Dan Lert, président d’Eau de Paris, tire le bilan de dix ans de la gestion en régie de l’eau à Paris, et explique les objectifs que se fixe l’établissement public pour les années à venir. Entretien publié le 30 avril.
Quels sont les enjeux actuels concernant la gestion de l’eau ?
Les plaques tectoniques de la gestion de l’eau bougent beaucoup en France actuellement. Il y a, d’un côté, un projet de gigantisme avec la fusion de Veolia et de Suez, et de l’autre, des collectivités qui s’interrogent sur le modèle de gestion. Depuis 2010, la part de gestion publique de l’eau en France a augmenté de 10 %, pour représenter 40 % pour l’alimentation en eau potable et 58 % pour l’assainissement. Paris, Nice, Grenoble ou Montpellier ont fait le choix de la reprise de la gestion de l’eau. Le dogme de la délégation de service public est tombé et le mouvement s’accélère car nous avons montré que c’est possible. Ce n’est pas un hasard si des grandes villes comme Lyon et Bordeaux font le choix de créer une régie à l’horizon 2023.
Le mouvement est aussi à l’œuvre en Ile-de-France avec les territoires qui sortent du Sedif. Le renouvellement de la délégation de ce dernier est l’occasion de revoir le modèle. Il est aussi intéressant de noter que, dans le sud francilien, le sujet transcende les clivages politiques traditionnels.
Quels sont les avantages d’un fonctionnement en régie ?
C’est avant tout une immense avancée démocratique. On ne gère pas l’eau comme une marchandise. Dès sa création, Eau de Paris a mis en place une gouvernance adaptée à un bien commun qui est l’eau. Des associations de protection de l’environnement siègent au conseil d’administration, de même que des élus qui représentent toutes les sensibilités politiques de la ville. Ça change tout : après des décennies d’opacité, on retrouve de la transparence. Chaque euro gagné est utilisé pour la gestion de l’eau, il n’y a plus de flux financiers qui partent ailleurs.
Le deuxième avantage est le retour à un prix juste, avec une baisse de 8 % du prix de l’eau à Paris depuis la création d’Eau de Paris en 2009. Pendant les 25 ans de délégation de service public précédents, il y avait eu une hausse de 265 %. S’il a été possible de baisser depuis le retour en régie, c’est bien que les délégataires ne facturaient pas au juste prix. Le maintien du prix le plus bas est un objectif statutaire d’Eau de Paris, qui a le prix le plus bas sur le territoire métropolitain.
Et les inconvénients ?
Le processus du retour en régie n’a pas toujours été facile, nous avons notamment rencontré des difficultés techniques. Le système d’approvisionnement en eau était divisé auparavant en quatre entités distinctes–deux publiques et deux privées pour l’alimentation, la distribution entre les prestataires et le contrôle de la qualité de l’eau. Il a fallu créer une structure unifiée, efficace. L’homogénéisation des procédures et la sécurisation du fonctionnement ont demandé d’énormes efforts. Le défi le plus difficile a été de créer un collectif uni qui partageait la gestion publique de l’eau. C’est encore un travail permanent de la régie de partager ses valeurs.
Quel rôle joue aujourd’hui Eau de Paris auprès des communes intéressées par ce type de gestion ?
Notre régie répond toujours présente aux demandes des territoires qui s’interrogent sur leur gestion. J’ai eu, mi mars, un séminaire de travail avec Bordeaux métropole, j’ai rencontré Patrice Bessac, président d’Est Ensemble, j’ai des échanges avec Michel Bisson, président de Grand Paris Sud, et Philippe Rio, président de la régie de l’eau de Grand Paris Sud. Mais la situation est spécifique à chaque territoire. Nous leur apportons donc notre expérience pour qu’ils construisent leur modèle. La solidarité fait partie de l’ADN de la gestion publique de l’eau.
Quels sont les projets portés par Eau de Paris ?
Nous venons d’adopter une série de documents qui confortent notre modèle et notre stratégie dont, en mars, un très ambitieux document d’objectif stratégique qui liste les objectifs de la régie dans son cœur de métier industriel, ainsi que dans son rôle dans les politiques de la ville. Nous fixons notamment un haut niveau d’exigence sur la qualité de l’eau, les services aux abonnés, la politique d’accès à l’eau ou le rendement du réseau. Il comprend également des ambitions en matière de transition écologique, sur l’acquisition de la ressource ou le rafraîchissement de Paris.
Nous avons aussi adopté notre stratégie de transition énergétique. Eau de Paris est devenue acteur majeur de la transition écologique à Paris, mais également sur l’ensemble des territoires sur lesquels elle intervient, soit cinq régions. Sur ce territoire nous changeons de braquet, par exemple concernant le recours aux énergies renouvelables. Nous avons déjà une des plus grandes installations photovoltaïques d’Ile-de-France sur notre site de L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) et nous en aurons bientôt une autre sur l’usine des Lilas (19e arr.). Nous agissons aussi pour la protection de la ressource avec un régime d’aide aux agriculteurs, qui a été négocié avec l’Union européenne, le ministère de l’Agriculture et l’agence de l’eau Seine Normandie sur les zones de captage.
Que prévoit votre plan pluriannuel d’investissement 2021-2026 adopté en décembre dernier ?
Il prévoit plus de 488 millions d’euros sur six ans, avec notamment un renouvellement des canalisations de 0,8 % par an. L’enjeu est d’optimiser l’outil industriel tout en articulant, en maintenant, en entretenant et en renouvelant le réseau, en embrassant la révolution numérique. J’aime parler d’investissement raisonné, l’ère des grands travaux est révolue. On est sur de l’investissement utile : la prévention et la protection de la ressource plutôt que des technologies coûteuses et consommatrices pour traiter l’eau.
Quel impact a la crise sanitaire sur le secteur ?
L’impact à Paris est réel. A l’image de ce qui se passe pour l’électricité, nous n’avons pas retrouvé le niveau de consommation antérieur au premier confinement. Nous sommes loin des trois millions de consommateurs quotidiens à Paris en raison du développement du télétravail et de la chute du tourisme.
Nous nous adaptons, mais j’espère que la sortie de crise sanitaire conduira à un retour à la normale, bien que nous prônions la sobriété, qui se constate avec une tendance à la baisse de la consommation ces dernières années.■