Comment assurer la qualité de l’eau potable?

Une réunion publique sur la qualité de l’eau potable en Ile de France, les PFAS et les pesticides dans l’eau et le projet de technologie d’osmose inverse du SEDIF – syndicat des Eaux d’Ile de France s’est tenue le mercredi 19 juillet à Epinay sur Seine. Elle était organisée par la Coordination Eau Ile de France et le Collectif Eau publique Epinay-sur-Seine. Cette réunion s’inscrivait dans le cadre du débat public dédié au projet, qui s’est terminé le 20 juillet.

Etaient présentes notamment une conseillère municipale d’Epinay sur Seine et une conseillère municipale de Saint-Ouen, représentante de la ville au SEDIF.

Les participants ont exprimé un avis défavorable sur le projet d’osmose inverse basse pression (ou filtration membranaire) du SEDIF. Ils souhaiteraient que ce projet n’aboutisse pas.

Outre des arguments déjà développés dans d’autres contributions et prises de parole, des arguments peu soulevés jusqu’à présent se sont exprimés. Les voici.

Quelle est la concentration de PFAS dans l’eau potable des usagers desservis par l’usine de Méry-sur-Oise ?

L’association Générations futures a réalisé en avril 2023 des analyses dans l’Oise (avant traitement de l’eau), au niveau de la plateforme chimique de Villers-Saint-Paul, en amont de l’usine de Méry-sur-Oise du SEDIF pour rechercher des PFAS. 5 prélèvements ont été effectués directement dont un à la sortie d’un exutoire et 46 PFAS ont été recherchés. Les résultats soulignent une présence importante des PFAS en particulier au niveau de l’exutoire1.

Le dossier du SEDIF indique que des campagnes d’analyses menées par le SEDIF confirment la présence de ces molécules dans la Seine, l’Oise et la Marne. La “somme des PFAS”, paramètre réglementé à 0,1 μg/L (microgramme par litre) et qui additionne les concentrations de 20 molécules préoccupantes pour les eaux destinées à la consommation humaine, atteint régulièrement dans l’Oise et ponctuellement dans la Seine la valeur de 0,03 μg/L, soit environ un tiers du seuil réglementaire.”

Pourtant, les prélèvements dans l’Oise se rapprochent très fortement du seuil réglementaire, d’après la carte des journalistes du projet “Forever pollution Project”2. Celle-ci indique que le taux de PFAS dans l’Oise prélevée au niveau de l’usine du Méry-sur-Oise est de 0,0954 µg/L. Or la concentration réglementaire maximale des PFAS dans l’eau potable (dite somme PFAS)3 est de 0,1 µg/L4 : ce seuil est prescrit par la directive européenne relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, dite eau potable. La disposition entrera en vigueur en janvier 20265.

L’usine de Méry-sur-Oise fournit l’eau à 880 000 habitants6 dans le Val d’Oise et en Seine-Saint-Denis (Epinay-sur-Seine, Villetaneuse). Elle dispose de membranes de nanofiltration (filière membranaire) et d’une filière classique (biologique) de traitement7. Le SEDIF affirme dans son dossier que “les PFAS ne sont actuellement pas retenus par les traitements mis en œuvre sur [ses] usines”. Le SEDIF ne fournit pas d’informations quant au taux de PFAS dans l’eau potable distribuée permettant d’appuyer cette affirmation.

Il est donc possible de se poser deux questions :

  • Quel est le taux de PFAS dans l’eau potable distribuée par le SEDIF, notamment pour les usagers desservis par l’usine de Méry-sur-Oise ?

  • En cas de risque de dépassement des futurs seuils réglementaires, pourquoi le SEDIF ne choisit-il pas des options qui amélioreraient la qualité de l’eau plus rapidement que l’OIBP (qui entrera en service au mieux en 2032) ? En effet, au moins deux options existent : l’achat d’eau en gros aux autres autorités organisatrices et l’amélioration des procédés de traitement actuel (nanofiltration et charbons actifs), par le remplacement plus régulier des membranes de nanofiltration, par le renouvellement et la régénération des charbons actifs.

  • L’existence de traitements des micropolluants alternatifs à l’OIBP

Des procédés classiques de traitement de l’eau peuvent, avec plus ou moins de réussite, séparer les PFAS de l’eau. Ils sont déjà aujourd’hui utilisés à cet effet par la plupart des opérateurs. Par exemple l’emploi du charbon actif est efficace pour retenir les PFAS présents dans l’eau en particulier ceux aux chaînes longues. Leur efficacité dépend notamment de leur type (en grains, en bloc ou en poudre) et de leur renouvellement. D’autres techniques d’adsorption classiques existent comme la résine échangeuse d’ions. Il est aussi possible d’utiliser des floculants industriels, la production de mousse, l’ozo-fractionnement. Des études portent aussi sur l’usage de sorbents organiques (chitosan, cendres de pailles de maïs, branches de saules, nanotubes de carbone) etc.

