Florine Estève a été volontaire en service civique au sein de la Coordination Eau Île-de-France pendant huit mois. Outre son activité d’ambassadrice de l’eau à Paris, elle a mis à profit ce temps pour réaliser une étude d’écologie des organisations selon une méthodologie développée par l’association Etika Mondo. Ci-dessous un extrait de son rapport qui montre que l’arrivée du débat et de la mobilisation citoyenne sur la gestion publique de l’eau à Est Ensemble a des raisons profondes. Le rapport complet est téléchargeable à la fin de l’article.
Émergence et poussée des collectifs Eau publique
Des collectifs Eau Publique ont été créés dans la majorité des communes d’Est Ensemble, avec pour mission de faire monter la mobilisation citoyenne et la pression sur les élus par le biais de l’animation d’une pétition pour la gestion publique de l’eau. Dans le cas du Collectif Eau publique du Pré-Saint-Gervais, les membres actifs étaient déjà militants auparavant.
Il n’y a jamais eu autant de collectifs citoyens sur le thème de la gestion publique. Divers facteurs favorisent la croissance des collectifs Eau publique : la brèche donnée par la loi NOTRe, le modèle d’Eau de Paris, et le fait que l’opinion publique soit favorable à la gestion publique.
Un facteur juridique : La loi NOTRe
A chaque transfert de compétence territoriale, les acteurs favorables à la gestion publique essaient d’inciter au changement. Un premier test a été réalisé en 2010 au moment de la création des communautés de communes : le groupe politique gervaisien “A gauche autrement” a fait une tentative qui n’a pas permis d’aboutir à une gestion publique mais qui a fait mieux connaître l’importance du sujet et qui a permis de poser les premiers jalons.
Actuellement, la loi NOTRe est une nouvelle brèche dans laquelle les acteurs favorables à la gestion publique se sont introduits : elle prévoit la transformation de la communauté de communes d’Est Ensemble en Territoire d’Est Ensemble (de janvier 2017 à fin décembre 2018), et la compétence eau est transférée de manière obligatoire au Territoire. De par la particularité du processus d’adhésion et de sortie du SEDIF, la loi NOTRe permet à Est Ensemble de choisir de déléguer la gestion de l’eau au SEDIF ou bien de la gérer directement en interne, alors que ce choix était auparavant impossible.
En effet, pour une collectivité adhérente au SEDIF, il est difficile d’en sortir : la sortie d’une collectivité nécessite que deux tiers des collectivités adhérentes donnent leur accord. Or les collectivités adhérentes ont intérêt à ce que le maximum de collectivités reste au SEDIF : en cas de diminution du nombre d’adhérents, le prix de l’eau risque d’augmenter pour les adhérents restants. Donc dans cette configuration, si une collectivité veut sortir, les autres l’en empêchent.
La loi NOTRe transfère la compétence de la commune ou communauté de communes vers le Territoire, qui est un des 12 Territoires du Grand Paris. Étant donné que la communauté de communes d’Est Ensemble est adhérente au SEDIF, mais que le Territoire d’Est Ensemble n’est pas adhérent, ce dernier a donc le choix d’adhérer ou non au SEDIF, et le processus de sortie de la communauté de communes d’Est Ensemble n’est pas nécessaire.
Le modèle d’Eau de Paris
Comme présenté dans l’historique, la création d’Eau de Paris a été décidée en 2008, et la municipalisation a été achevée en 2010 à Paris. Cependant, cela n’a pas suffi à mobiliser en faveur de la gestion publique sur d’autres territoires si tôt : en effet malgré la création d’une régie publique à Paris, une simple création ne garantissait pas un succès futur, et il n’y avait pas assez de recul pour argumenter sur la pertinence d’une régie publique. Ainsi, la mobilisation passée concernant Est Ensemble et plus généralement les territoires qui délèguent la compétence eau au SEDIF ne peut pas être imputable à la création d’Eau de Paris.
Cependant, au bout de quelques années, quand les aspects positifs de la régie publique ont été constatés (baisse du prix de l’eau, fonctionnement plus démocratique etc.), Eau de Paris a pu être présenté en tant que modèle et contribue à l’accroissement de la pression citoyenne pour passer en gestion publique sur d’autres territoires.
Contrairement à la réflexion en cours à l’échelle d’Est Ensemble, à Paris la volonté d’aller vers la gestion publique était le résultat d’une volonté politique qui ne résultait pas d’une mobilisation citoyenne : en effet celle-ci était faible.
Une opinion publique favorable à la gestion publique
Le sujet principal qui interpelle les citoyens est la question du prix de l’eau : l’eau délivrée sur le territoire du SEDIF, à niveau d’investissements équivalent, est plus chère que celle de Paris. En effet, le prix moyen au SEDIF pour la production et la distribution est de 1,3703 € H.T./m3, tandis qu’à Paris il est de 1,08 euros €/m3 TTC. Par ailleurs, le prix de l’eau au SEDIF a augmenté de 93,9% en 25 ans (entre 1993 et 2017) soit 2,80% par an.
De plus, la montée en puissance des enjeux écologiques a un rôle, ainsi que l’influence des médias : il existe de plus en plus de reportages sur les enjeux environnementaux et sociaux (l’émission Cash Investigation sur l’eau a notamment eu un impact).
Cependant, même s’il existe une mobilisation citoyenne sur la gestion publique de l’eau, ce sujet n’est pas une préoccupation prioritaire des habitants, car les gens n’ont généralement aucun problème majeur lié à l’eau et ont de l’eau potable qui sort de leur robinet.
L’opinion des citoyens pèse particulièrement dans le contexte politique actuel. Ainsi, les élections municipales auront lieu en 2020, et nous sommes actuellement dans un contexte de chamboulement politique dans lequel le Parti Socialiste a notamment un poids plus faible que par le passé, ce qui incite les élus à porter une attention particulière à la volonté des citoyens.