Quand Suez vend l’eau quatre fois son coût de production

On sait que la trêve estivale est propice aux mauvais coups. Suez vient d’en fournir un sinistre exemple avec la dernière facture de vente d’eau en gros adressée à la Régie Eau Cœur d’Essonne en août pour la desserte de notre agglomération. Après plusieurs années d’augmentation suivant approximativement la hausse des prix, cette facture comporte une hausse de 39,4 % par rapport à celle du début de l’année. Par Eau publique Orge Essonne

Suez justifie ce racket par la formule de revalorisation des prix incluse dans sa convention de vente: une formule qui fait la part belle, et même amplifie, les hausses spéculatives du prix de l’électricité sur le marché européen et en France (Rappel, pour les usagers , en 2022 le gaz a pris +25% et l’électricité +7%). Plutôt qu’à un bouclier tarifaire, la politique de prix de Suez s’apparente plutôt à une destruction à l’arme lourde du budget 2023 voté par la régie. Un budget tablant sur une hausse de l’eau vendue par les multinationales (Suez au nord et Veolia dans le sud ) de l’ordre de 10%.

Pour Suez, cette hausse intervient après une hausse d’environ 23% depuis la création de la régie , le premier mai 2017, il y a 5 ans et demi.

Evolution du prix d’achat par la Régie de l’eau en gros de Suez en 2023

volume d’eau en gros en m3 Part Forfaitaire + Prix Unitaire % de hausse
janv-23 682000 0,8538
juil-23 682000 1,1901 +39,4%

Cette hausse d’une brutalité sans précédent intervient alors même que les négociations piétinent entre Suez et le nouveau Syndicat Eau du Sud francilien (SESF) qui réunit les agglomérations dépendantes de ses usines de production d’eau à partir de captages en Seine, dont Coeur d’Essonne. Des négociations qui visent à en finir avec une surfacturation qui peut atteindre le double du prix réel de production (prix de vente de l’eau en gros variant de 0,60 à 0,85centimes au mètre cube jusqu’alors, pour un prix de revient de moins de 40cts selon les propres chiffres de Suez ,voir ci-après).

Pour ceux qui espéraient que, dans ce contexte, Suez ferait profil bas en matière d’évolution tarifaire pour préserver ses marges de profits confortables, c’est la douche froide: pour Suez, c’est encore et toujours l’abus de position dominante et une surfacturation sans limites qui sont à l’ordre du jour.

Pour l’association Eau Publique Orge Essonne, cette dernière offensive de Suez exige de passer des intentions aux actes pour mettre fin à cette situation injuste.

Ce n’est pas aux usagers de payer , il est temps d’appliquer la baisse unilatérale du prix d’achat à Suez de son eau en gros

Nous n’accepterons pas que cette hausse abusive soit répercutée sur les usagers du service d’eau potable, auxquels s’appliquent déjà une hausse de 6% en 2023 pour la part eau potable des factures et une hausse de 27% de la part « redevance épuration » reversée au SIAAP (assainissement).

Mais il n’est pas non plus envisageable de payer cette facture totalement déconnectée du véritable coût de production de l’eau, sous peine de mettre la régie dans une situation financière critique.

Fin juin 2023; le Conseil Communautaire de CDEA adoptait à l’unanimité une délibération d’intention de baisse unilatérale du prix d’achat de l’eau en gros à Suez à 45 cts au m3 dans l’attente de récupérer les usines de production déjà payées à travers nos factures d’eau. L’heure est venue de la mettre en œuvre par la régie Eau cœur d’Essonne, comme Grand Paris Sud l’a fait de son côté dès 2022.

