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Coupures d’eau illégales : comprendre les enjeux juridiques

Face au développement des coupures d’eau illégales, France Libertés et la Coordination Eau Île-de-France ont engagé des actions devant les tribunaux. Bernard Drobenko fait le point sur le contexte juridique et les condamnations des distributeurs d’eau. Un document à lire pour comprendre en profondeur les enjeux de ce combat.

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Le SEDIF hors-la-loi?

La question des coupures d’eau reste taboue au SEDIF, écrivions-nous dans un précédent article (voir ICI). Le SEDIF est bien en peine de faire respecter la loi par son délégataire, Veolia. Car c’est le SEDIF qui autorise explicitement Veolia à couper l’eau! En voici la preuve: le « règlement du service public de l’eau », adopté par le syndicat en décembre 2013 (soit après le vote de la loi Brottes qui remonte à avril 2013) et en vigueur depuis le 1er janvier 2014, permet les coupures d’eau, en particulier dans son article 33-1. A l’exception d’un paragraphe, cet article concerne bien les coupures pour impayés dans les résidences principales. Il détaille pour son délégataire les conditions d’application …d’une mesure complètement illégale.

Le règlement du SEDIF indique aussi que le délégataire est en droit de résilier l’abonnement en cas d’impayé, ce qui est également contraire à la loi. En effet, l’article L115-3 du CASF concernant les coupures pour impayés a été modifié par la loi Brottes N°2013-312 du 15 avril 2013. Dans la nouvelle version, il est précisé qu’en ce qui concerne l’eau : « Les distributeurs d’eau ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l’interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d’eau aux personnes ou familles. »

Le comble: le règlement menace les maires rétifs aux coupures d’eau (voir ICI): si un maire demandait le maintien ou le rétablissement de l’eau coupée, c’est la commune qui devrait les factures impayées! Non content d’être dans l’illégalité, le SEDIF pénalise donc les élus respectueux de la loi!

L’annexe G du document indique le tarif pratiqué pour une coupure: 57€ HT pour frais de fermeture, confirmant au passage qu’il s’agit bien d’un business pratiqué sur le dos des personnes en difficultés.

En septembre 2014, notre association avait alerté le président du SEDIF, M.Santini, par courrier (voir ICI), sur la non conformité de ce règlement par rapport à la législation actuelle. Nous attendons toujours sa réponse…

Une question taboue au SEDIF

Au comité syndical du Syndicat des Eaux d’Île-de-France (SEDIF) du 18 juin, les élus du Parti de gauche et d’Europe-Écologie les Verts ont proposé un vœu demandant que « Véolia respecte scrupuleusement les termes de la loi (Brottes) validée par le Conseil Constitutionnel. Il demande à ce qu’une révision du contrat de délégation liant le SEDIF à Véolia soit étudiée afin que l’interdiction des coupures d’eau y figure explicitement. »   Lire le vœu

Mais le vœu n’a pas été mis au vote au motif que le contrat de délégation précise déjà que Véolia doit exercer ses prérogatives dans le respect de la loi… Ce que l’entreprise ne fait pourtant pas car elle multiplie les coupures d’eau dans les villes du SEDIF. A tel point qu’il y a quelques mois, le président de la communauté d’agglomération Est Ensemble, M.Cosme, s’en était ému dans une lettre adressée à M. Santini, président du SEDIF : « nos services sont de plus en plus sollicités dans le cadre de coupures d’eau réalisées ou programmées par Véolia Eau d’Île-de-France sur le territoire de notre agglomération ». M. Cosme demandait « un moratoire sur les coupures d’eau » et un débat au sein des instances du syndicat. Lire le courrier

Mais ce débat n’a jamais été mis à l’ordre du jour. La question des coupures d’eau reste taboue au SEDIF ; que font les élus pour que l’entreprise délégataire respecte la loi et cesse les coupures d’eau?

Les entreprises de l’eau doivent respecter la loi

Tribune d’Emmanuel Poilane, directeur de la Fondation France-Libertés, de Henri Smets de la Coalition Eau et de Jean-Claude Oliva, directeur de la Coordination Eau Île-de-France, publiée dans le Huffington Post.

