Dans certains territoires franciliens, la captation ou la production d’eau potable sont aux mains d’industriels privés. Une situation qui interpelle de plus en plus les intercommunalités. Par Catherine Bernard et Raphaël Richard.
Le RISF ou réseau interconnecté sud-francilien : tel est le petit nom du patrimoine industriel qui suscite discordes et convoitises depuis quelques années sur le territoire de l’Essonne et du sud du Val-de-Marne. Ce RISF, en effet, qui comporte trois usines de production d’eau potable ainsi que le réseau de transport afférent, est, fait assez rare en France, propriété d’un acteur privé, en l’occurrence Eau du sud francilien, du groupe Suez. Une situation que même les élus libéraux du territoire jugent « bizarre », selon le terme de François Durovray, président du conseil départemental de l’Essonne. Au point que d’aucuns verraient bien le RISF passer sous pavillon public, quitte à confier son exploitation à un opérateur privé.
La communauté d’agglomération de Grand Paris Sud (Essonne/Seine-et-Marne) a été la première à mettre le sujet sur la table. Puis, sous l’égide du Département, les six intercommunalités concernées ont été sensibilisées au sujet, et quatre d’entre elles – Grand Paris Sud, Cœur d’Essonne, Val d’Yerres Val d’Essonne et Grand Orly Seine Bièvre – devraient constituer, avant la fin de l’année, un syndicat mixte fermé. Son objet : négocier collectivement les achats d’eau en gros et, surtout, tenter de racheter le patrimoine de Suez. D’autres villes pourraient rejoindre l’initiative. Ainsi, la communauté d’agglomération de Paris-Saclay, dont 22 des 27 communes sont approvisionnées par le RISF – les autres étant desservies par le Sedif – , a voté le 18 mai pour une association à l’initiative, en tant qu’observateur (voir par ailleurs). Dans le Val-de-Marne, Grand Paris Sud Est avenir, en revanche, a renégocié son contrat avec Eau du sud francilien au 1er janvier 2020 et s’estime pour l’instant satisfait des conditions d’approvisionnement. Mais les discussions avec Suez sont délicates, notamment sur le prix (voir l’entretien avec Michel Bisson et François Durovray). Le feuilleton ne fait, donc, que commencer.
Une revendication qui se diffuse
Dans les Yvelines ou la Seine-et-Marne, plusieurs intercommunalités et syndicats souhaitent aussi – plus discrètement – reprendre en main la ressource en eau. Couvrant 650 000 usagers des Hauts-de-Seine et des Yvelines, Aquavesc produit quelque 80 % de l’eau dans son usine de Louveciennes, équipée en 2017 d’un dispositif de décarbonatation. Le syndicat assure l’essentiel des dix millions d’euros d’investissements annuels. « Les enjeux d’investissement portent surtout désormais sur le réseau, avec des interventions de plus en plus préventives », observe Eric Linquier qui veille aussi à « maintenir un des tarifs les plus bas d’Ile-de-France ».
La ressource fait toutefois l’objet d’une attention particulière dans une région atypique où une partie de la production n’appartient pas aux acteurs publics. L’essentiel de l’eau d’Aquavesc provient ainsi de la station de pompage de Croissy-sur-Seine dont il est copropriétaire avec Suez, qui détient aussi le champ captant de Flins-Aubergenville. « La ressource stratégique devrait être intégralement publique », remarque-t-il. Ce sujet fait l’objet d’échanges avec les autorités de gestion voisines, dont le Sedif, Seneo (Hauts-de-Seine), le Syriae (Yvelines) et la ville de Paris.
Une étude est d’ailleurs en cours de finalisation entre Aquavesc, le Sedif, Seneo et Eau de Paris sur les enjeux de sécurisation de la ressource. « Il y aurait intérêt à avoir une vision globale des autorités organisatrices à l’échelle de la région par évoquer les aspects globaux », suggère le président.
Meilleur rapport qualité/prix
Les délégations de gestion de la production à Suez doivent s’achever en 2025-2026, Aquavesc étudiera les différentes formules de gestion en fonction de ses enjeux, avec une attention particulière sur le prix. « Si la ressource doit être, pour Eric Linquier, gérée en direct par le syndicat, pour les autres sujets, il faut étudier le meilleur rapport qualité/ prix. » « Il y a beaucoup de débats sur les technologies de production, mais le saut qualitatif n’est pas significatif, indique le président d’Aquavesc, je pense que les enjeux se situent surtout sur la préservation de la qualité, notamment de la ressource. » La délégation présente tout de même l’avantage, selon lui, de pouvoir bénéficier des programmes de recherche et développement de grands groupes mondiaux.
Discussions avec Veolia en Seine-et-Marne
De l’autre côté de l’Ile-de-France, la préoccupation est la même. A Marne-et-Gondoire (Seine-et-Marne), l’alimentation est assurée quasi-exclusivement par l’usine d’Anet-sur-Marne, détenue par Veolia et qui dessert d’autres intercommunalités du département. « Les élus se posent
la question de reprendre la propriété pour améliorer la concurrence dans les délégations de service public », remarque Pierre Tebaldini, directeur de cabinet de Marne-et-Gondoire (Seine-et-Marne). Des négociations ont été engagées, mais sont « plutôt compliquées ». Les élus réfléchissent de leur côté à la forme juridique que pourrait prendre la structure gestionnaire, tout en soulevant le risque aussi de se couper des innovations des géants du secteur. La communauté d’agglomération cherche également à diversifier ses apports, en puisant dans la nappe ou en multipliant les interconnexions avec Eau de Paris et le Sedif.
« Etre en capacité » de discuter
L’intercommunalité s’appuie sur deux syndicats, le Smaep pour l’alimentation en eau potable – qui couvre 16 de ses communes et 4 voisines – et le Syam – qui gère l’assainissement sur son périmètre et au-delà. Quatre de ses communes sont, elles, alimentées par le syndicat du Val d’Europe, qui dépend aussi pour son approvisionnement, notamment, d’Anet-sur-Marne.
Les délégations doivent être renouvelées au cours du mandat, mais avec des agendas différents. « Les situations différentes profitent aux opérateurs qui gèrent plus facilement car on est plus petit. » En s’élargissant ces dernières années, Marne-et-Gondoire a toutefois pu se structurer pour « être en capacité » de discuter avec les industriels.
D’autres intercommunalités de Seine-et-Marne s’interrogent sur leur stratégie en matière de gestion de l’eau, sans souhaiter communiquer pour le moment à ce sujet.
Grégoire de Lasteyrie, président de la communauté d’agglomération de Paris Saclay (Essonne) :
Je suis convaincu que les territoires doivent avoir une maîtrise publique des moyens de production de l’eau potable. C’est ce qui permet aux élus de garder le contrôle sur le bien public qu’est l’eau. Cela ne signifie pas forcément la constitution d’une régie de production, cela peut se faire par le biais d’une délégation de service public qui permet d’avoir une saine concurrence entre les différents acteurs, à partir du moment où on peut remettre en jeu la gestion des usines.