A la poursuite du vrai prix de l’eau – résumé des chapitres précédents

Prix exorbitant de vente aux agglomérations du sud francilien de l’eau en gros par Suez: 3 années de dialogue de sourds

La communauté d’agglomération Grand Paris Sud (GPS) est arrivée fin 2021 au terme de son marché d’achat en gros avec Suez . Rappelons que sa Régie d’eau potable ne dispose pas de l’autonomie financière, ce qui fait que c’est l’Agglomération elle-même qui est décisionnaire pour les dépenses de la Régie, contrairement à la Régie Eau Cœur d’Essonne, disposant de la personnalité morale et juridique.

Pourquoi GPS s’est engagé seul dans la mise en œuvre effective en 2022 d’une réduction unilatérale du prix d’achat

GPS est déjà propriétaire des principales conduites de transport sur son territoire et uniquement desservi par l’usine de Morsang sur Seine. Il a pu démontré une marge de Suez sur ses ventes à gros supérieure à 50 %. Pour les autres EPCI, comme Cœur d’Essonne Agglomération (CDEA), le coût réel de l’eau en gros, est supérieur à ce qu’il est chez GPS, du fait de l’éloignement des sites de production (coût supérieur du transport) et d’un recours complémentaire aux autres usines de traitement plus petites (économies d’échelle moindres) Viry, Vigneux, ou équipées de procédés plus coûteux (membranes à Vigneux).

L’abus de position dominante pointé par le Conseil national de la Concurrence en 2005 (jugement du 3/11/2005) persiste 18 ans plus tard

Même si le jugement de 2005 condamnait l’existence d’un « rabais de couplage », les allusions à l’absence de concurrence sont nombreuses dans son texte: « le marché reste cloisonné », « il n’y a aucune concurrence entre les producteurs d’eau », ….

Les deux grands acteurs privés de l’Ile de France (Suez et Veolia, en tant que Maîtres d’ouvrages d’installations de production, ou délégataires) ont largement organisé une surcapacité de production dans le sud francilien, afin de se prémunir d’achats d’eau à la société concurrente. Les usines de production d’eau en place pourraient doubler leur fourniture d’eau si elles tournaient à plein régime et celle de Morsang sur Seine pourrait à elle seule fournir les volumes livrés aujourd’hui par les 3 usines

Dans son rapport 2018 La Cour des Comptes soulignait l’« absence de stratégie collective » des grands acteurs et les surcapacités qui en résultent.

Eau du Sud Parisien (ESP) : un paravent masquant la rentabilité très élevée des ventes d’eau en gros de Suez dans le périmètre de sa position monopolistique

Créée par la Lyonnaise des eaux suite au jugement de 2005, pour répondre au grief de rabais de couplage et permettre ainsi d’établir un tarif de vente en gros applicable lors des mises en concurrence de DSP uniquement pour la distribution, sa filiale ESP a permis à Suez de renforcer l’opacité de ses profits sur les ventes d’eau.

Ainsi ESP, qui ne dispose d’aucun personnel propre, ni d’aucun outil de production se voit refacturer au prix fort par sa société mère les prestations nécessaires à ses activités. Exemple: dans les comptes 2020, un seul poste de charges dénommé « autres achats et sous-traitance », sans plus de détail, représente 94 % de la totalité des charges inscrites au compte de résultat

Depuis 3 ans, Suez s’est opposé catégoriquement à la fourniture de la valeur nette comptable des ouvrages du RISF ainsi qu’à celle d’un tarif de l’eau en « sortie d’usine «

Les 3 ans de réunion des intercommunalités avec Suez témoignent de son refus obstiner de communiquer ces informations. Cette obstruction permet à Suez de contester que les montants acquittés par les usagers ont depuis longtemps couverts les amortissements des ouvrages. Particulièrement pour le tarif sortie d’usine de Morsang sur Seine, la valeur nette d’usage mettrait inéluctablement en lumière un niveau indécent de rentabilité pour Suez.

