Pour limiter la pollution des eaux souterraines aux pesticides et nitrates, la régie Eau de Paris et l’agence de l’eau Seine Normandie ont développé un système d’aides original aux exploitants installés sur les zones de captage qui alimentent la capitale. Par Antoine d’Abbundo dans La Croix du 26/05/2021.
Installé à Préaux, au sud de la Seine-et-Marne, Bertrand Collumeau fait partie de ces agriculteurs dont l’activité pèse lourdement sur la qualité de l’eau qui coule au robinet des Parisiens.
L’exploitation familiale de 400 hectares en grandes cultures qu’il a reprise en 2003 avec son frère est située dans la vallée du Lunain, à proximité des sources de Villemer, une zone de captage essentielle à l’approvisionnement de la capitale, à une centaine de kilomètres à vol d’oiseau de là.
Une concentration inquiétante en pesticides et nitrates
« Le schéma d’alimentation en eau potable de Paris repose pour moitié sur les eaux prélevées dans la Seine et la Marne, pour l’autre moitié sur les eaux souterraines captées dans les régions rurales limitrophes », détaille Dan Lert, président de la régie publique Eau de Paris et maire adjoint en charge de la transition écologique.
Or, la qualité de ces eaux souterraines est fortement compromise par les activités humaines, notamment l’activité agricole dont les pratiques intensives conduisent à une concentration inquiétante en pesticides et en nitrates qui oblige à des traitements lourds et coûteux.
Aussi, pour mieux préserver cette ressource des pollutions, Bertrand Collumeau a-t-il décidé, l’année dernière, d’effectuer le « grand saut » et de convertir son exploitation à l’agriculture biologique en s’engageant dans le dispositif pionnier mis en place par Eau de Paris. Dispositif qui vient de recevoir un appui décisif de l’agence de l’eau Seine Normandie (AESN) via la signature, mardi 25 mai, d’un contrat de territoire qui engage les deux partenaires pour six ans.
Mieux vaut prévenir que guérir
Au cœur de ce contrat, on trouve un système d’aides original, doté de 47 millions d’euros, financés à 80 % par l’AESN, les 20 % restants étant payés par la redevance eau des Parisiens. « Partant du principe qu’il vaut mieux prévenir que guérir, cette enveloppe est destiné à accompagner financièrement les exploitants qui s’engagent à adopter des modes de culture plus durables ou biologiques ayant des effets bénéfiques sur la qualité de l’eau », explique Manon Zakeossian, responsable du service protection de la ressource chez Eau de Paris.
Le montant des aides varie entre 150 € et 450 € par hectare, selon le type d’exploitation et les mesures adoptées par l’agriculteur volontaire, un bonus allant à ceux qui s’engagent dans une conversion vers l’agriculture biologique.
Cette incitation financière a été décisive pour convaincre Bertrand Collumeau de sauter le pas. « Nous ne pouvions nous lancer dans le bio uniquement par conviction : le projet devait être économiquement viable. À cet égard, l’aide à l’hectare est évidemment non négligeable », admet-il.
Une « pollution diffuse » difficile à appréhender
À son exemple, une cinquantaine d’agriculteurs étaient engagés au début de 2021 dans le programme, représentant 8 200 hectares. À terme, Eau de Paris et l’AESN espèrent qu’entre 100 et 200 exploitations supplémentaires pourraient être concernées sur les quatre aires d’alimentation de captage prioritaires qui couvrent 240 000 hectares.
« C’est la première fois, en France, qu’un opérateur met en place un système de paiements pour services environnementaux pensé avec et pour les agriculteurs afin de protéger durablement la ressource en eau. On peut espérer que, le succès s’amplifiant, ce modèle fera école au niveau national », veut croire Dan Lert.
Quant à juger de l’efficacité du programme sur la qualité des eaux, il faudra sans doute attendre quelques années tant ce phénomène de « pollution diffuse » est difficile à appréhender, le transfert des pesticides et des nitrates du sol à la nappe d’eau pouvant prendre quelques jours à plusieurs mois, voire plusieurs années. Pour lors, les mesures effectuées sur la concentration en nitrates montrent que l’on est bien au-delà de la norme de 50 mg/L, limite de qualité pour l’eau potable.