Michel Bisson, président de Grand Paris Sud, et François Durovray, président du Conseil départemental de l’Essonne, explicitent les enjeux autour de la production d’eau potable et des négociations avec Suez, pour leurs collectivités.
Malgré leurs sensibilités politiques différentes, Michel Bisson, Président (PS) de Grand Paris Sud et François Durovray, Président (LR) du Conseil départemental de l’Essonne militent tous deux pour que leurs collectivités rachètent à Suez ses usines de production d’eau et ses canalisations de transport.
Pourquoi souhaitez-vous reprendre le contrôle de la production d’eau potable sur vos territoires respectifs ?
Michel Bisson : la genèse de notre mobilisation provient de la préoccupation majeure à laquelle nous devons faire face et qui est celle du réchauffement climatique et de la nécessaire transition écologique. Pour réussir cette transition écologique doit aussi être humaine et sociale. Or, parmi les biens essentiels que sont, par exemple, l’énergie et la mobilité, il y a aussi l’eau. L’eau est un bien commun que nous partageons et dont la qualité est primordiale. Or cette qualité se construit tout au long d’un cycle, de la source – qui, chez nous, est le fleuve- à l’assainissement et au traitement des eaux de pluie. Cela suppose d’agir sur des durées qui ne sont pas celles d’un contrat d’approvisionnement ou de délégation de service public. Nous devons travailler sur la biodiversité, sur la diminution des pesticides, sur les zones humides, la bonne gestion des eaux pluviales, etc. C’est pourquoi nous agissons tout à la fois au titre de notre compétence Gemapi (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations), assainissement avec la reprise en régie des stations d’épuration, et gestion de l’eau potable. Nous avons déjà une régie publique de distribution et souhaitons désormais reprendre le contrôle de la production.
Pourquoi le Département est-il impliqué dans cette démarche et ce, malgré vos différentes sensibilités politiques ?
François Durovray : tout le sud-francilien est approvisionné par le RISF, le réseau interconnecté sud-francilien. Propriété de Suez, il comprend à la fois des usines de production et un réseau de transport d’eau. Lorsque nous avons vu que les préoccupations de Grand Paris Sud (Essonne/Seine-et-Marne) impactaient ce réseau, nous avons compris que cela aurait des impacts pour les 6 territoires totalement ou partiellement alimentés par lui : Cœur d’Essonne, Val d’Yerres Val de Seine, la communauté d’agglomération de Paris-Saclay (Essonne), Grand-Orly Seine Bièvre (Val-de-Marne/Essonne),et Grand Paris Sud Est Avenir (Val-de-Marne). C’est pourquoi nous avons proposé d’organiser le dialogue entre les 6 intercommunalités pour faire en sorte d’avancer ensemble afin qu’aucune décision ne soit prise par un territoire sans que les enjeux ne soient connus et partagés par tous. Nous avons donc effectué une sorte de travail « souterrain » de compréhension du sujet. Et nous nous sommes rendus compte que nous nous trouvions dans une situation totalement atypique en France que nous partageons avec les intercommunalités des Yvelines (Aquavesc, SENEO, Saint Germain Boucles de Seine notamment) : les moyens de production de l’eau potable sont contrôlés par un groupe privé. C’est une bizarrerie puisque, partout ailleurs, la production est propriété du public, même si elle est confiée par délégation à des acteurs privés. Or même pour un libéral comme moi, il est impossible de mettre en concurrence quelque chose qui est en monopole, même privé.
Comment allez-vous procéder ?
Quatre des six intercommunalités concernées – Grand Paris Sud, Cœur d’Essonne, Val d’Yerres Val d’Essonne et Grand-Orly Seine Bièvre- ont, ces derniers mois, délibéré à l’unanimité pour constituer un syndicat mixte fermé dont l’objet est de reprendre en main la production d’eau potable. Désormais, le dossier a été transmis aux préfectures concernées (Essonne, Seine-et-Marne, Val-de-Marne). Nous devons attendre le vote des CDCI (commissions départementales de coopération intercommunale) puis l’arrêté des préfets. Le syndicat mixte devrait être créé à l’automne prochain.
Pourquoi Grand Paris Sud Est Avenir et Paris Saclay ne vous ont-ils pas rejoints ?
FD : Le premier a récemment renégocié ses contrats. Quant au second, les réflexions ne sont pas encore mâtures, d’autant que certaines communes sont approvisionnées par le SEDIF et d’autres par le RISF. Il en faut pas oublier qu’encore récemment, le sujet de l’eau n’était pas un sujet dont les élus s’occupaient. Depuis vingt ans, un énorme travail a été effectué sur la distribution de l’eau, mais celui de la production est totalement nouveau et il faut que les élus s’approprient le sujet. Mais nous sommes aujourd’hui quatre intercommunalités, et c’est suffisant pour nous lancer.
Quelles seront les missions de ce syndicat ?
FD : la première, immédiate, sera de négocier les futurs contrats d’achat d’eau en gros au RISF. Aujourd’hui, chaque territoire achète pour ses propres besoins. Demain, nous achèterons ensemble 45 millions de m3 d’eau. Sa deuxième tâche sera de négocier pour reprendre la propriété des usines (celles de Morsang-sur-Seine, de Vigneux-sur-Seine et de Viry-Châtillon) et du réseau de transport du RISF.
Où en sont les discussions avec Suez ?
MB : Nous avons mis plusieurs mois à faire en sorte que Suez accepte l’idée de vendre le RISF, mais cela est désormais acté depuis deux ans. Nous avons ensuite commencé des négociations, qui ont été stoppées au moment de l’OPA de Veolia sur Suez. Maintenant que la nouvelle gouvernance de Suez est en place, nous avons rencontré la nouvelle directrice générale Sabrina Soussan. Mais nous n’avons pas de signe positif de la part de l’entreprise pour qu’elle ouvre ses comptes et accepte de nous dévoiler la valeur nette comptable du RISF. Seule sa valeur commerciale – 400 millions d’euros- nous a été dévoilée.
Pouvez-vous expliquer les termes de ce débat ?
MB : La valeur commerciale est celle qui est appliquée dans le cadre d’une transaction commerciale entre deux entreprises. Mais en ce qui nous concerne, l’eau payant l’eau et par le jeu des amortissements pratiqués, tous les investissements ont déjà été financés par la facture des usagers du service public.. Nous souhaitons donc que soit appliquée la valeur nette comptable des actifs considérés comme une autre valeur de référence.
Pensez-vous rapidement sortir de l’impasse ?
FD : je suis confiant sur notre capacité à aboutir d’abord parce que Suez a besoin de clients, et donc de notre territoire. Nous sommes, de notre côté, convaincus que Suez a les compétences techniques dont nous avons besoin pour produire cette eau. Car racheter les usines ne signifie pas que nous allons les gérer en direct.
Grand Paris Sud a récemment pris une délibération unilatérale fixant un prix de l’eau inférieur à celui que demande Suez. Pourquoi ?
MB : notre contrat d’achat d’eau s’achevait au 31 décembre 2021 et nous avions calculé que la production d’eau revenait à environ 45-46 cts du m3, ce qu’a admis Suez, contre 70 cts facturés aujourd’hui. Cette décision unilatérale, si elle est contestée par Suez – ce qu’annonce l’industriel -, va le contraindre à mettre l’ensemble de ses comptes sur la table. Cela nous permettra d’avoir la décomposition du coût de l’eau et ainsi prolonger notre négociation sur des bases plus objectives et respectueuses de l’intérêt général.