Avis mitigé sur la tarification progressive

Saisi par la Première ministre suite au Plan eau qui préconise la généralisation de la tarification progressive, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) souligne que les enjeux de l’eau potable dépassent la tarification progressive. Le CESE formule neuf préconisations pour une sobriété des usages et un accès équitable à une eau potable de qualité. En bleu, le décryptage de la Coordination EAU IDF.

Pour le CESE, les conditions d’une généralisation de la tarification progressive ne sont pas réunies. L’incertitude sur l’efficacité de cette tarification est importante. Les actions de sensibilisation et de communication semblent plus efficaces… Voici les recommandations du CESE:

• Consolider les données du système d’information Sispea (Système d’information sur les services de l’eau et de l’assainissement) pour connaître de façon détaillée la consommation des abonnés (particuliers, professionnels, services publics…) et pour tenir compte des différentes parties prenantes dans la construction des politiques publiques;

Oui, sans réserves! Pourquoi n’est-ce pas déjà fait? 

• Anticiper l’inéluctable augmentation des tarifs des services de l’eau potable avec le lancement d’une étude prospective, sous l’égide du Secrétariat général à la planification écologique, pour évaluer les impacts économiques, sociaux et environnementaux de cette hausse;

Il n’y a rien d’inéluctable à la hausse des tarifs. La coordination EAU Île-de-France  l’a mis en évidence début 2023 dans l’article « la très résistible montée des tarifs de l’eau », à relire sans modération.  En réalité, beaucoup d’argent circule dans le domaine de l’eau et de l’assainissement. Par exemple, le Syndicat des eaux d’Île-de-France rémunère à hauteur de 9% des recettes provenant de l’eau, son délégataire Veolia et confie en plus, hors contrat de délégation, de nombreux travaux à cette même entreprise. En retournant à une gestion 100% publique, on peut utiliser la rente des multinationales pour augmenter les investissements et pour réduire la facture des usager.e.s. Il y a aussi la TVA (5% pour l’eau, 10% pour l’assainissement) qui fuit vers le budget de l’Etat…

• Élaborer un simulateur de tarification de l’eau à destination des collectivités et permettant d’évaluer l’impact des différents modèles de tarification sur l’équilibre financier de l’autorité organisatrice, sur le budget des consommateurs, mais également d’estimer la baisse de consommation attendue;

Cela existe déjà! Le laboratoire Gestion territoriale de l’eau et de l’environnement (ENGEES, INRAE) a développé dans un projet de recherche action, la Tarification Solidaire de l’eau Multi-Objectifs (TSMO). La production et le test du logiciel s’effectuent dans le cadre d’une communauté de collectivités locales primo-utilisatrices du logiciel. Est Ensemble en fait partie…

• Permettre à chaque usager de disposer d’un compteur individuel pour responsabiliser les consommateurs en incitant à la sobriété (mesures financières, actions de sensibilisation et d’accompagnement des usagers, coordination des syndics de copropriétés, services publics de l’eau et de l’assainissement, opérateurs privés);

Cela serait une bonne affaire …pour les fabricants de compteurs! Ils ont déjà bénéficié ces dernières années de la mise au rebut de la quasi-totalité du parc des compteurs, grâce à l’installation des compteurs communicants. Nous vous faisons grâce de la quantité astronomique d’eau gaspillée pour la production de ces machines. Le CESE le reconnaît lui-même, ce qui va vraiment compter, c’est les actions de sensibilisation et d’accompagnement des usager.e.s. Ce qui vaut pour la tarification progressive, critiquée à bon escient par le CESE, ne vaudrait pas pour les compteurs?

• Supprimer la tarification dégressive à l’horizon 2030 en accompagnant -techniquement et financièrement professionnels ou services publics vers plus de sobriété pendant la phase de transition;

Oui, mais faisons-le tout de suite, n’attendons pas 2030! C’est là qu’il y a le plus à gagner en terme de réduction de la consommation et donc des prélèvements d’eau dans le milieu naturel.

• Mieux réguler les autorisations de forage en révisant le cadre réglementaire (consultation écrite pour avis de la collectivité)

Oui, assurément! 

• Promouvoir la mise en place d’une tarification saisonnière dans l’ensemble des communes où l’équilibre entre la ressource et la consommation d’eau est menacé de façon saisonnière (y compris dans celles sans activité touristique) comme le permet la loi LEMA de 2006.

Cette mesure fait reposer la charge de la sobriété exclusivement sur les usager.e.s domestiques. C’est injuste! Il faut en priorité s’assurer que les priorités de la loi LEMA de 2006 soient bien respectées: d’abord l’eau pour la consommation humaine, ensuite l’eau pour les milieux naturels, enfin l’eau pour les usages économiques. En général, les usagers domestiques ont moins de possibilités de réduire leur consommation d’eau et l’ont souvent déjà fait car la baisse de la consommation d’eau potable a été importante ces trente dernières années. D’autres pistes sont à privilégier : interdiction de certains usages en période de restriction (piscines, datacenters…)

• Assurer l’accompagnement social des usagers fragiles, dissocié de la tarification avec une aide directe des collectivités pour le paiement de la facture d’eau (sous conditions de ressources, quel que soit le type de tarification ou la taille de l’organisme chargé de la distribution)

La meilleure aide sociale est une tarification juste pour tous.tes. Dans les allocations versées par les collectivités, le taux de non-recours est très important. Il y a aussi le risque de faire flamber les tarifs dans les délégations de service public et de subventionner indirectement les entreprises via ces allocations. Il faut mettre en place une instance de contrôle de la formation des tarifs pour prévenir les dérives. 

• Déployer des démarches de sobriété au sein des entreprises en complément des démarches de communications et de sensibilisations prévues dans le plan eau co-construire  des démarches de sobriété et de lutte contre le gaspillage au sein des entreprises.

Oui, assurément! Aujourd’hui les entreprises n’ont pas conscience de  la facture d’eau, c’est un non sujet pour elles comme en attestent les études d’opinion réalisées à ce sujet. De plus, c’est une charge qu’elle déduisent de leurs impôts, ce qui n’est pas le cas pour les usager.e.s domestiques.

Lire le dossier du CESE

Lire notre article « Grandeur et misères de la tarification progressive »

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