En Essonne, la guerre est déclarée avec Suez

Pour tenter de mieux maîtriser les coûts et ne plus dépendre des géants de l’eau, de plus en plus de communautés de communes reviennent à des régies publiques. En Essonne, quatre d’entre elles se sont lancées dans un bras de fer avec Suez. Elles ont décidé d’imposer un prix d’achat à 45 centimes, contre les 69 demandés par le groupe. Par Aurélie Foulon.

Pour réduire au maximum la facture d’eau, des collectivités, qui avaient jusque-là délégué la gestion de l’eau à des entreprises privées, tentent de reprendre la main pour supprimer les intermédiaires. Comme Paris, qui a municipalisé le service public de l’eau en 2009 après vingt-cinq ans de privé, quatre communautés de communes de l’Essonne (Grand Paris Sud, Cœur d’Essonne, Val d’Yerres Val de Seine, Grand Orly Seine Bièvre, soit près de 1,4 million d’habitants) se sont unies en février dernier au sein d’un Syndicat mixte pour peser face à Suez. Objectif : s’emparer de l’usine de production, gérée par Eau du Sud Parisien (ESP), une filiale à 100 % de Suez.

A priori, le géant de l’eau n’aurait pas d’opposition de principe. « Nous poursuivons les discussions, une nouvelle réunion est prévue début juillet », précise Suez. Mais les deux camps ne sont pas d’accord sur le prix. « Suez propose une vente sur la base de la valeur commerciale, estimée à 400 millions d’euros. Mais là ils ont un monopole privé sur un bien public d’intérêt général, tonne Philippe Rio (PCF), maire de Grigny et vice-président de Grand Paris Sud, en charge du cycle de l’eau. Sans compter que cette usine date de la création de la ville nouvelle et personne n’est en mesure de fournir un titre de propriété. Les usagers ont payé l’entretien et les bénéfices de Suez depuis tout ce temps ! » Pas question, donc, de l’acheter au prix fort.

Un prix décidé unilatéralement

Pour les élus locaux, le juste prix serait celui de la valeur nette comptable. Seulement, pour le calculer, il faudrait accéder aux comptes détaillés de l’entreprise, que celle-ci leur refuserait au nom du secret des affaires. Des données qu’ils réclament par ailleurs depuis plus de deux ans, soupçonnant des « marges abusives » sur le prix du m3. « Le poste intitulé Autres achats et charges externes représente en 2022 encore à lui seul 95,5 % du total des charges, rappellent-ils dans un courrier du 11 avril dernier adressé à la directrice générale de Suez. Il nous apparaît légitime d’en connaître les détails : quels montants pour les amortissements, pour les frais financiers, pour les travaux neufs ? » En clair, selon Philippe Rio, « dans cette rubrique, 21 millions d’euros sont classés Secret des affaires, malgré un courrier au déontologue du groupe en 2020. Faute d’explications, nous supposons que c’est le bénéfice annuel de l’usine ».

Déterminés, ils ne lésinent pas sur les moyens de pression. Philippe Rio a décidé de passer à la vitesse supérieure. « Puisqu’on nous refuse les éléments comptables permettant de calculer le coût de production du mètre cube, Grand Paris Sud a adopté à l’unanimité l’application unilatérale d’un tarif de l’eau en gros, payé à Suez, de 0,45 € HT du m 3 au lieu de 0,6946 que voudrait imposer Suez. L’agglomération Cœur d’Essonne délibérera ce jeudi, puis ce sera Grand-Orly Seine Bièvre, et Val d’Yerres Val de Seine devrait aussi le faire. »

« Des prédateurs qui transforment un bien vivant en marchandise »

S’ils parviennent à se séparer de Suez et à récupérer l’usine, c’est le dernier maillon de la chaîne qui sautera. En 2011, l’agglomération, qui ne regroupait alors que Viry et Grigny, créait l’une des premières régies publiques de France. Celle-ci a commencé par reprendre la distribution au privé. « Ce sont des prédateurs qui transforment un bien vivant, égal de l’air et du rayon de soleil, en marchandise », raillait Gabriel Amard, le président de l’agglo de l’époque.

Depuis, le duo s’est agrandi et a fait du chemin : « Sur Grand Paris Sud, la distribution est publique, l’assainissement le sera au 1er janvier 2023, se félicite Philippe Rio. On a même deux stations d’épuration gérées par une entreprise locale aux capitaux 100 % publics. » Ne manque plus que la production.

Et le modèle pourrait faire tache d’huile. « Le Sedif n’est plus qu’un vendeur d’eau pour 9 communes de Grand Orly Seine Bièvre, relève Philippe Rio. Nous sommes en relation étroite avec Melun (Seine-et-Marne), qui regarde de près. Et Cergy Pontoise (Val-d’Oise) nous demande des conseils. »

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