Depuis 2013, les distributeurs d’eau ne peuvent plus couper l’eau des ménages pour cause de non-paiement des factures d’eau. Après avoir demandé et obtenu une clarification de la loi, après avoir perdu des recours devant près d’une dizaine de tribunaux, après avoir tenté sans succès de modifier la loi au Parlement et finalement après avoir échoué à faire déclarer la loi contraire à la Constitution, il ne reste plus aux distributeurs qu’à mettre la loi Brottes en vigueur… s’ils le veulent bien.

La Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et en Régie (FNCCR) qui représente l’ensemble des régies et les municipalités l’a parfaitement compris et a expliqué à ses membres qu’il était désormais interdit de couper l’eau pour factures impayées lorsqu’il s’agit de la résidence principale d’une personne ou famille. La Régie Publique Noréade dans le Nord, par exemple, n’a pas attendu pour annoncer qu’elle renonçait aux coupures d’eau.

En revanche, on attend toujours que la FP2E qui représente les entreprises délégataires, notamment Veolia, Suez Environnement et Saur, fasse connaître sa position sur l’interdiction des coupures d’eau que la loi a prescrit.

Alors que nous savons que Suez Environnement a passé le message en interne pour stopper les coupures d’eau, elles continuent chez Veolia ou Saur comme si la loi n’existait pas. L’eau ne coule toujours pas chez des personnes démunies qui ont accumulé des impayés. De nouveaux ménages sont privés d’eau sans la moindre base légale et malgré la décision récente du Conseil constitutionnel. Les votes du législateur comme les décisions des tribunaux concernant les coupures d’eau restent lettre morte comme si certains distributeurs, chargés de gérer notre service public de l’eau, avaient le choix entre se conformer à la loi ou la défier tant qu’ils n’étaient pas poursuivis.

Nous lançons un appel aux élus responsables de collectivités (communes, intercommunalités, syndicats…) pour qu’ils exigent de leurs délégataires qu’ils respectent la loi. Nos organisations s’insurgent que le droit à l’eau soit cyniquement bafoué.

Les réductions de débit d’eau toujours illégales

Dernière minute : l’amendement de François Brottes autorisant les réductions de débit a été retiré! Voir ci-dessous les propos du député, lors de l’adoption définitive de la loi sur la transition énergétique le 25 juillet 2015:

 « Le débat auquel a trait cet amendement est fait de plusieurs épisodes. Il s’agit de la question des coupures d’eau qui ont été interdites par le Conseil constitutionnel, au motif que l’on ne se fait pas justice soi-même. J’avais proposé, avant que le Conseil constitutionnel ne statue dans une question prioritaire de constitutionnalité, de moduler la sanction pour ceux qui seraient de mauvaise foi. Le Sénat, avec le soutien du Gouvernement, a considéré qu’il ne fallait pas apporter une telle précision.

Il me semble désormais que, puisque la décision du Conseil constitutionnel a permis de stabiliser le texte, toute complication risquerait d’entraîner une nouvelle saisine et de déstabiliser de nouveau le dispositif. J’assume donc de retirer la proposition que j’avais faite à l’occasion de la nouvelle lecture. »

Les réductions de débit restent donc illégales!

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La décision du Conseil constitutionnel du 29 mai a confirmé l’illégalité des coupures d’eau pour impayés. Et les réductions de débit ne sont pas autorisées non plus.

Explications et point de vue d’Henri Smets, Président de l’ADEDE, membre de la Coalition Eau.

Autrefois, les règlements de nombreux services d’eau permettaient d’effectuer une réduction du débit d’alimentation en eau en cas d’impayés. Depuis 2008, ces réductions étaient devenues totalement illégales [1] mais cela n’a pas empêché certains grands distributeurs de continuer sans être inquiétés à les pratiquer sur une grande échelle. Dans une réponse en 2011 au Sénateur Paul Raoult qui suggérait de mettre en œuvre les réductions de débit moins pénalisantes que les coupures d’eau, la Ministre du développement durable de l’époque s’était prononcée en faveur du maintien de l’interdiction des réductions de débit.

En avril 2015, le député François Brottes a déposé un amendement législatif à la fois pour confirmer l’interdiction des coupures d’eau en général (loi Brottes du 15 avril 2013), pour interdire les réductions de débit chez les usagers démunis et pour autoriser les réductions de débit en cas d’impayés dans le seul cas d’usagers capables de payer leurs factures d’eau. [2] Mais cet amendement a été retiré au moment de l’adoption définitive de la loi fin juillet.

