La raréfaction de l’eau est aggravée par le réchauffement climatique et les prélèvements massifs. Présent à la conférence de l’ONU sur l’eau, à New York, Philippe Rio, maire de Grigny, plaide pour une gestion publique et durable de l’or bleu. Entretien réalisé par Marion d’Allard.
À l’occasion de la conférence de l’ONU sur l’eau, qui doit se conclure, ce vendredi, à New York, une centaine de maires ont fait le déplacement pour porter l’ambition d’une remunicipalisation de la gestion de cette ressource vitale. Parmi eux, Philippe Rio, maire communiste de Grigny (Essonne) et vice-président de Grand Paris Sud en charge du cycle de l’eau.
En quoi la présence d’élus municipaux est fondamentale dans un sommet international sur la question de l’eau ?
Aujourd’hui, 75 % de la population mondiale vit en milieu urbain. Les collectivités, les villes et les villages sont au cœur du défi de la gestion et de la préservation de la ressource en eau. Ce défi se remportera, entre autres, grâce à la mobilisation des municipalités et aux initiatives qu’elles prennent en la matière. L’intérêt général se joue aussi à l’échelle locale.
Vous plaidez clairement pour la remunicipalisation de la gestion de l’eau. Pourquoi est-ce si important ?
Le marché raisonne à court terme et dans une logique de profits alors que l’eau doit être gérée sur du long terme, au nom de l’intérêt général. L’eau est un bien commun de l’humanité et dans ce moment historique à l’ONU, cette affirmation prend tout son sens. Ce n’est plus possible d’envisager cette ressource vitale comme un bien marchand à la manière d’un ordinateur ou d’une paire de baskets. Il y a urgence à changer de paradigme, y compris au plus près de chez nous. En Île-de-France, par exemple, deux visions se confrontent quant à la gestion de l’eau : d’un côté celle portée par le Syndicat des eaux d’Île-de-France (Sedif) et Veolia, qui veulent utiliser la technique dite de l’osmose inverse basse pression – il s’agit de prélever de l’eau impropre à la consommation, lui ôter tous les éléments impurs et tous les oligoéléments pour y ajouter ensuite, artificiellement, du calcium, du potassium et du magnésium. Une technique qui consomme 25 % d’eau en plus et 50 % d’énergie. De l’autre, nous portons une vision plus sobre. Eau de Paris, qui se fournit en eau de source en Seine-et-Marne, rachète les terres agricoles en amont et signe des conventions avec les agriculteurs pour qu’ils passent en bio. Résultat : moins d’intrants chimiques, in fine, pour rendre l’eau potable. C’est ça, protéger la ressource.
Il est également souvent mis en cause le fait que dans les réseaux d’eau urbains, 20 % de la ressource sont perdus à cause des fuites…
Il est parfaitement inadmissible que 20 % de l’eau produite et payée par l’usager s’en aille dans la nature. Et pour avoir fait la bascule entre un modèle privé et un modèle public, je peux dire qu’effectivement ils n’ont pas la même rigueur en matière d’entretien des réseaux. Les entreprises privées ont un objectif de rentabilité, des actionnaires à financer. C’est cette contradiction qu’il faut comprendre, à l’échelle mondiale.
Comment ce sommet peut-il participer à régler cette contradiction ?
Nous allons créer ici une nouvelle alliance entre des instances internationales et les territoires. C’est la première fois que les collectivités sont invitées à l’ONU pour parler de l’eau alors que nous sommes des gestionnaires. Cette alliance, en quelque sorte, saute par-dessus les États, qui n’ont pas tous la même approche. Par exemple, la Slovénie a constitutionnalisé l’eau en tant que bien public alors qu’au Chili, la Constitution garantit sa privatisation. Mais à l’échelle des territoires, les choses se posent différemment. Le maire de Valparaíso est un militant de l’eau publique qui se bat contre les cultures d’avocats qui assèchent son territoire. Il y a un peu plus d’un an, à la Bourse de Chicago, l’eau est devenue un bien marchand sur lequel on peut désormais spéculer et aujourd’hui, les spéculateurs jouent sur les sécheresses en Californie pour se faire du fric. Cette tendance existe aussi en France, lorsque des fonds de pension entrent au capital des géants du secteur. C’est une confrontation très forte entre deux modèles, mais nous sommes optimistes. En France, en dépit de lobbies puissants, le mouvement de remunicipalisation est profond, transpartisan.