Le dénigrement du fournisseur alternatif potentiel que pourrait être Eau de Paris

GPS et CDEA ont étudié le scénario d’acheter une partie de son eau à la régie Eau de Paris, au moyen d’un nouveau piquage sur l’aqueduc du Loing, qui traverse ou long leurs territoires

Pour contrer cette solution, Suez a tenté de faire pression sur certains élus en mettant en cause la qualité et le prix de l’eau en gros fournie par Eau de Paris, ainsi que les études techniques de piquage sur l’aqueduc réalisés par GPS ou La Régie Eau Cœur d’Essonne.

Ces études montraient que les intercommunalités pouvaient largement se passer de l’usine de Morsang sur Seine.

Elles prévoyaient une capacité de 80 millions de m3/an produits à partir de différentes ressources : prélèvement dans la Seine, dans la rivière Essonne à Ormoy déjà existante (station de captage propriété du Département), forages locaux et donc piquage dans l’aqueduc du Loing en accord avec Eau de Paris, – soit rachat de la station existante à Ris-Orangis (créée pour alimenter la régie Eau des lacs de Viry, puis mise à l’arrêt 2 ans après pour restaurer le monopole de Suez

– soit donc par la construction d’une nouvelle station de piquage

Les obstacles à la concrétisation de projets alternatifs

Principal handicap de ces solutions, leur coût d’investissement important, difficilement justifiable face à l’amortissement opéré de longue date des usines du RISF que Suez doit restituer aux collectivités.

Tarifs et profits démesurés

Les discussions engagées e entre GPS seul ou avec les autres EPCI, et Suez ont néanmoins permis certaines mises au point

Suez a reconnu ne pas avoir vocation à rester propriétaire des installations du service public de l’eau, pour se consacrer désormais à leur exploitation.

Surtout, Suez a fini par communiquer un tableau analytique suivant des coûts complets d’exploitation (hors investissements) des différentes usines et des réseaux. Des coûts qui se situent en deçà des valeurs les plus basses qu’on pouvait estimer. Jugez-en :

Certaines imputations de coût ,difficiles à vérifier, semblent excessives (notamment, les affectations de personnel de structures et le taux de marge appliqué pour le tarif d’exploitation), ce tableau apporte des ordres de grandeur cohérents avec les données connues sur d’autres installations de même nature1.

Ce qui saute aux yeux dans ce tableau , c’est que la part imputable à l’électricité représente moins de 20% du coût global de production, Dès lors, la hausse de son coût ne peut en aucun cas justifier les 39% de hausse de l’eau en gros infligés à la régie cet été

Pour GPS, les fournitures en gros de Suez à GPS s’établissent respectivement par sites de production à 80 % pour Morsang, 15 % pour Viry et 5 % pour les captages dans la nappe de Champigny, le coût de revient de production de l’eau livrée pondéré s’élève à peine à 0,204 € HT/m3!

Même en y rajoutant un coût relatif aux investissements usines évalué à 0,05 € HT/m3 et le montant correspondant aux réseaux et autres installations, on atteint un coût complet au maximum de 0,29 € HT/m3, à mettre en perspective avec le tarif moyen imposé en 2021 par Suez à GPS, de 0,635 € HT/m3, soit 54 % de marge.

Pour CDEA, les livraisons proviennent très majoritairement de l’usine de Morsang sur Seine , au coût le plus bas, accessoirement de celle de Viry , légèrement plus chère,

Dans tous les cas, ces chiffres fournis par Suez en 2021, révèlent un coût réel, transport compris, d’environ 30cts au m3 de l’eau en gros livré à Eau Coeur d’Essonne

A rapprocher du coût de 1,19€ au mètre cube, figurant sur la facture reçue en août, soit un prix de 300% plus élevé que ce coût réel.

On est même très, très en dessous des 45 centimes au m3 que les intercommunalités sud franciliennes annoncent accepter de payer dans l’attente de la restitution des usines. Il est plus que temps d’appliquer cette mesure de baisse. Elle en constituerait qu’un premier pas bien modeste vers une tarification équitable

L’usine de Viry qui attend désespérément sa restitution aux essonniens

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