Vu le coût élevé d’une intervention de réduction de débit (plus de 100 € pour la pose d’une lentille pour réduction de débit et son enlèvement ultérieur), leur intérêt économique n’était pas évident  de toute façon tant que la dette ou le retard de paiement restait faible.

La nouvelle disposition incluse dans le projet de loi constitue un progrès évident en matière de droit à l’eau car plus personne en France ne pourra être privé d’eau dans sa résidence principale en cas d’impayés. Payée ou pas, l’eau potable devra toujours être fournie pour satisfaire les besoins de chaque usager. Les distributeurs pourront exercer des recours contre les mauvais payeurs comme dans toute situation de non-respect d’un contrat, mais ils ne pourront pas les priver d’eau, ni totalement, ni partiellement, sauf avec l’accord préalable d’un juge au vu de la situation concrète. Nul ne peut se faire justice à soi-même…

[1]Selon le Ministère de l’Ecologie, «  L’article 1er du décret N°2008-780, interdit de réduire le débit de fourniture d’eau aux abonnés en situation d’impayés ». Voir J.O. Sénat, Réponse publiée le 3/3/2011.

[2] L’amendement n°822 présenté le 15 /4/2014 par
M. Brottes, M. Blein et Mme Bareigts, rapporteure porte sur l’article 60 bisA du projet de loi sur la transition énergétique et vise à compléter le troisième alinéa de l’article L. 115‐3 du Code de l’action sociale et des familles par une phrase ainsi rédigée : « Ils peuvent procéder à une réduction de débit, sauf pour les personnes ou familles mentionnées au premier alinéa du présent article ». Il a été adopté en Nouvelle lecture par l’Assemblée nationale le 26 mai 2015. Mais il a finalement été retiré lors du vote final de la loi sur la transition énergétique en juillet 2015.

Le Conseil Constitutionnel confirme: les coupures d’eau sont illégales !

Ce vendredi 29 mai 2015, le Conseil Constitutionnel a rendu sa décision dans le cadre de la QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) déposée par la SAUR relative à l’interdiction de l’interruption de la distribution d’eau dans les résidences principales pour non-paiement des factures. Le verdict est sans appel : l’interdiction des coupures d’eau est bien conforme à la Constitution.

La haute juridiction a considéré que la loi Brottes n°2013-312 ne contredisait pas la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle, le principe d’égalité devant la loi ou encore le principe d’égalité devant les charges publiques. La loi Brottes est ainsi confirmée et doit être appliquée.

Cette décision est l’aboutissement d’un long combat pour le respect de la loi et de la dignité des plus démunis. Après de nombreuses jurisprudences de tribunaux d’instance et de grande instance (Soissons, Bourges, Valenciennes, Thionville, Lyon, Gonesse), le Conseil Constitutionnel ancre le droit à l’eau pour tous dans le droit français. Cette avancée en appelle d’autres et notamment la pleine reconnaissance du droit à l’eau et à l’assainissement qui fera l’objet d’une proposition de loi dans les prochains mois.

Le service public de l’eau sort renforcé du combat mené par France Libertés et la Coordination Eau Île-de-France. Mais le droit à l’eau n’est visiblement pas la préoccupation des entreprises, notamment de la SAUR et de Veolia (cf défense de la SAUR lors de l’audience au Conseil Constitutionnel). Leur acharnement à faire passer leurs objectifs économiques avant les droits humains doit désormais être pris en compte par les collectivités et les élus quand ils prennent les décisions relatives à la mise en oeuvre de ce service public. L’eau ne peut pas être traitée comme une marchandise mais doit être considérée comme un bien commun permettant à chacun de vivre dignement.

Nous appelons :

  • l’ensemble des distributeurs à stopper la pratique illégale et inhumaine des coupures d’eau et à rétablir l’alimentation à tous les foyers actuellement dans cette situation ;
  • les autorités locales responsables de la mise en oeuvre de ce service public à exercer leurs prérogatives et, en priorité, la protection des plus démunis pour l’accès à l’eau.

France Libertés et la Coordination Eau Île-de-France restent vigilants quant à l’application de la loi et continuent leurs actions pour protéger les plus démunis et appellent citoyens, élus et associations à poursuivre ensemble la mobilisation.

La décision sur le site du Conseil Constitutionnel : www.conseil-constitutionnel.fr