembre 2018)

Adrien Morenas (LRM) et Loïc Prud’homme (LFI) ont publié un rapport d’information sur la ressource en eau en juin 2018.

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