Guérilla juridique annoncée contre Suez

Le 29 avril 2024, à l’Université d’Evry, les élus du Syndicat Eau du Sud Francilien ont annoncé saisir la Haute autorité de la concurrence à l’encontre de Suez et de Meridiam et un recours au tribunal pour que les usines de production d’eau potable  reviennent aux collectivités comme biens de retour (Lire l’article Eau du Sud Francilien saisit la Haute autorité de la concurrence). Analyse de cette nouvelle situation  avec Jacky Bortoli, Conseiller communautaire délégué en charge du cycle de l’eau de Grand Paris Sud. Extraits vidéos de la soirée du 29 avril. Lire aussi différents documents qui ont jalonné l’action depuis un an, un article des Echos  et l’avis du Conseil d’Etat sur les biens de retour.

Cette annonce à l’Université d’Evry-Courcouronnes semble hautement symbolique.

Jacky Bortoli : Oui et à plusieurs titres. L’université d’Evry à Courcouronnes est un lieu de savoir. Mais Evry-Courcouronnes est aussi un lieu qui incarne depuis 1970, la dépossession du pouvoir politique des élus locaux sur l’eau. La Haute Autorité de la Concurrence est un outil dont s’est dotée la République pour réguler la place des opérateurs privés dans l’économie. La question du bien de retour concrétise aussi une reprise en main démocratique face à la duplicité de la finance. Comme l’a très bien dit ce soir-là, François Durovray, Président du Conseil départemental de l’Essonne, « personne, rien ne nous obligeait à nous engager sur ce chemin en 2019, mais nous aurions eu tort (de ne pas le faire)» a-t-il ajouté. Et dans la même lignée, Michel Leprêtre, Président de l’EPT Grand Orly Seine Bièvre, « on ouvre le robinet, l’eau coule, on ne se pose pas de question » ;  Eric Braive, Président de Cœur d’Essonne agglomération,  « Suez et Meridiam ont pensé que nous allions nous diviser » ; Philippe Rio, Maire de Grigny et Président de la régie de l’eau de Grand Paris Sud,  « en 2022, 34 millions (ont été ponctionnés) au détriment du service public » ou encore, Michel Bisson, Président de  Grand Paris Sud, « les biens publics ne doivent plus être considérés comme des biens privés ».

Comment s’explique une telle détermination?

Jacky Bortoli: En 2005, avec Jean-Loup Englander, maire de St Michel sur Orge, nous avons déjà fait condamner la Lyonnaise des eaux – Suez par la Haute Autorité de la Concurrence. Nous avons pensé à tort qu’ils avaient compris, n’ayant pas fait appel. Puis la loi Notre nous a contraint à nous regrouper, nous y avons puisé notre force. Les élus ont mis en commun leurs connaissances et leurs expériences, proposé des solutions et, petit à petit, se sont écartés des idéologies de la finance dont le seul objectif est la prospérité d’actionnaires avides de dividendes. Suez et Veolia avaient réussi à nous diviser en deux camps, nous nous sommes rendus compte qu’il était illusoire de choisir entre Suez et Veolia puisqu’ils poursuivaient une même finalité qui n’était pas la nôtre.

Quand situez-vous le basculement?

Jacky Bortoli:  En 2021, lors des négociations avec Suez pour l’achat d’eau en gros, nous étions à 0,43 €/m3 HT et M. Pellegrini, alors directeur régional de Suez, à 0,46 €/m3 HT, au lieu des 0,70 voire 0,80 €/m3 HT qui étaient alors pratiqués. Quand Veolia a lancé son OPA sur Suez en 2022, avec Philippe Rio,  nous avons proposé à Michel Bisson et François Durovray de ne prendre parti ni pour l’un, ni pour l’autre, et de prendre le parti des gens, des usagers, de la ressource: nous avons identifié que pour les deux multinationales  nous sommes des parts de marché, comme ils disent entre eux, rien de plus.

Vous faites une différence entre les actifs financiers et les actifs mobiliers et immobiliers?

Jacky Bortoli:  Exactement cette différence est de taille, ce n’est pas l’épaisseur du trait! Les actifs financiers pour Suez/Meridiam, c’est  l’objectif de rentabilité financière fixé à Suez, ce n’est pas la valeur des tuyaux et des usines, ça c’est la valeur nette comptable (VNC). Ils veulent nous faire payer ce qu’ils escomptaient gagner avec les tuyaux et usines qui ont déjà été payés par les usagers.

En quelque sorte le beurre et l’argent du beurre…

Jacky Bortoli: comme l’a démontré une fois de plus Philippe Rio  ce soir-là, pour 78 millions de m3, le cout de revient de production est de 24 millions d’euros. Suez encaisse en sus 34 millions par an de bénéfices et demande à ce que cela dure encore 20 à 30 ans. Ainsi le montant de facture de l’eau ne va pas au seul service de l’eau, ce qui est pourtant c’est la loi

C’est un détournement d’argent public?