Pour assurer une effectivité maximale du procédé, il est souvent nécessaire de régénérer régulièrement le sorbent. Les charbons peuvent ainsi être régénérés par la chaleur (entre 600 et 1200 °C). C’est aussi possible avec un solvant chimique (méthanol, éthanol) utilisé à 100°C et avec un pH important. Le traitement par charbon actif avec renouvellement continu et régénération du charbon, dite technologie Carboplus de l’entreprise Stereau est un exemple. Elle est employée par Eau de Paris qui a inauguré le 29 juin la filière Carboplus à l’usine d’Orly8. La nouvelle filière a coûté 48 millions d’euros HT9 et traite 150 000 m³/jour d’eau.

Par ailleurs, de nombreuses recherches fondamentales et expérimentales sont en cours pour rompre la liaison fluor/carbone (à l’origine des PFAS), afin de les dégrader. La plupart des technologies explorées utilisent le processus d’oxydation chimique avancée. On peut citer la dégradation des PFAS au plasma thermique ou non thermique, avec la défluoration par réduction photo-activée, la photocatalyse, la sonolyse, l’électro-oxydation, l’ozonation dans une eau alcaline, l’électrocoagulation, le persulfate activé à la chaleur, l’oxydation au peroxyde, le peroxyde d’hydrogène catalysée par le fer, l’oxydation à base de fer, la dégradation par bactéries ou champignons, le fer à valence zéro, la réduction par déhalogenation à base de vitamine B12 etc. Ces technologies sont en cours de développement et certaines le sont dans un état avancé. Ainsi, une unité mixte de recherche CNRS-CEA s’est spécialisée dans la sonochimie10. L’entreprise danoise Ramboll a mis au point la défluoration par réduction photo-activée en laboratoire et commence à la développer aux Etats-Unis11. Il s’agit donc d’assurer la maturité scientifique et technologique de ces procédés.

Pour des raisons de coûts, d’efficacité énergétique, d’efficacité de traitement, de matières disponibles, un consensus scientifique semble émerger en faveur des processus hybrides, mêlant une technologie de séparation des PFAS de l’eau et une technologie de destruction des PFAS. Ainsi, le consensus scientifique prévoit une combinaison de traitement, le plus souvent alliant un procédé de séquestration des PFAS avec un processus de dégradation des PFAS. Différentes combinaisons de traitement sont possibles.

Il est possible que dans dix ans, ces technologies soient disponibles pour les opérateurs d’eau. On peut donc s’interroger sur les raisons pour lesquelles le Sedif ne semble pas avoir envisagé l’ensemble des solutions techniques disponibles.

Une tarification qui repose presque exclusivement sur les habitants

C’est l’usager domestique qui paie essentiellement les redevances aux agences de l’eau, de l’ordre de 90% dans le bassin Seine Normandie. On pourrait donc s’attendre à ce que pour un projet tel que l’OIBP, le SEDIF envisage une tarification qui repose dans une part substantielle sur les grands consommateurs et notamment les grandes entreprises du territoire.

Or, le SEDIF envisage d’augmenter le tarif de la facture d’eau de 30 à 40 centimes d’euros du mètre cube, pour financer l’amortissement et l’exploitation de la filière OIBP. Certes, le tarif du SEDIF envers les particuliers prévoit deux tranches : une première tranche de 0 à 180 m3 par an, une deuxième tranche à partir de 181 m3 par an avec un tarif supérieur d’environ 36 centimes/m3 (+ 33 %). Mais dans le même temps, le Sedif prévoit un tarif dégressif pour les grands consommateurs “pour les abonnés consommant plus de 15 m³ par jour (de 1,022 € à 0,409 €/m³)” nous apprend la Cour des Comptes dans son dernier rapport.12

Ainsi, la progressivité de la tarification pourrait être amplifiée par des tranches plus nombreuses et la suppression de la tarification dégressive pour les grands consommateurs.

Pour faire contribuer les pollueurs, dans le respect du principe “pollueur-payeur”, le SEDIF pourrait, en plus, instaurer différenciée selon les usages, afin d’organiser une contribution plus importante des usagers économiques. Des autorités organisatrices comme Eau du Bassin rennais et la commune de Limay ont notamment mis en place des tarifs différenciés selon les usages.

Un montage financier qui complique la création d’une régie publique de l’eau

D’après les explications que le SEDIF a apportées sur son montage financier (appelée soulte), le délégataire paie les investissements en premier lieu. Il amortit sa dette à partir de la 8e année via la facture d’eau. Et au bout de 12 ans, le syndicat doit rembourser le délégataire du montant restant. A la fin de la délégation de service public, le SEDIF sera donc endetté à hauteur de 720 millions d’euros sur 35 ans d’amortissement de l’OIBP (amortissement à partir de la huitième année durant 5 ans, à raison de 20 millions d’euros par an pour l’OIBP, et de 10 millions d’euros par an pour les membranes) et de 25 millions d’euros supplémentaires pour le renouvellement des membranes à compter de la huitième année (5 millions d’euros par an). Le total des dettes du projet serait donc de 745 millions d’euros hors taxes. Cet endettement ne prend pas en compte le coût réel du projet au regard du taux d’inflation et du coût de la dette.

Un tel niveau d’endettement risque de peser sur les choix d’investissements et les choix de mode de gestion du SEDIF à l’avenir. En effet, parmi les communes membres du Sedif existent deux débats récurrents : l’opportunité d’un passage en régie public du SEDIF et la sortie de communes du SEDIF pour créer une régie publique de l’eau, comme l’ont fait Est Ensemble et plusieurs communes du Grand Orly Seine Bièvre.

Sur l’opportunité d’un passage en régie public du SEDIF. A la fin de la concession, le SEDIF sera fortement endetté. Mais il devra maintenir l’entretien de son patrimoine : le renouvellement de ses canalisations par exemple. Or s’il récupère la dette OIBP, sa soutenabilité financière pourrait être remise en cause. Le syndicat cumulerait une dette classique à une “dette OIBP” très importante. Pour réduire mécaniquement cet endettement, le SEDIF pourrait procéder à de nouvelles délégations de service public selon le même principe de la soulte, jusqu’à un abaissement significatif de cette “dette OIBP”, voire jusqu’à son épuisement, donc pendant 40 ans (jusqu’en 2079). Or les délégations de service public dans le domaine de l’eau ont une durée maximale de 20 ans.

Sur la sortie de communes du SEDIF pour créer une régie publique de l’eau. En quittant le SEDIF, les communes récupèrent une partie des actifs et des passifs financiers du syndicat correspondant à leur taille dans le syndicat (par exemple, selon les volumes d’eau consommés). Toute commune ou groupement de communes qui voudra sortir du SEDIF devra donc vraisemblablement s’acquitter d’une quote-part de l’endettement du SEDIF à rembourser au délégataire et des intérêts financiers. Un montant élevé pourrait ainsi rendre plus compliquée une sortie du syndicat.

Une question : l’état des canalisations

Les participants se posent la question de l’état des canalisations et des éventuels risques sanitaires que posent des canalisations construites avec des matériaux dangereux: l’amiante, le plomb. Ils s’interrogent aussi sur la dispersion éventuelle de microplastiques dans l’eau avec les canalisations construites avec des matières plastiques.

Propositions d’alternatives au projet

Les participants s’accordent pour défendre un modèle alternatif à l’OIBP qui prendrait la forme suivante :

  • ne pas faire le projet d’OIBP ;

  • engager une politique de prévention des pollutions agricoles et industrielles ambitieuse, utilisant différents leviers : législatifs et réglementaires, recours juridiques contre les autorisations environnementales, procédures judiciaires contre des industriels rejetant beaucoup de PFAS, le traitement des PFAS par les industriels avant rejet dans les cours d’eau, plans d’actions concertés pour protéger les aires d’alimentation de captage, partenariats, subventions et paiements pour services environnementaux avec les agriculteurs ;

  • favoriser une forme de sobriété industrielle dans les techniques de traitement de l’eau choisis ;

  • contribuer aux recherches sur les PFAS et les techniques de dégradation des PFAS ;

  • modifier la tarification de l’eau : assurer les premiers mètres cubes d’eau gratuits, organiser après cette tranche de gratuité une tarification progressive, supprimer la tarification dégressive et enfin organiser une tarification différenciée selon les usages pour que les acteurs économiques qui consomment beaucoup d’eau paient l’eau plus cher.

3 le texte de la directive européenne relative à la qualité des eaux à destination de la consommation humaine explique : “Par «Somme PFAS», on entend la somme des substances alkylées per- et polyfluorées qui sont considérées comme préoccupantes pour les eaux destinées à la consommation humaine et dont la liste figure à l’annexe III, partie B, point 3. Il s’agit d’un sous-ensemble des substances constituant le Total PFAS qui contiennent un groupement de substances perfluoroalkylées comportant trois atomes de carbone ou plus (à savoir, –CnF2n–, n ≥ 3) ou un groupement de perfluoroalkyléthers comportant deux atomes de carbone ou plus (à savoir, –CnF2nOCmF2 m–, n et m≥ 1).” Il s’agit donc des PFBA, FPeA, PFHxA, PFHpA, PFOA, PFNA, PFDA, PFUnDA, PFDoDA, PFTrDA, PFBS, PFPeS, PFHxS, PFHpS, PFOS, PFNS, PFDS. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020L2184

4 0,1 microgramme par litre (µg/L) ou 100 nanogrammes (nm/L)

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