Alors que les élus du Sedif doivent décider le 27 mai du système de gestion qui fera suite à la concession qui s’achève fin 2023, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés auditionnait, le 12 mai 2021, différents élus franciliens sur leur vision, parfois très critique, du syndicat. Publié lundi 17 mai.
Le paysage de l’eau change en France, avec la montée en puissance du fonctionnement en régie, qui a également le vent en poupe en Ile-de-France. Le principal acteur de la région, le Syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif), qui gère l’approvisionnement de quelque 150 communes, décide actuellement de la gestion qu’il choisira après la délégation de service public à Veolia qui s’achève fin 2023. Le bureau de l’institution a choisi le 7 mai l’option qu’il proposera aux élus le 27 mai prochain… et qui doit rester confidentielle jusque-là.
Le 25 mars dernier, les travaux de réflexion menés à ce sujet ont été présentés afin de dresser les avantages et inconvénients des différentes solutions. Les documents diffusés à cette occasion concluent à quatre scénarios qui répondraient aux critères fixés par le Sedif : la concession (scénario 1) et trois options reposant sur la création d’une société d’économie mixte à opération unique (Semop) avec un opérateur privé, seule (scénario 2) ou assortie d’un système de régie (scénario 3) ou de concession (scénario 4). L’option de la régie autonome n’est donc en théorie plus sur la table. Si l’allotissement de l’approvisionnement et la distribution est envisagé, l’idée de lots géographiques a été écartée.
Semop peu convaincante
Or la solution de la Semop ne semble pas avoir convaincu certains élus. « Cette option semble un peu complexe pour unne structure aussi grande que le Sedif », observe ainsi un membre du bureau
du syndicat qui estime que la gouvernance de ce type de structure « crée une distance avec les élus ». Quant à la répartition des bénéfices entre l’opérateur et les collectivités locales que permet cette solution, elle laisse aussi perplexe quelques maires. « Je pense que la majorité des délégués penche en faveur d’un mode de gestion unique pour la production et la distribution car dissocier les deux volets rendrait la gestion plus complexe », observe une élue du Val-de-Marne. Le maintien de la délégation de service public sans allotissement pourrait donc perdurer, même s’il n’a pas la meilleure évaluation des cabinets de consultation qui ont comparé les scénarios.
Des élus remontés
Ce choix suspendu a trouvé un écho inattendu à l’Assemblée nationale où la commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés entendait les dirigeants du Sedif et plusieurs élus du territoire qui ont pu avoir une parole plus libre que les membres du syndicat, certains étant même très remontés contre son fonctionnement.
Le comité syndical du 27 mai « ne pourra pas se prononcer sur le choix fondamental de la gestion publique ou privée car seulement quatre scénarios sont proposés et aucun ne permet d’engager une gestion publique totale », a fait valoir Jean-Claude Oliva, vice-président d’Est Ensemble (Seine-Saint-Denis) chargé de l’eau, territoire qui a fait le choix de quitter le Sedif au 1er janvier 2021. « La raison avancée [pour écarter la régie] est l’osmose inverse basse pression (OIBP) alors qu’une régie publique pourrait le gérer », a-t-il ajouté.
Un procédé à un milliard d’euros
Ce procédé technique, qui permet de retirer le chlore et le calcaire de l’eau, est en effet au cœur des réflexions futures du syndicat. Il avait surtout des détracteurs lors de l’audition à l’Assemblée, reprochant notamment son coût de mise en place estimé entre 800 millions et un milliard d’euros. Philippe Rio, maire de Grigny (Essonne), a évoqué l’avis négatif de Grand Paris Sud sur son déploiement dans l’usine d’Arvigny en raison notamment des concentrats que cette solution rejette et qu’il faut traiter, ainsi que de la surconsommation d’eau qu’il entraîne. Il considère donc cet investissement « douteux économiquement, injustifié d’un point de vue sanitaire et écologiquement contestable ».
Philippe Knusmann, conseiller territorial de Grand Paris Seine Ouest (Hauts-de-Seine) et ancien directeur général du Sedif, a répondu que les sondages faits auprès des usagers mettent la sécurité et la disponibilité de la ressource parmi les demandes essentielles. « La préoccupation, c’est la qualité de l’eau avec deux sujets : le calcaire et le chlore, a-t-il observé. Seule l’OIBP peut répondre à ce besoin. »
«On ne peut plus gérer les choses comme avant »
« C’est à la source qu’il faut traiter l’eau, on ne peut plus aller dans une fuite technologique pour obtenir de la valeur ajoutée qui bénéficie à des opérateurs privés », a insisté Jacky Bortoli, conseiller municipal de Grigny. Ce dernier, partisan du syndicat par le passé, a changé de point de vue : « La région parisienne est enkystée dans un système dans laquelle il faut le sortir, on ne peut plus gérer les choses comme avant », a-t-il affirmé.
L’élu a dressé une liste de dysfonctionnements dans la gestion dans l’eau en Ile-de-France. « En Essonne, il n’y a pas de concurrence, à chaque fois qu’il y a une consultation publique, les autres délégataires [que Suez qui gère le réseau] arrivent toujours en second », a-t-il rapporté par exemple, soupçonnant une entente entre eux. Plusieurs intervenants ont aussi dénoncé l’opacité sur la formation des prix.
Courriers « menaçants »
Le représentant d’Est Ensemble a regretté par ailleurs certaines pratiques du syndicat qui n’a par exemple pas communiqué la liste des équipements qu’il gère sur ce territoire, élément pourtant nécessaire pour organiser un autre mode de gestion. « Avant chaque décision du conseil de territoire concernant l’eau, les élus ont reçu une lettre de M. Santini [président du Sedif] aux élus menaçant de hausses exorbitantes des tarifs, de blocages de travaux de dévoiement prévus pour les JOP, a signalé Jean-Claude Oliva. Nous avons même eu droit à un gel de tous les travaux de gros entretiens et de renouvellement des canalisations en 2020. »
Philippe Rio a aussi évoqué une offre de rachat du Sedif de l’usine de Morsang de Suez, alors que Grand Paris Sud mène de son côté des négociations pour l’acquérir. « Nous sommes étonnés de ces négociations parallèles », a-t-il remarqué. Pour Philippe Knusmann, il ne s’agit pas d’une « opération de conquête mais d’une invitation à une coopération étendue, pour faire face en cas de situation critique ».