Jacky Bortoli:  La question est double. Elle concerne à la fois les ouvrages financés par de l’argent public et des ouvrages qu’un concessionnaire privé a financés mais qui sont indispensables au service public. Pourquoi les fruits de l’investissement financé par de l’argent public devraient échapper à la collectivité des usagers ? Pourquoi admettre le présupposé que Suez /Meridiam prétendent être propriétaires ?  Il est pourtant admis que les ouvrages et les installations indispensables au service public reviennent à la collectivité en fin de contrat. Et on nous dit que ça ne nous concernerait pas parce que les contrats mis en place ne seraient pas de « vraies délégations de service public » ? La production et la distribution de l’eau constituent un service public d’autant plus évident qu’il vient satisfaire un besoin essentiel et fondamental de l’être humain. Il est en outre porteur des enjeux les plus impérieux de rareté de la ressource et donc de confiscation comme d’exigence environnementale.

Cela veut dire que les usagers pourraient en réclamer le remboursement, une sorte d’indemnité ?

Jacky Bortoli: C’est à l’étude, à la demande de Philippe Rio et des administrateurs associatifs représentants des usagers dans les régies de Grand Paris Sud et de Cœur d’Essonne. Ces régies, c’est certain, sont propriétaires depuis 1970 des tuyaux qui alimentent l’ensemble du réseau interconnecté du sud francilien (RISF) jusqu’à Paris Saclay et Créteil. Philippe Rio saisira les ministères de l’environnement, de l’intérieur et des finances publiques.  D’ores et déjà, il a demandé au Directeur du syndicat Eau du Sud Francilien et à la directrice de la régie qu’il préside, de calculer l’indemnité qui sera exigée de Suez/Meridiam.

Les usagers du service public de l’eau potable du Syndicat Mixte Francilien vont pouvoir à agir aux cotés de leurs élus?

Jacky Bortoli: Oui et ils auront l’appui de leurs agglomérations et établissements publics. Il ne suffit pas que Suez /Meridiam prétendent être propriétaires. Avec la procédure sur les biens de retour, décidée en parallèle de la saisine de la Haute Autorité de la Concurrence, c’est mal parti pour eux!


Voir en vidéo les principaux extraits des interventions de la soirée du 29 avril

Et pour aller plus loin…

Déclaration du Syndicat Eau du Sud Francilien sur l’échec des négociations avec Suez le 15 décembre 2023

Courrier des présidents des intercommunalités, du département et du syndicat Eau du Sud francilien à la directrice générale de Suez, le 23 octobre 2023

Dossier sur les enjeux de la création du Syndicat Eau du Sud Francilien le 1er janvier 2023


Eau : les élus du Sud Francilien veulent porter leur conflit avec Suez devant l’Autorité de la concurrence 

L’alliance d’élus du Sud Francilien, principalement d’Essonne, mais aussi de Seine-et-Marne et du Val-de-Marne ont décidé de saisir l’autorité de la concurrence pour trancher leur litige avec Suez. Celui-ci porte notamment sur le prix de l’eau et la propriété d’usines de production. Par Alain Piffaretti.

Une « guérilla juridique », pour obliger Suez à négocier. C’est le rapport de force qu’entendent instaurer les élus du Sud Francilien contre l’industriel pour abaisser le prix de l’eau et récupérer la propriété de plusieurs usines de production sur leur territoire. Réunis au sein du syndicat mixte « Eau du Sud Francilien » les élus des quatre grandes intercommunalités membres (Grand-Paris-Sud, Coeur d’Essonne, Val-de Seine-Val-de-Bièvres et Grand-Orly-Seine-Bièvres) entendent saisir l’Autorité de la concurrence pour faire condamner Suez pour abus de position dominante.

Lire l’article complet (réservé aux abonnés)


LE RÉGIME DES BIENS DE RETOUR PRÉCISÉ PAR LE CONSEIL D’ETAT

À l’occasion d’un contentieux opposant la société ERdF et la commune de Douai (59) sur la qualification des biens entrant dans le champ de la délégation de service public, le Conseil d’Etat a précisé l’ensemble des principes applicables à l’ensemble des biens visés par ce type de contrat dans une décision d’Assemblée du 21 décembre 2012 (CE Ass 21 décembre 2012, Commune de Douai, req. n° 342788).

Par ailleurs, le juge a précisé que le délégataire est tenu de fournir à la collectivité délégante toute information utile sur les biens de la délégation, afin de lui permettre d’exercer son contrôle sur le service public concédé. Il est donc tenu de transmettre au délégant, à sa demande, un inventaire des biens de la délégation (précisant leur valeur brute, leur valeur nette comptable et leur valeur de remplacement).

Le Conseil d’État procède à une clarification de la définition du régime des biens nécessaires au fonctionnement du service public

Lire ici

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *