Notre région francilienne ne doit pas devenir la vitrine des entreprises de l’eau, au détriment d’une transition juste et sociale
Alors que s’ouvre le 20 avril un débat public sur l’eau potable en Île-de-France, organisé par la CNDP, le président du syndicat Eau du Sud Francilien Michel Bisson s’alarme des réponses technologiques d’un « capitalisme vert » qui privilégie des traitements de l’eau énergivores au détriment de solutions plus sobres et écologiques.
A lors que la ressource en eau fait l’objet de toutes les préoccupations, entre annonces par le président de la République lui-même et tensions autour du projet de mégabassine de Sainte- Soline, un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) sur la présence de métabolites du chlorothalonil dans l’eau potable a fait l’effet d’une petite bombe médiatique la semaine dernière : des dizaines d’articles publiés aux titres tous plus alarmants.
L’eau potable en France ne serait pas « conforme », elle est « contaminée ». Comble de la situation, l’eau en bouteille elle aussi, fameuse alternative de ceux qui se méfient de celle provenant de leur robinet. Et si on le découvre aujourd’hui, c’est que cette substance, parmi tant d’autres, n’est pas testée régulièrement. Partant, la fabrique du doute est lancée et toutes les peurs s’expriment.
Les alertes quant aux pollutions sont nombreuses et au demeurant bien réelles. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la « pollution éternelle » aux substances perfluoroalkylées (PFAS), utilisées dans de nombreuses industries et détectées dans des concentrations parfois très conséquentes à travers toute l’Europe. Des alertes d’autant plus nécessaires qu’elles nous apprennent à faire évoluer les normes et à reconsidérer les conséquences de l’activité humaine, qu’elles nous permettent surtout de changer de paradigme dans un monde qui a longtemps considéré les ressources comme infinies.
Des alertes qui doivent aussi nous amener à relativiser
Si la campagne de mesure confirme la dégradation de la qualité de l’eau et la présence de Chlorothalonil, elle ne révèle pas de dépassement de la valeur sanitaire transitoire, estimée à 3 μg/l. Rappelons que ces valeurs sanitaires sont calculées pour une consommation exclusive d’eau contaminée pendant toute une vie, avec application d’un facteur de sécurité.
Les résidus médicamenteux dans l’eau avaient aussi fait l’objet d’un débat public du même ordre. Rappelons par exemple que les traces de paracétamol relevées dans les eaux potables par un grand laboratoire correspondent, pour une ingestion de deux litres d’eau par jour pendant 10 000 ans, à la quantité de substance active contenue dans un cinquième de cachet de doliprane.
Mais la solution est toute trouvée : « Renforçons les technologies de traitement ! » ; c’est la conclusion d’un processus classique du capitalisme vert : créer de nouvelles inquiétudes pour développer de nouveaux marchés, en l’occurrence de traitements toujours plus performants de l’eau, au détriment d’une protection accrue de la ressource et de la résorption des causes des pollutions.
L’application du principe pollueur-payeur comme pour les déchets
En France, encore plus qu’ailleurs, l’émiettement des services d’eau potable couplé à la présence des deux plus grandes entreprises de l’eau dans le monde, Veolia et Suez, profite aux tenants d’une transition écologique technologique. Preuve en est la dernière offensive du Syndicat des Eaux d’Île-de-France (Sedif) qui, avec son inaltérable délégataire Veolia, imagine mettre en place l’osmose inverse basse pression dans toutes ses usines, un procédé capable d’enlever la totalité des éléments dissous dans l’eau, au point de devoir réinjecter des sels minéraux pour en maintenir la potabilité. Et cela, pour un coût estimé à 870 millions d’euros.
Ainsi, quatre millions de Franciliens bénéficieraient, selon le Sedif, d’une eau plus pure que « l’eau irréprochable » vantée régulièrement par celui-ci. Quel paradoxe alors que cette technique nécessite trois fois plus d’énergie, 15 % d’eau supplémentaire pour produire la même quantité finale qu’une filière de traitement classique, et génère des volumes importants de concentrats de substances indésirables affectant l’environnement, dont des produits de traitement utilisés comme agents séquestrants du calcaire, les phosphonates, faisant l’objet eux-mêmes de nombreuses réserves de l’Anses.
Quel paradoxe encore, quand on sait que nombre de nos concitoyens, y compris en Île-de-France, n’ont pas accès à une eau potable en quantité et qualité suffisantes. Au-delà de la fracture territoriale inéluctable de la création d’une « eau à plusieurs vitesses », le risque est aussi de poursuivre la dégradation des écosystèmes, « puisque l’on peut tout traiter », faisant fi des autres compartiments de l’environnement et de la chaîne alimentaire.
La boucle est bouclée et la solution toute trouvée : « Renforçons les technologies de traitement ! ». Mais nous sommes de plus en plus nombreux à considérer la renaturation des aquifères comme la priorité, par une action résolue sur les modes de production agricole et sur les pollutions industrielles, par une utilisation raisonnée et de préservation de la ressource en eau, par l’application d’un principe de pollueur-payeur très exigeant, comme l’Etat a su le faire sur l’enfouissement des déchets.
L’eau, un bien commun inaliénable
Appliquons la maxime bien connue « Le meilleur déchet, c’est celui qu’on ne produit pas » aux milieux aquatiques en agissant à la source de ce qui les dégrade. Les conséquences sur la biodiversité sont trop graves et participent, de manière conjointe au réchauffement climatique, à diminuer la disponibilité de la ressource en eau.